Alter Échosr
Regard critique · Justice sociale

Santé

La santé mentale inégale avec les femmes

Les inégalités hommes-femmes imprègnent le champ de la santé mentale (psychiatrie, psychanalyse et psychologie) et les approches thérapeutiques n’en tiennent pas toujours compte.
>> Vous désirez lire notre revue ? Envoyez un mail avec «AE 429/430 + adresse » à mmx@alter.be

Portrait de Nellie Bly par H. J. Myers, 1890 - source : WikiCommons

Les inégalités hommes-femmes imprègnent le champ de la santé mentale (psychiatrie, psychanalyse et psychologie) et les approches thérapeutiques n’en tiennent pas toujours compte.

Les femmes souffrent davantage de troubles de santé mentale que les hommes. Elles sont deux fois plus touchées par la dépression que les hommes et consomment également plus de psychotropes. Ces constats ressortent tant des études épidémiologiques que des dernières enquêtes réalisées par l’Institut scientifique de santé publique. Comment expliquer cette disparité? Toutes folles, les femmes? «Chaque homme, chaque femme vit une vie parsemée d’embûches. Il n’en reste pas moins que naître homme ou femme, aujourd’hui, conditionne à s’adapter à des rôles déterminés par notre entourage social et culturel. Dans un tel contexte, il n’est donc pas étonnant que des inégalités existent aussi dans le domaine de la santé mentale. Parfois elles sont objectivables, car elles proviennent de nos spécificités physiologiques. Mais dans ce domaine comme tant d’autres, les approches thérapeutiques ne sont pas suffisamment analysées sous l’angle du genre», écrit Carmen Castellano, secrétaire générale des Femmes prévoyantes socialistes dans la dernière revue du mouvement, consacrée à «la santé mentale au féminin»(1). Les femmes restent de nos jours trop et mal diagnostiquées. Elles sont aussi plus «à risque», mais pas toujours pour les raisons avancées par la médecine.

Trop diagnostiquées

«Il existe une conception historique de la femme instable psychologiquement, plus fragile, plus sensible», observe Roxanne Chinikar, psychologue clinicienne et co-organisatrice d’un colloque sur la psychologie féministe à l’ULB l’an dernier. «Quand on décortique, on remarque que les femmes sont plus diagnostiquées parce que les symptômes des troubles (avalisés dans le DSM, Diagnostic and statistical manual of mental disorders, NDLR) correspondent au rôle social qu’on attend d’elles. On peut citer par exemple le syndrome de dépendance (‘Dependent personality disorder’ dans le DSM, NDLR). Le contraire s’observe aussi, poursuit la psychologue, si des femmes ne répondent pas aux attentes sociales, qu’elles s’y opposent notamment par la violence, elles vont être diagnostiquées bipolaires.» Pour elle, «sans analyse féministe, c’est-à-dire sans prise en compte des rapports sociaux de sexe, on pose trop de diagnostics sur les femmes et on médicalise à outrance». Elle pointe également la responsabilité des industries pharmaceutiques, qui participent aussi à cette pathologisation des corps et des âmes des femmes: «Elles destinent principalement leurs publicités pour antidépresseurs aux femmes. Les photos avant-après opposent des visages de femmes marquées par la vie à des visages lisses, comme si porter des signes de souffrance ou d’émotions était nécessairement le signe d’une maladie.»

«Il existe une conception historique de la femme instable psychologiquement, plus fragile, plus sensible.» Roxanne Chinikar, psychologue et féministe

«La prévalence des dépressions chez les femmes s’explique aussi par l’accès aux soins, observe Xavier Briffault, chercheur en sciences sociales et épistémologie de la santé au CNRS. Les hommes ont moins recours aux services de santé mentale que les femmes. Ils auront tendance à reporter leur mal-être sur autre chose: manque de motivation, fatigue… Les hommes meurent trois fois plus de suicide que les femmes. Sur le plan de l’accès aux soins, les hommes sont donc les parents pauvres de la prise en charge de la santé mentale.» Pas si sûr pour Vie féminine qui a consacré en 2011 une étude à la santé mentale des femmes(2): «Dans cette société, il vaut mieux être un homme car si un homme fait une dépression, il sera pris au sérieux et saura mieux gérer sa santé mentale: pour lui, on va creuser, chercher des causes tandis que pour une femme, elle fait une dépression, voilà c’est comme cela», déplore l’une des femmes interrogées. Ces disparités indiquent en tout cas que les rôles sociaux influencent l’identification des symptômes chez les deux sexes.

Femmes plus à risque

Tout le monde s’accorde en revanche pour dire que les femmes sont plus à risque. «Non pas en raison de leur ‘nature’ ou de quelconques prédispositions génétiques mais bien pour des raisons sociologiques», explique Xavier Briffault qui cite le stress, les violences et agressions sexuelles, le faible niveau de revenus, la dépendance financière ou encore la précarité professionnelle(3)… «Les femmes sont dans une surcharge permanente. En réponse à leurs plaintes, les médecins prescrivent trop souvent des anxiolytiques pour un problème social et culturel plus qu’individuel…», déplore Catherine Markstein, médecin et fondatrice de l’asbl Femmes et Santé, qui vise à promouvoir la santé des femmes à un niveau individuel et collectif dans une optique d’autodétermination des femmes. Selon elle, la détresse des femmes est trop souvent perçue comme une pathologie au lieu d’être liée à un système défaillant.

Reconnaître les causes sociales ne signifie pas qu’il faut s’y limiter. «Les médecins généralistes ont une tendance à surimputer les problèmes sociaux comme cause des problèmes mentaux. Ils cherchent des explications dans la réalité sociale et font de la compensation pharmacologique à des réalités sociales. Ils ne parviennent pas toujours à articuler psychisme et réalité sociale», analyse Xavier Briffault. Or, nier le mal-être individuel, c’est aussi ignorer la souffrance des femmes.

«Il est urgent de développer une sociologie de genre dans la psychothérapie.» Xavier Briffault, chercheur en sciences sociales et épistémologie de la santé au CNRS

Aussi, certains médecins, conscients des différences femmes-hommes en termes de physiologie, continuent de tout expliquer par les hormones. «Il y a des cycles de vie différents chez les hommes et chez les femmes comme la ménopause ou la grossesse. Ces événements peuvent générer des troubles de l’humeur. On peut citer la dépression post-partum. Il arrive que les médecins se limitent aux variations hormonales. Ils ne se préoccupent pas de savoir si elles sont aussi liées à des changements d’identité…», observe Xavier Briffault. Et de rappeler que la santé mentale doit s’analyser sur les plans biologique, psychologique et social: «Il faut agir sur ces trois composantes conjointement. Tout est imbriqué.» Exemple avec les troubles du sommeil: «Si une femme prend son enfant en bas âge seule la nuit, elle va pouvoir développer des troubles du sommeil qui entraînent une dépression très sévère. Le biologique est donc altéré mais l’origine est sociale. Un médecin va-t-il analyser les rapports de pouvoir dans le couple pour expliquer cette dépression?», s’interroge Xavier Briffault. Pourtant, sans tenir compte des rapports de genre, la responsabilité des troubles peut retomber sur les femmes. «Les femmes se sentent alors non seulement mal mais également responsables de leur état», explique le chercheur.

Des espaces pour les femmes

«Il est urgent de développer une sociologie de genre dans la psychothérapie», considère Xavier Briffault. Catherine Markstein défend l’existence d’espaces d’entraide et de solidarité, hors des thérapies traditionnelles, ces dernières pouvant reproduire une relation de pouvoir (patiente vs expert), où les femmes pourraient déposer leurs paroles, sans automatiquement être considérées comme malades. «Les médecins n’ont pas assez d’informations pour envoyer les femmes dans des filières comme cela, et les femmes elles-mêmes n’ont même pas le temps. Aujourd’hui, les consultations chez le médecin sont l’un de seuls endroits où les femmes peuvent déposer leur souffrance et elles se voient prescrire des psychotropes en retour», regrette-t-elle. Certains lieux, sensibles aux rapports sociaux et aux inégalités hommes-femmes, existent aujourd’hui. Il s’agit principalement d’espaces qui ont pour public les femmes comme le Groupe pour l’abolition des mutilations sexuelles (GAMS) ou les plannings familiaux. «Mais ils sont encore trop rares», souligne Roxanne Chinikar.

(1) Femmes plurielles, septembre 2016. http://www.femmesprevoyantes.be/SiteCollectionDocuments/fp/FemmesPlurielles_Sept2016_WEB.pdf

(2) «Santé mentale : quelques balises pour une approche féministe», étude de Vie féminine réalisée en 2011.

(3) Selon l’OMS (2013), les femmes ont deux fois plus de risques de souffrir de dépression que les hommes.

Manon Legrand

Manon Legrand

Pssstt, visiteur, visiteuse du site d'Alter Échos !

Nous sommes heureux que vous soyez si nombreux à nous suivre sur le web. Nous avons fait le choix de mettre en accès gratuit une grande partie de nos contenus, notamment ceux en lien avec le Covid-19, pour le partage, pour l'intérêt qu'ils représentent pour la collectivité, et pour répondre à notre mission d'éducation permanente. Mais produire une information critique de qualité a un coût. Soutenez-nous ! Abonnez-vous ! Et parlez-en autour de vous.
Profitez de notre offre découverte 19€ pour 3 mois (accès web aux contenus/archives en ligne + édition papier)