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Regard critique · Justice sociale

Social Bistrot

Social Bistrot, le retour…

Une exploration en mots & en images au cœur de l’humain socia(b)l(e) dans les bistrots bruxellois
Épisode 2 : L’étoile de Vila Pouca

© Lucie Castel

Une exploration en mots & en images au cœur de l’humain socia(b)l(e) dans les bistrots bruxellois.

Épisode 2: L’étoile de Vila Pouca

C’est rue du Fort que nous avons cette fois posé nos fesses, nos carnets, et ouvert grand nos yeux et nos oreilles pour explorer le microcosme de ce bar de quartier fort sympathique. En ce jeudi soir torride – le thermomètre affiche 27° à l’intérieur –, on ne peut pas dire que ça se bouscule au portillon. Qu’à cela ne tienne, l’atmosphère est détendue et nous sommes dans une proximité rare avec nos sujets d’observation. Ou plutôt nos compagnons d’un soir. Le décor tient dans un rectangle. Dedans, le zinc, les machines à sous, la banquette en skaï noir, le carrelage, le papier peint à imprimé, moitié tapisserie vieux rose, moitié imprimé papillon, le classique drapeau des Diables rouges, du crépi doré, des cadres avec photos des habitués, un ventilo et une petite plante fatiguée sur un guéridon.

Au niveau des humains-clients, ça se passe comment? Eh bien, c’est la testostérone qui règne.

Il y a:

Lionel, joyeux luron facétieux qui arbore en permanence un sourire qui lui fend le visage en deux, très précisément, et qui travaille dans le bâtiment. Pourquoi venir au café? «C’est les vacances alors je viens ici car je ne n’ai pas envie de rester seul chez moi.»

Ricardo, Portugais avenant au visage buriné. Il travaille plutôt au langage corporel et ne tardera pas à nous inviter à danser.

Et René, un vieux monsieur distingué, éprouvé, lucide, qui affronte une très vilaine maladie & rêve d’une longue évasion sous le soleil de l’Espagne.

Tous ces gaillards jouent au 421.

Côté femmes: Belen, la serveuse et une dame mystérieuse. Qui sirote. Un jus multifruits. Elle est blonde, fardée de bleu. Elle a le regard transversal des personnes qui sont présentes-absentes à ce qui les entoure dans un lieu public. Elle n’est ni triste ni gaie. Elle hoche imperceptiblement la tête au son de la musique, omniprésente tout au long de la soirée. Une playlist rétro incroyable de 200 chansons* créée par René, son mari. On découvrira plus tard qu’elle répond au nom de Cathy.

Tous les samedis, l’ambiance musicale est assurée par DJ David Guetta de la rue du Fort; il mixe sur radio-cassette, une performance immanquable, dixit Lionel. Qui offre une tournée. Il fait le clown derrière le bar. On se présente. Il apprécie les dessins faits en direct et montre avec fierté une collection de portraits qu’on lui a déjà consacrés.

Belen vient s’asseoir près de Cathy. Elle est ronde & douce & souriante. Elles partagent une discussion qui se passe de mots. Une forme de communion simple et évidente.

La musique prend le dessus. Entêtante. Elle s’insinue dans les failles du réel, ajoute une touche de poésie, un peu surannée, à l’ensemble. Toutes ces chansons parlent grosso modo d’amour. Le grand thème universel. Fédérateur.

On se laisse bercer par la moite et douce atmosphère, la bonhomie des âmes du lieu. Tout semble facile, ouvert…

«Alors capitaine, t’as perdu?»

«Je vous emmerde tous!»

«Portuguèche, va manger tes sardines et m’énerve pas… Je vais lire la DH

Patrick Hernandez intervient fort à propos pour mettre tout le monde d’accord: «We were born to be alive.»

Les mâles vident leurs verres et se trémoussent au bar en nous jetant une œillade complice.

«It’s good to be alive!» Cette playlist met vraiment tout le monde d’accord.

En tant que fringant trentenaire, Lionel s’étonne: «Moi je suis bizarre. J’aime les vieux trucs comme Aznavour.» Il est allé à la Gaypride juste pour s’amuser. Il nous assure qu’il est hétéro. Il en a ramené un drapeau arc-en-ciel qu’il avait accroché dans l’arbre en face du bistrot, mais quelqu’un l’a coupé en deux. Scandaleux.

René vient d’être opéré de la gorge et, là, il a appris que le poumon est touché aussi. Ses dents lui manquent. Il se sent diminué. Il ne comprend pas ce que nous venons chercher ici. «Dans les cafés, les gens ne disent pas des choses intelligentes.»

Nous le rappelons: le Social Bistrot a pour objet de glaner des atmosphères, des tranches de vie, d’aller au cœur de lieux de libération de la parole. Sur cette dernière proposition, il est plutôt d’accord….

«Pourquoi aller au CPAS quand tu peux te démerder?»

Ça, c’est l’histoire de Belen. Elle travaille le soir dans le bistrot, mais n’en est pas la patronne. Espagnole d’origine, elle a rejoint, depuis 30 ans maintenant, son mari en Belgique. Elle aime son job. Elle trouve les clients chouettes et rigolos. Son mari, lui, apprécie moyennement sa présence dans les murs. Belen travaille depuis l’âge de 8 ans. Dans les campagnes, à filer un coup de main d’abord. Ensuite, dans les magasins, vers 14 ans. À 18 ans, elle faisait des courses pour les personnes âgées, puis du nettoyage, puis des factures pour une société de gaz. Elle a travaillé dans un hôpital aussi, diplômée qu’elle est en biologie clinique.

En Belgique, malgré tous ses efforts, elle n’a pas trouvé de travail stable dans son champ de compétences. Mais elle s’en fiche, elle se revendique touche-à-tout. «Si les autres peuvent le faire, alors pourquoi pas moi?» Elle trouve que la société est mal foutue pour l’instant. Il devrait y avoir plus de chances pour les gens.

Et là, le cri du cœur: «C’est à vous de changer les choses.»

À nous. Drôle de retour de manivelle pour les pseudo-enquêtrices que nous sommes. Sur cette interpellation questionnante et par crainte d’une tournée de trop, nous décidons d’arrêter pour ce soir le Social Bistrot. Avec l’envie d’y retourner encore et bientôt.

* Cette playlist est disponible sur présentation d’une clé USB.

 

 

 

La première tournée de Social Bistrot !

Marie-Eve Merckx

Marie-Eve Merckx

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