Introduire au CPAS

Luc a rendez-vous au CPAS pour introduire une demande d’adresse de référence. Il hésite à s’y rendre avec le tee-shirt qu’il porte aujourd’hui. «I stand with Palestine»/«Je soutiens la Palestine» traverse, en imprimé blanc sur coton noir, sa poitrine. Il aimerait, mais il hésite, par crainte que ce message lui porte préjudice pour une demande introduite auprès d’une administration communale qu’il situe à la droite-droite du spectre politique. Et s’il n’obtient pas cette adresse de référence? C’est sa dernière chance. À cause d’un tee-shirt? Il ne peut pas se louper.

Son adresse de référence actuelle, au sein d’un autre CPAS, arrive bientôt à échéance. Il l’a déjà renouvelée une fois, après six mois, mais Luc (prénom d’emprunt) arrive désormais au bout de sa seconde et dernière cartouche. «Je suis viré après mon unique prolongation», résume-t-il. Il doit «déplacer ses pénates», passer d’une commune à une autre, d’un CPAS à un autre, et obtenir – il croise les doigts – leur confiance pour une adresse de référence. «Il n’est pas facile de sortir d’une situation de sans-abrisme en six mois, constate-t-il. Certains CPAS se sont fait gruger, alors ils sont méfiants, je peux comprendre… Mais je trouve ça moche, ce système des six mois. Pour le dire platement, c’est beaucoup trop court.»

Son objectif n’est pas, précise-t-il, d’entrer dans un roulement constant entre différents CPAS. Il aimerait se passer complètement d’une adresse de référence, mais cela est impossible si l’on souhaite un minimum d’existence citoyenne. Il s’énerve: «Pourquoi l’État ne nous la donne-t-il pas d’office, cette adresse de référence, si l’on n’est rien sans elle?» Pourquoi rendre tout cela si compliqué? L’administratif. Qui engendre la peur de l’administration. Qui engendre la colère envers les institutions, peu soutenantes et peu compréhensives. Il ajoute: «Ma vie prend la tournure que je souhaite, hein! Mais elle est suspendue à une décision d’un assistant social.»

Son objectif n’est pas, précise-t-il, d’entrer dans un roulement constant entre différents CPAS. Il aimerait se passer complètement d’une adresse de référence, mais cela est impossible si l’on souhaite un minimum d’existence citoyenne.

Luc veut être mobile et véhiculé. Pour formaliser concrètement et administrativement ce projet de vie sur les routes, il doit obtenir le soutien de la seule asbl wallonne qui fournit une adresse de référence aux bateliers et aux gens du voyage et il lui faut aussi un véhicule type caravane en ordre de conduite. Or, retaper une caravane avec très peu de budget prend un certain temps… Mais après, ce sera la liberté. «Je veux faire la dernière ligne droite comme je le souhaite», explique-t-il simplement. Il a un passé de locataire, mais 50% de ses tout petits revenus passaient dans le loyer et les charges. De plus, il avait 300 € de dépenses mensuelles en diesel pour rendre visite à ses parents soignés loin de chez lui en soins palliatifs. Louer un espace domestique à titre individuel est devenu d’un coup beaucoup trop cher. L’un dans l’autre, il se retrouve sans domicile, mais il tient à rester «dans les clous», ce qui signifie, pour lui, «éviter les dettes»«Je ne veux pas être en négatif, explique-t-il. J’essaie juste de bien faire les choses.» D’où la réflexion complète sur son mode de vie, comme une quête de solution à une situation complexe, dans une société éloignée de ses valeurs personnelles.

Pour formaliser concrètement et administrativement ce projet de vie sur les routes, il doit obtenir le soutien de la seule asbl wallonne qui fournit une adresse de référence aux bateliers et aux gens du voyage et il lui faut aussi un véhicule type caravane en ordre de conduite. Or, retaper une caravane avec très peu de budget prend un certain temps… Mais après, ce sera la liberté.

En janvier 2025, surprise. Sur le parking en gravier derrière «sa» maison communale: Luc tombe sur la cellule Solimob, à peine sortie de couveuse. Le mobil-home n’était pas encore floqué aux couleurs du projet. «Je leur dis souvent que je suis leur dossier n°003», commente Luc avec humour. Il est, de fait, l’un des premiers usagers à avoir toqué à la porte de ce véhicule social pour demander de l’aide, des conseils, une écoute et des idées. Concrètement, l’équipe du Solimob lui sert d’agent de liaison entre les deux CPAS qui ont actuellement connaissance de son cas. Norine Grenier, la «gestionnaire des situations complexes» (case manager) au sein du projet Solimob, valorise totalement ce rôle d’intermédiaire entre des personnes devenues méfiantes des structures publiques et ces mêmes structures sociales. «Solimob ne sert pas à dire: ‘Hey ho, il te faut une adresse de référence, sinon tu n’auras pas d’aide sociale, hein!’, indique-t-elle. On est justement là pour chercher des solutions qui vont dans le sens de la personne qui fait appel à nous, des solutions qui vont dans le sens de son projet.»

L’enjeu est évidemment de ne pas se mettre les institutions à dos, tout en défendant les bénéficiaires. Mais Norine Grenier et Amélie Moureau sont de fines équilibristes et ne perdent pas de vue que la première personne à aider est celle qu’elles ont rencontrée sur le terrain. Si Luc a besoin de soutien pour se rendre à un rendez-vous de la dernière chance avec un CPAS en particulier, c’est à ses côtés que les deux employées de Solimob travailleront.