Les pansements de la société

Chaque jour, dès le petit matin, la Team Herscham s’élance dans les rues de Bruxelles. Sa mission: arpenter les parkings, les tunnels, les ponts, là où la précarité se fait plus criante. Derrière le volant, Pascal Goddard, inspecteur depuis deux ans et demi au sein de la Team, lance la radio, branchée sur Nostalgie. À ses côtés, Chris Vandenhaute, vétéran de l’équipe, consulte la liste des sites à visiter. La veille, un chiffre a frappé l’inspecteur: près de 10.000 personnes sans domicile fixe à Bruxelles, une hausse de 25% en deux ans selon le dernier recensement. «Nous sommes les pansements de la société», glisse Pascal, conscient de l’ampleur de la tâche. Ce matin-là, Chris et Pascal s’apprêtent à effectuer un contrôle sur une dizaine de sites différents pour prévenir les personnes de l’arrivée, dans l’après-midi, du service voirie de la Ville de Bruxelles.

Créée en 2003, cette équipe de cinq policiers arpente les rues de la capitale, non pour disperser les sans-abri, mais pour leur offrir un soutien concret, notamment dans la reconstitution de leur identité administrative. «Sans papiers, on n’existe pas en Belgique. Impossible de louer un logement, d’ouvrir un compte bancaire ou de signer un contrat de travail», explique Chris, fort de plus de vingt ans d’expérience, dont dix au sein de la Team Herscham. Cette démarche est au cœur de leur action: redonner une identité et, avec elle, une dignité. «Certains vivent dans la rue sans aucun papier, mais une fois qu’ils ont à nouveau une carte d’identité ou un passeport, ils se sentent à nouveau quelqu’un, ils existent, ils vivent encore», insiste-t-il.

Créée en 2003, cette équipe de cinq policiers arpente les rues de la capitale, non pour disperser les sans-abri, mais pour leur offrir un soutien concret, notamment dans la reconstitution de leur identité administrative.

Le défi est de taille. Ces personnes, souvent marquées par des parcours difficiles, nourrissent une méfiance profonde envers les institutions, en particulier la police. «Il faut aborder tout le monde avec un esprit ouvert, sans préjugés. Nous travaillons souvent en civil, car, pour certains, l’uniforme est synonyme de répression», souligne Chris. Jour après jour, les inspecteurs patrouillent, reviennent, écoutent, tissent des liens. «La confiance se construit au fil du temps, parfois sur plusieurs mois. Notre présence régulière finit par instaurer une relation de confiance», confirme Pascal.

Chaque mercredi, la Team Herscham tient une permanence ouverte à tous, sans rendez-vous. Les personnes sans abri peuvent y venir pour un café, un moment d’écoute, ou pour entamer des démarches administratives. Le bouche-à-oreille fonctionne à plein: «Les personnes se passent l’information entre elles, nos partenaires sociaux relaient aussi la possibilité de venir nous voir», explique encore Pascal. Ce rendez-vous hebdomadaire est un point d’ancrage dans un quotidien souvent chaotique.

L’équipe intervient sur le terrain, là où la présence de sans-abri peut générer des tensions. «Nous restons policiers, mais le lien déjà établi facilite l’acceptation de nos conseils», note Chris. Ce travail de terrain révèle néanmoins une réalité en mutation: la précarité touche désormais un public plus jeune, aux origines diverses.

L’équipe intervient sur le terrain, là où la présence de sans-abri peut générer des tensions. Ce travail de terrain révèle néanmoins une réalité en mutation: la précarité touche désormais un public plus jeune, aux origines diverses.

Chaque semaine (ou toutes les deux semaines en hiver), la Team Herscham mène une «action voirie» pour gérer les campements improvisés en ville, conformément à l’article 34 du règlement général de police. L’équipe prévient les personnes concernées, leur donne du temps pour ranger leurs affaires, et n’intervient qu’en dernier recours. L’objectif est de maintenir l’équilibre urbain et la propreté. Chris souligne l’augmentation des situations problématiques: d’une quinzaine de lieux il y a dix ans, ils en recensent aujourd’hui plus de 80. Les actions sont ciblées sur dix à douze endroits problématiques à chaque intervention. La Team Herscham veille à ce que les personnes ne perdent pas leurs biens essentiels (sacs, couvertures, documents) et agit toujours de façon transparente, en informant les occupants au préalable.

La Team s’inscrit en outre dans tout un réseau et collabore étroitement avec les services sociaux, la Croix-Rouge, le Samusocial, les équipes de rue et des psychologues. «On essaie d’être l’araignée dans la toile sociale, de faire le lien entre tous les acteurs», explique Chris. Mais la coordination reste un défi. «À Bruxelles, malgré la plateforme régionale ‘Bruss’ Help’, chaque acteur travaille dans son coin. Au Canada, policiers, assistantes sociales et psychologues patrouillent ensemble, ici chacun se replie sur le secret professionnel, ce qui complique le travail», regrette Chris qui évoque aussi le grand va-et-vient dans les services sociaux.