De plus en plus d’hommes se déclarent prêts à changer leurs comportements pour devenir des alliés féministes. Oui, mais comment ? Les avis divergent.
«Je parle au nom de tous ceux qui savent que leur comportement doit continuer à se modifier. On a l’impression de faire des efforts, et puis on se rend compte qu’on continue à se tromper». Sur le plateau de l’émission Quotidien, l’acteur Manu Payet fait acte de contrition. «Il y a des vieilles blagues de boomer, tu t’entends les dire, et après tu te demandes: ‘j’ai vraiment dit ça ?’ Parfois j’ai l’impression d’être un collègue de mon père. Il faut que j’essaie de ne plus l’être, de moins l’être. Et, un jour, plus du tout.»
Applaudies par un public conquis, ses confidences m’énervent. Moi aussi, pourtant, je m’efforce d’être un homme meilleur, en prenant ma part de la charge ménagère, en m’abstenant de mansplaining et en questionnant mes privilèges masculins. Mais que d’autres hommes affichent publiquement leur repentance m’horripile. Peut-être est-ce parce que je les soupçonne d’être des «performative male» , le terme en vogue pour désigner ces hommes qui cherchent surtout les bénéfices pour leur image de s’afficher déconstruits ? A moins que mon irritation ne relève de la «himpathy» , qui désigne le sentiment de solidarité masculine face aux revendications féministes ?
J’ai découvert ce dernier mot grâce à Quentin Delval. Ce philosophe belge a publié un essai intitulé «Comment devenir moins con en 10 étapes» (Editions hors d’atteinte, 2023). Le livre est un guide pratique pour aider les hommes à prendre conscience des stratégies d’esquive par lesquelles ils délèguent trop souvent à leurs compagnes les charges ménagères et émotionnelles.
Pour Quentin Delval, construire l’égalité entre les femmes et les hommes débute par la reconnaissance d’une infirmité émotionnelle chez les derniers. Au départ de ce constat, il développe des solutions pratiques pour les amener à changer.
Sa démarche n’est pas isolée. Même s’il n’existe pas de mesure précise du phénomène¹, de nombreux hommes expriment aujourd’hui leur soutien à la cause féministe et certains affichent leur volonté d’agir. La première édition du festival des masculinités positives, organisée en mars à Bruxelles, les réunissait pour réfléchir aux modalités concrètes. J’y ai participé.
Travail émotionnel
Il est encore relativement tôt, samedi matin, et les rangs de la salle principale sont clairsemés. Organisé sur deux jours aux Grands Carmes, un espace habituellement réservé à la communauté LGBTQIA+, le festival des masculinités positives propose de «déconstruire les stéréotypes liés aux dynamiques de genre».
Ouvert à tout le monde, « quel que soit votre genre ou votre cheminement», l’événement a surtout attiré des personnes familières à la cause. Après nous avoir salué d’un «bonjour à toustes», l’équipe organisatrice pose le cadre. Bienveillance requise, «salle de care» pour trouver du « soutien émo» et espaces en non-mixité pour «les hommes et les personnes dont le parcours a été traversé par la masculinité». Le choix des mots nous situe déjà sur un mode avancé de la déconstruction. Si, sur un malentendu, des tontons réacs se sont glissés parmi nous, ils risquent d’être dépaysés.
Andrée Chapatte fait partie de l’organisation. En jupe et t-shirt, maquillage sur barbe de trois jours, iel a largué les amarres des normes viriles. Cet artiste-performeur proposera en fin d’après-midi un atelier aidant les hommes à se connecter à leur tactilité. Ce matin, un court-métrage projeté donne un avant-goût. Des hommes sont invités à se regarder dans les yeux et à s’avancer l’un vers l’autre très lentement. Le film capture la tension de ce moment, quand ces hommes d’âge mûr, peu habitués à exprimer leur vulnérabilité, finissent nez à nez et se prennent dans les bras. A l’écran, leur visage exprime un profond soulagement, comme s’ils s’étaient débarrassés d’un poids. Je me sens mal à l’aise. Est-ce que je vais moi aussi me livrer à l’exercice plus tard dans la journée ?
Entre deux ateliers, Andrée m’explique que l’objectif est d’aider les hommes à accéder à des émotions que la société les a habitués à refouler. «Mieux ressentir ne va pas directement changer la société, mais cela outille les hommes à être moins dépendants des femmes pour une série de besoins émotionnels. Cela leur permet de sortir des injonctions sociales, comme de devoir maintenir le contrôle», pose-t-il. «Si je me retiens de prendre un ami dans les bras parce que je me dis que c’est gay… et bien au lieu d’être dans ces injonctions, on peut s’écouter».
Le mec bien n’existe pas
Un premier débat prend un tour inattendu quand une participante rompt l’unanimisme ambiant. «En tant que féministe, je ressens une grande tristesse et une déception» . S’il est positif que des hommes débattent de leurs émotions, «cela n’est pas un travail féministe en ce sens que cela construirait l’égalité», affirme Rachel. Sa prise de parole jette un froid dans l’assemblée. J’avais l’impression de couvrir l’avant-garde de la lutte anti-patriarcale, mais visiblement, j’avais loupé un épisode.
L’intervenante est membre de l’association féministe La Bonne Poire, qui détaillera ses griefs dans une newsletter quelques jours plus tard. «L’approche choisie par le festival pourrait être capturée par cette question : ‘comment amener les hommes à s’intéresser au féminisme sans les brusquer ?’ On se demande, nous : pourquoi faudrait-il ménager les hommes dans le processus de prise de conscience qui concerne des violences qu’ils perpétuent (volontairement ou involontairement) ? (…) Nous ne voyons aucun homme bouger sur ces questions sans être bousculé. Le féminisme ne doit pas être une entreprise de réassurance pour les hommes, mais un projet de transformation radicale des rapports sociaux.»
Pour mieux comprendre la critique, je prends rendez-vous avec Leila Ferry. Doctorante sur les enjeux de genre à l’ULB, elle est l’une des fondatrices de La Bonne Poire. L’association organise des sessions mensuelles de discussion, pilotées par des femmes, pour les hommes qui souhaitent s’engager dans une voie féministe. Elle se méfie des groupes de paroles d’hommes non-mixtes. «Ces groupes de parole sont très codifiés. Chaque personne est considérée à égalité et parle de son vécu, sans qu’on puisse rebondir ou critiquer, mettre en perspective. Et donc dans des cercles, tu peux entendre des choses problématiques qu’il n’est pas possible de questionner». D’après Leïla Ferry, les groupes d’hommes non-mixtes seraient problématiques en tant que tels. «Les études sociohistoriques ont montré que la non-mixité masculine au mieux se casse la gueule et au pire dérive vers des questions masculinistes essentialisantes».
En bons féministes, les organisateurs du festival acceptent les critiques. Elles sont «valides sur le plan académique», m’explique Hugo Mega devant un café que je prends avec l’équipe organisatrice quelques semaines après le festival. Ce travailleur social a fondé en 2022 l’organisation Liminal, qui propose des groupes de paroles masculins.
Il revendique néanmoins les choix posés autour du festival, destinés à attirer un public large.
«Comment ne pas éloigner les hommes qui sont le public qu’on veut avoir au centre du travail de déconstruction ? Il faut trouver un équilibre. Beaucoup d’hommes vont venir vers nous d’abord parce qu’ils veulent dissoudre des souffrances que le patriarcat leur donne», explique-t-il. Les hommes attirés par les groupes de discussion masculins ne viennent en effet pas forcément d’abord pour faire progresser la cause des femmes, mais pour évoquer «ma relation à mon père, à mon frère, ma relation aux autres hommes, à moi-même, mon corps, mon addiction, ma sexualité». L’objectif est de partir de là, pour ensuite «les placer dans un contexte plus militant sur les violences faites aux femmes, les agressions, l’oppression masculine» .
Comme d’autres groupes de parole masculins nés au tournant des années 2020², Liminal s’inscrit dans un courant féministe plus marqué en réaction à la tradition précédente de travail masculin. «Par exemple, le Mankind project est critiqué pour cela, car c’est du travail de développement personnel de libération des hommes du patriarcat et des souffrances patriarcales, mais qui ne prend pas en compte toute la dimension d’oppression faite aux femmes».
Avant d’assister au festival, j’avais participé à un groupe de parole non-mixte organisé par Liminal. La session, consacrée au «mythe du mec bien», avait pour objectif d’empêcher que les hommes se reposent sur leurs lauriers parce qu’ils auraient fait quelques efforts. Moi qui me prenais pour un type pas trop mal, j’en avais pris pour mon grade. Entre autres conseils prodigués, Hugo m’avait poussé à confronter un ami qui laisse toutes les tâches ménagères à sa compagne. Cette attitude me dérange, mais je trouve compliqué de faire la morale à un ami, avais-je expliqué. La posture d’homme féministe requiert d’oser défendre les femmes de notre entourage même quand c’est inconfortable, m’avait répondu Hugo.
Devenir un allié
Retour au festival, dont les rangs se garnissent au fur et à mesure de la journée, qui se poursuit par un groupe de travail sur les «hommes alliés», donné par Hugo et Yvan Coppin, un syndicaliste français de la CGT actif dans la lutte féministe. «Si les alliés ne s’engagent pas de façon pratique, cela ne sert à rien», explique-t-il. Les hommes doivent agir concrètement, et « pas juste au moyen d’un engagement intellectuel qui donne un petit badge» . Nous nous répartissons en cinq groupes d’une dizaine de personnes, chacun chargé de plancher sur une charte concrète. «Attention à ne pas monopoliser la parole, surtout les hommes», prévient Hugo.
A ma table, on se demande comment laisser davantage de place aux femmes, notamment dans les espaces de pouvoir. L’allié, tel que nous le dessinons dans une ambiance plutôt joviale, doit aider les femmes quand, au travail par exemple, leur compétence est indûment rabaissée ou qu’on leur coupe la parole. Nous évoquons aussi le «care», toutes ces tâches de soutien familial auxquelles les hommes pourraient prendre leur part.
La première journée de festival se termine dans la bonne humeur, mais je ne me sens toujours pas prêt à assister à l’atelier d’exploration sensorielle. En guise de prétexte pour y échapper, je me dirige vers le stand d’information sur la contraception thermique masculine. Le principe ? Porter un anneau en silicone durant 15 heures par jour, afin de faire remonter les testicules à l’intérieur du corps, où la température réduira à néant la fertilité. Exigeant, d’autant plus que la méthode n’est pas approuvée par les autorités de santé publique. «Elle est pourtant validée scientifiquement», explique-t-on. Certains médecins accepteraient de l’encadrer (une liste circule) et, au festival, un atelier de fabrication DIY d’anneaux en silicone est organisé le dimanche. «C’est révolutionnaire, en ce sens que cela a toujours été les femmes qui devaient se responsabiliser par rapport à la contraception», m’explique Pierluigi, un trentenaire qui s’apprête à tenter l’expérience. «Je pense que c’est important que nous, en tant qu’hommes, on porte un peu nos couilles (rires)». Je lui objecte que c’est quand même fastidieux. « On verra comment ça se passe», répond-il. «Je pense que ça va me faire un peu mal les premiers jours, les premiers mois, mais je suis prêt à essayer» . Je tends le micro à Margaux, qui passe par là. Nous parlons des effets secondaires et du prix de la pilule contraceptive, souvent supporté par les femmes. «Je trouve ça hyper riche d’entendre» parler de contraception masculine. «Ça me donne plein d’espoir de voir des hommes qui se soucient de ces questions-là». Entre les sexes, avec un peu de bonne volonté, il y a sans doute de nouveaux terrains d’entente à arpenter. Il se pourrait même que des hommes empruntent ce chemin sans avoir été brusqués.
¹ Une étude IFOP de 2022 pour L’Obs révélait que 48 % des hommes de moins de 35 ans déclaraient qu’« être féministe, c’est important pour moi ».
² Outre Liminal, d’autres groupes d’hommes féministes sont actifs en Belgique, tels que «Parle de toi si tu es un homme» , «La Bonne Poire» ou «Nous sommes» . Dans ces deux derniers groupes, la discussion est modérée par des femmes.