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Regard critique · Justice sociale

Economie

Une histoire iconoclaste de la dette

Dans cet ouvrage orienté par une vision altermondialiste, voire anarchiste, l’économiste et anthropologue américain David Graeber dépeint 5 000 années d’histoire de la dette. Une brique de 600 pages qui a fait le buzz.

Dans cet ouvrage orienté par une vision altermondialiste, voire anarchiste, l’économiste et anthropologue américain David Graeber dépeint 5 000 années d’histoire de la dette. Une brique de 600 pages qui a fait le buzz.

Dans l’introduction, David Graeber, universitaire à la London School of Economics et un des leaders du mouvement Occupy Wall Street, plante d’emblée le décor en mettant à mal l’idée communément admise selon laquelle il faudrait rembourser ses dettes. Partant du présupposé que le taux d’intérêt est là pour compenser l’éventuel risque de ne pas l’être, il estime que dans certaines circonstances, notamment qui concernent les pays du Tiers monde, les dettes contractées par des dictateurs non élus n’ont pas à être remboursées par une population exsangue. L’auteur estime que même dans le cadre de la théorie économique admise, l’énoncé « On doit toujours payer ses dettes » n’est pas vrai : c’est d’ailleurs pour cette raison qu’il existe des réglementations sur les faillites.

Pour lui, cette règle ressort avant tout à la morale. « Ce n’est pas vraiment un énoncé économique, c’est un énoncé moral. Après tout, payer ses dettes, n’est-ce pas l’alpha et l’oméga de la morale ? Donner à chacun son dû. Assumer ses responsabilités. »

Comme le relève l’éditeur dans la présentation de l’ouvrage, David Graeber montre que le vocabulaire des écrits juridiques et religieux de l’Antiquité (avec des mots comme « culpabilité », « pardon » ou « rédemption ») est issu en grande partie des affrontements antiques sur la dette. Or ce vocabulaire fonderait nos conceptions les plus fondamentales du bien, du mal, de la liberté…

Un système de domination

Dette : 5000 ans d’histoire se base, comme son nom l’indique, sur une analyse historique de l’existence de la dette à travers les âges, démontrant que le système du crédit existe depuis l’apparition des premières sociétés agraires, précédant de loin l’invention de la monnaie et supplantant largement le mythe du troc, largement répandu. Pour l’auteur, l’endettement structure nos économies, nos rapports sociaux et jusqu’à nos représentations sociales. David Graeber postule que la dette est une construction sociale qui fonde les rapports de force et de pouvoir au sein de la société. Il compare les emprunteurs pauvres de nos pays riches et du Tiers-Monde aux débiteurs insolvables qui ont jadis nourri l’esclavage. Pour Graeber, « l’histoire montre que le meilleur moyen de justifier les relations fondées sur la violence, de les faire passer pour morales, est de les recadrer en termes de dette. Les mafieux le comprennent. Les conquérants aussi. Depuis des millénaires, les violents disent à leurs victimes qu’elles doivent quelque chose. »

Une façon clairement orientée, mais assez puissante d’appréhender les modes de fonctionnement qui traversent nos sociétés. Orientée, mais extrêmement documentée, la thèse de l’auteur se base sur une analyse approfondie de l’histoire en partant des Sumériens jusqu’à nos jours.

Plaidoyer pour un effacement de l’ardoise

Si Graeber se penche surtout sur l’annulation de la dette des États, ses réflexions viennent aussi trouver un certain écho en ce qui concerne nos débiteurs surendettés. Pour justifier cette possible annulation, Graeber se réfère à l’histoire : dans une interview accordée à l’e-mensuel Regards.fr, il cite le cas de la Mésopotamie antique où « lorsqu’il apparaissait clair qu’on allait perdre définitivement le contrôle du système, les dettes étaient tout simplement annulées. Généralement, la dette commerciale qui était comptabilisée par l’argent, était maintenue, mais la dette des consommateurs, comptabilisée en grain, était annulée. Les péons (NDLR les débiteurs qui doivent travailler pour leur prêteur jusqu’à ce que leurs dettes soient apurées) étaient autorisés à rentrer chez eux. »

 Des modalités mises en œuvre dans le cadre du règlement collectif de dettes, mais sans avoir abandonné les concepts de morale, de culpabilité et de rédemption. Une manière d’aborder l’effacement de la dette appliquée aux particuliers. Beaucoup moins aux banques en cas de crise financière.

Aller plus loin

Alter Échos n° 358 du 02.05.2013 : La dette à la loupe citoyenne

En savoir plus

David Gaeber, Dette : 5000 ans d’histoire, éditions Les liens qui libèrent, 2013

Cet article a été publié initialement dans les Échos du Crédit n°40 octobre-novembre-décembre 2013

Nathalie Cobbaut

Nathalie Cobbaut

Rédactrice en chef Échos du crédit et de l'endettement

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