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Regard critique · Justice sociale

Vie de quartier

Toestand: «Lancez-vous sans trop réfléchir»

À deux pas de Tour & Taxis, l’Allée du Kaai est un lieu où les gens du quartier venant de tous horizons se rencontrent. Beaucoup de jeunes, mais pas uniquement. Rencontre entre une table de ping-pong et un skatepark.

Aubry Touriel 27-03-2017 Alter Échos n° 443

À deux pas de Tour & Taxis, l’Allée du Kaai est un lieu où les gens du quartier venant de tout horizon se rencontrent. Beaucoup de jeunes, mais pas uniquement. Rencontre entre une table de ping-pong et un skatepark.

Samedi 25 mars, 18 heures. Dès qu’on entre dans les hangars de l’Allée du Kaai, on sent que ça grouille de vie. Des jeunes jouent au ping-pong ou au billard. Dans la cuisine, un collectif prépare des repas. Des jeunes et moins jeunes de toute origine se retrouvent autour d’un verre. Dehors, des groupes de jeunes s’entraînent dans le skatepark.

Une première en Belgique

En septembre 2014, l’Allée du Kaai voit le jour. En attendant le réaménagement définitif de bâtiments le long du quai des Matériaux en un parc, Bruxelles Environnement propose une occupation temporaire des lieux. C’est l’asbl Toestand qui remporte alors l’appel et s’occupe de la gestion. Dans les quatre espaces mis à sa disposition, elle entend être un lieu de rencontre ludique et informel, où des initiatives sociales, culturelles et sportives peuvent être développées et soutenues.

«C’est la première fois qu’un service public développe et assure le suivi d’une occupation provisoire en Région bruxelloise. C’est positif. Nous avons une bonne collaboration avec Bruxelles Environnement», assure Pepijn Kennis, coordinateur général de l’asbl Toestand.

«Nous voulons que plus de personnes s’y mettent. Rien que dans la Région de Bruxelles-Capitale, on compte 6,7 millions m2 de bâtiments inoccupés.», Pepijn Kennis, asbl Toestand

L’objectif de l’association Toestand est de réactiver les bâtiments inoccupés en y organisant des activités socio-culturelles, car beaucoup de personnes ne trouvent pas d’espaces pour s’exprimer. Elle s’occupe pour l’instant d’Allée du Kaai, mais également de deux autres projets dans le cadre de contrats de quartier durable: Biestebroek (Anderlecht), un site d’environ 6.000 mètres carrés, qui accueille diverses associations bruxelloises pour encourager les collaborations avec les organisations qui se concentrent sur l’aide aux populations vulnérables. Pour le projet Marie Moskou, la commune de Saint-Gilles et Toestand développent un projet collaboratif pour repenser la place Marie-Janson.

L’asbl est également en train de rédiger un manuel sur l’utilisation temporaire des bâtiments inoccupés. «Nous n’avons pas le monopole, nous voulons que plus de personnes s’y mettent. Rien que dans la Région de Bruxelles-Capitale, on compte 6,7 millions m2 de bâtiments inoccupés. Dans le même temps, bon nombre de personnes n’ont pas accès à un espace par manque d’argent ou parce que c’est trop difficile à trouver. Tout le monde peut le faire, mais parfois, on a besoin d’un coup de main», explique Pepijn Kennis.

Allée du Kaai, la ville en petit

Retour le long des quais du canal, à l’Allée du Kaai. Derrière le comptoir, Felix Aerts, l’un des fondateurs de l’asbl Toestand, assure la permanence. Il explique les différentes activités organisées: projection de films dans un bus de la STIB transformé en cinéma, cours de boxe, sessions de skate, cours d’acrobatie-tissu. Dans le petit hangar, il y a un atelier vélo-bois-métal. Des permanences sont organisées trois fois par semaine: mercredi, vendredi, samedi. «On est ouvert à tout le monde. Il y a également des activités de prévu, mais l’idée, c’est d’être un espace où tu peux venir boire un verre, jouer au ping-pong, au billard. Ça a l’air d’être une maison de jeunes, car il y en a beaucoup qui utilisent l’espace, mais c’est un mix social qui représente la ville en petit», raconte Felix Aerts.

Pour organiser les activités, Toestand collabore avec une quarantaine de partenaires. L’une d’entre elles est Collectactif. Les bénévoles de ce collectif proposent par exemple chaque samedi un repas à prix libre. Ils préparent le dîner avec les invendus du marché des abattoirs pour les fruits et les légumes.

Au menu de ce soir: soupe de brocolis, une sélection de toasts accompagnée de salade de lentilles. Pour Giovanna Piazza, membre du collectif créé au départ par des sans-papiers, c’est important que les gens de tout horizon puissent se retrouver autour d’un repas. «Tous les repas sont à prix libre, comme ça, tout le monde peut accéder au dîner, chacun contribue selon ses moyens. On ne lutte pas seulement contre le gaspillage alimentaire, mais contre la pauvreté aussi. C’est une sorte d’inclusion sociale.»

«Trois tables de ping-pong gratuites, ça aide»

Direction le bar où les boissons sont à un prix démocratique: 50 cents pour un thé ou un jus de type Capri-Sun, 1 euro la bière. Ici, pas question de Jupiler ou de grandes marques, on sert de la «Freedom», une bière de distributeurs indépendants. «On ne veut pas vendre de produits venant de multinationales. Le but est de créer un espace qui est libre de consommation multinationale/capitaliste et d’avoir des produits locaux», explique Felix. Il est interrompu par un jeune qui lui demande: «Les raquettes de ping-pong!» Felix lui donne et l’ado de 15 ans s’en va sans rien dire, le coordinateur réagit alors: «Merci!» «De rien», réplique directement le jeune.

«Mettre à disposition gratuitement trois tables de ping-pong, ça aide beaucoup. Des bières à 1 euro aussi, pour un autre public que les jeunes.», Félix, asbl Toestand

Au début, cela n’a pas été toujours facile de faire connaître le projet auprès des jeunes. Toestand et ses partenaires ont utilisé différentes méthodes: bouche-à-oreille, porte-à-porte, etc. «Mettre à disposition gratuitement trois tables de ping-pong, ça aide beaucoup. Des bières à 1 euro aussi, pour un autre public que les jeunes.» Même s’il a fallu attendre quelque temps avant que les jeunes ne fréquentent le lieu, le succès a été plus grand qu’escompté.

«On a fait la promotion avec des flyers, sans vraiment prendre conscience qu’encadrer 50 jeunes, c’est difficile. Imagine un espace avec 50 ados entre 15 et 25 ans avec un ou deux encadrants de 25 ans avec peu d’expérience. On se lance dans des projets sans trop réfléchir et après on voit comment on gère tout le bordel qui va avec», avoue Felix. À un moment, ils se sont rendu compte qu’ils ne savaient plus gérer et Bruxelles Environnement a débloqué le budget pour encadrer les permanences.

Pour le moment, beaucoup de jeunes fréquentent Allée du Kaai, mais Toestand cherche à attirer des personnes d’âge moyen. Felix précise: «On recherche toujours un équilibre au niveau de la cohésion sociale. Juste un groupe, ça ne nous intéresse pas. On veut avoir le plus de groupes différents possible dans un bon équilibre.»

Le caractère temporaire libère

Tous les projets de Toestand sont temporaires. Allée du Kaai existe depuis deux ans et demi et va se terminer dans un an et demi avec la construction du parc de 3,20 ha sur le quai.

«Le caractère temporaire des projets est important, car tu n’es pas lié à un résultat final, mais tu as la liberté d’expérimenter, d’essayer des choses qui sont extraordinaires et qui n’auraient pas pu se faire autrement. Le principal, c’est d’essayer et de voir ce qu’il se passe», conclut Pepijn.

 

«Bruxelles, à qui profiteront les nouveaux quartiers?», Alter Échos n°389, Amélie Mouton, 30 septembre 2014

«Léa Frédeval, voix d’une jeunesse qui ne lâche rien», Manon Legrand, 21 octobre 2016

Aubry Touriel

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