En tension

Chris se dirige vers le piétonnier. La situation s’est tendue ces dernières semaines, notamment avec l’arrivée de nouveaux groupes, tous consommateurs de drogues. Des incidents se multiplient, et les équipes sociales peinent à suivre. «Ce n’est pas évident. Ils font un boulot extraordinaire avec peu de moyens. Leur seule arme, c’est le dialogue», constate l’inspecteur. La patience et l’écoute restent en effet souvent les seuls outils face à la précarité et à l’absence de solutions structurelles. «Ton cœur, ton âme, ton énergie, tu mets tout dedans et, à la fin du compte, tu fonces toujours dans un mur, quoi», résume un travailleur social en rencontrant Chris pour faire le point avec lui sur la situation «Depuis le début du mois, c’est catastrophique», confie le travailleur social. Les incidents se multiplient: le matin même, un homme s’est fait écraser le pied en dormant sur la route, refusant de se rendre à l’hôpital malgré l’intervention de la police et des ambulanciers.

La patience et l’écoute restent en effet souvent les seuls outils face à la précarité et à l’absence de solutions structurelles.

Les problèmes de santé mentale et de consommation de stupéfiants ont explosé ces dernières années. «Avant et après la crise sanitaire, la différence est énorme», note le policier. «L’un joue sur l’autre.» Les patrouilles du matin croisent des personnes désorientées, pas forcément agressives, mais perdues, abîmées par des années d’errance. «Il faut être fort pour garder le moral quand tu n’as qu’un sac à dos et une couverture», témoigne Chris.

Dans ce Bruxelles en tension, la Team Herscham poursuit son travail de fourmi, entre empathie, fermeté et désillusion. «Aujourd’hui, la rue est un vortex qui aspire des vies, et la société n’arrive plus à offrir de portes de sortie.» Tant que la ville restera le point de convergence de toutes les détresses, policiers et travailleurs sociaux devront continuer à inventer, chaque jour, des solutions provisoires pour un problème qui, lui, ne cesse de croître.

Tant que la ville restera le point de convergence de toutes les détresses, policiers et travailleurs sociaux devront continuer à inventer, chaque jour, des solutions provisoires pour un problème qui, lui, ne cesse de croître.

Chris ne cache pas son inquiétude. «Il y a vingt, vingt-cinq ans, t’avais pas ça. Quand j’ai commencé comme policier ici, en 1999, il y avait des gens dans la rue, mais pas autant. Des gens sans papiers, mais pas autant. Aujourd’hui, on se retrouve devant un stade Roi Baudouin plein qui doit se débrouiller en rue.» La diversité des situations complique encore la tâche: migrants économiques, réfugiés de guerre, personnes sans papiers, toxicomanes, personnes souffrant de problèmes de santé mentale. «On n’a pas beaucoup de victoires. Mais quand on a une petite victoire, quand on arrive à sortir quelqu’un de la rue, c’est là qu’on voit l’importance de notre travail, et c’est pour cela qu’on continue à essayer.»