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Migrations

Sefor: des sans-papiers ciblés jusque chez eux

Sefor, c’est une collaboration entre Office des étrangers, police et communes pour un meilleur suivi des ordres de quitter le territoire. Sefor poursuit deux objectifs: mieux informer les sans-papiers… et mieux les arrêter. Alors que le nombre d’expulsions est un enjeu politique brûlant, Alter Échos propose de se pencher sur ce programme peu connu.

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Sefor, c’est une collaboration entre l’Office des étrangers, police et communes pour assurer un meilleur suivi des ordres de quitter le territoire. Sefor poursuit deux objectifs: mieux informer les sans-papiers… et mieux les arrêter. Alors que le nombre d’expulsions est un enjeu politique brûlant, Alter Échos propose de se pencher sur ce programme peu connu.

À 7 h 19, le mardi 10 mars, le site internet de La Libre Belgique relayait une dépêche Belga en annonçant: «Le nombre de rapatriements de sans-papiers est en baisse.» Trois heures plus tard, à 10 h 38, un nouvel article sur ce thème, encore tiré d’une dépêche de l’agence de presse: «Le nombre de rapatriements est reparti à la hausse au début de l’année.» Un escadron de charters avait-il décollé entre-temps, faisant exploser les statistiques? On peut en douter. Alors que s’est-il passé durant ces trois heures?

On peut imaginer que le service de communication du secrétaire d’État à l’Asile et à la Migration, ou le porte-parole de l’Office des étrangers, a dû se jeter sur le téléphone pour apporter des précisions au journaliste: «Attention, le nombre de rapatriements a baissé l’an passé, mais depuis deux mois, la tendance s’est inversée, c’est ça qu’il faut retenir.»

Sefor ou c’est faible?

Sefor est un outil de la politique de retour belge. Pour évaluer son efficacité, au regard des objectifs que se fixe l’administration, il faut regarder les chiffres.

En 2013, le nombre total d’éloignements était de 10.439, contre 11.398 l’année précédente et 10.313 en 2011. Des chiffres qui englobent les retours volontaires, les refoulements, les reprises Dublin (transferts de demandeurs d’asile entre pays européens) ainsi que les rapatriements, donc les expulsions de sans-papiers.

Concernant cette dernière catégorie, la seule pertinente au regard des activités de Sefor, l’année 2013 a été marquée par une augmentation des expulsions: 3.167 par rapport à l’année précédente: 2.638.

D’après les derniers chiffres mentionnés par la presse, ces expulsions auraient connu une baisse en 2014 avec 2.586 rapatriements.

Le bilan de Sefor serait donc assez contrasté. Mais, comme le rappelle le secrétaire d’État à l’Asile et à la Migration, le nombre de places en centres fermés a fortement diminué ces dernières années. On ne compte plus que 480 places disponibles contre 600 il y a quelques années. Un différentiel qui s’explique par des travaux à répétition et des économies dans le fonctionnement de l’administration, et la diminution du nombre de places entraînant une diminution mécanique du nombre d’expulsions.

Au jour le jour, les visiteurs associatifs en centres fermés constatent que bon nombre d’étrangers détenus l’ont été dans le cadre d’une procédure Sefor.

 

Dans le domaine des expulsions, la maîtrise des chiffres et leur analyse sont essentielles, tant le sujet est politiquement sensible. Car pour un secrétaire d’État N-VA, faisant partie d’un gouvernement qui souhaite, comme cela est mentionné dans l’accord de gouvernement, «investir plus intensivement dans les retours forcés», devoir assumer une baisse du nombre de rapatriements peut s’avérer assez gênant.

Pour faire partir davantage de sans-papiers du territoire belge, le gouvernement propose plusieurs pistes. Tout d’abord augmenter la capacité des centres fermés, rouage essentiel de la politique d’éloignement. Puis investir dans la politique de retour volontaire. Et enfin, assurer un «suivi de qualité» des ordres de quitter le territoire.

Cette dernière phrase fait référence au projet Sefor, pour Sensibilisation (Se), Follow-up (Fo) and Return (R).

Au centre du projet, le bureau Sefor, à l’Office des étrangers, créé en 2011, dont les activités sont peu connues. Le bureau travaille en étroite collaboration avec les communes et les polices locales. L’idée étant de huiler leur communication afin de mieux cibler les sans-papiers sur le territoire des communes, de les informer et, le cas échéant, de les arrêter à leur domicile.

Sefor, oui, mais c’est quoi?

Pour beaucoup d’avocats ou d’assistants sociaux, le Sefor, c’est avant tout un formulaire.

Lorsqu’un étranger est convoqué à la commune pour se voir notifier un ordre de quitter le territoire (OQT) ainsi qu’une décision négative en lien avec une demande de séjour, celui-ci doit se munir de trois photos et d’une pièce d’identité.

À la commune, le formulaire Sefor est confié à l’intéressé. Dans ce formulaire, on récolte des informations de résidence, de composition de famille et d’identité. Une partie du formulaire est remplie par l’administration communale.

Lors de ce contact avec les agents communaux, l’étranger est informé de ce qui peut advenir ensuite: ou il part par ses propres moyens ou il fait appel à l’agence fédérale pour les demandeurs d’asile afin d’organiser un retour volontaire; soit encore qu’il risque d’être arrêté et conduit en centre fermé, pour une expulsion du territoire.

Pour Delphin Moloni, de la commune de Bruxelles, l’application de la circulaire Sefor, c’est avant tout «informer les gens de la procédure avec un minimum d’encadrement. Il a été demandé que les personnes puissent quitter le territoire dans des conditions qui respectent la dignité, ce qui nécessite de l’accompagnement». D’ailleurs, rappelle-t-il, les personnes sont aussi informées de leurs possibilités de recours.

Concrètement, la personne est censée revenir dans les locaux de la commune quelques jours après le premier rendez-vous pour faire part de l’avancement de son projet de départ ou pour remettre le formulaire lorsqu’il n’a pas été rempli lors du premier rendez-vous (mais toutes les communes n’appliquent pas la circulaire Sefor de la même façon).

Toutes les informations récoltées par la commune ou la police sont transmises au bureau Sefor de l’Office des étrangers. Elles permettent de savoir où sont ces sans-papiers et de préparer la «paperasse» pour leur expulsion. Bref, les étrangers fournissent les informations qui serviront à leur propre expulsion.

À différents moments, la police peut effectuer une «enquête de résidence» pour vérifier que l’étranger ne s’est pas éclipsé. Elle peut notamment effectuer ce contrôle lors de l’expiration du délai de l’OQT ou lorsque la personne n’a pas répondu à une convocation.

Des fonctionnaires ou des «agents de liaison» de l’Office des étrangers affectés à certaines grandes villes du pays décident de donner des consignes à la police pour les arrestations, en fonction de différentes priorités. L’objectif premier de Theo Francken, suivant en cela Maggie De Block, est de cibler en priorité les étrangers «délinquants».

On sait qu’il existe aussi des priorités au retour de sans-papiers de certaines nationalités. Soit parce que la Belgique participe à un «vol groupé» (donc une expulsion de groupe dans un avion affecté à cet effet) européen dans le cadre de Frontex. Soit parce que les relations avec le pays d’origine rendent plus faciles les expulsions (car l’expulsion du territoire demande une collaboration administrative entre les deux États). D’autres tendances sont constatées, par exemple par des avocats spécialisés, qui remarquent que les étrangers entamant des démarches de mariage sont régulièrement dans le viseur.

Malheureusement, il nous sera difficile d’en savoir plus sur ces consignes et priorités, l’Office des étrangers ayant refusé de répondre à nos questions.

 

Implication croissante des communes

Il est un effet Sefor que travailleurs sociaux et avocats constatent: une augmentation de l’anxiété. C’est ce qu’affirme l’avocat et président de la Ligue des droits de l’homme Alexis Deswaef:

«Lorsqu’ils reçoivent une convocation demandant de venir avec une pièce d’identité et trois photos, beaucoup pensent que c’est pour la régularisation de leur séjour, alors que c’est pour remplir le formulaire Sefor.»

L’autre effet Sefor concerne l’implication active des communes dans la politique d’éloignement. Pour Delphin Moloni, le rôle des communes, dans cette procédure Sefor, est avant tout celui d’un «accompagnement au départ. Nous servons d’interface, de boîte aux lettres».

Une façon de voir qui peut être nuancée. Parmi les informations transmises par la commune à l’Office des étrangers figurent des indications sur les intentions de l’étranger relatives à son départ, sur sa «volonté» de partir. Des informations cruciales pour l’Office des étrangers qui peut ainsi mieux cibler les arrestations.

La commune a désormais un rôle actif dans la politique d’éloignement. Benoît De Boeck, du Ciré et membre de la coordination des visiteurs ONG en centres fermés, y voit un «coup de génie de l’Office des étrangers qui a su négocier pour impliquer davantage les communes et rendre la machine plus efficace». Même si sur le terrain, tous les acteurs constatent des différences de zèle dans l’application de la procédure Sefor en fonction des communes. Mais aucune donnée sérieuse ne permet d’assurer à 100% que Sefor fonctionne mieux à Anvers qu’à Liège.

Arrestations à domicile

Les informations transmises à l’Office des étrangers permettent à l’administration de multiplier les contrôles à domicile. C’est ce qu’assumait clairement l’ancienne secrétaire d’État à l’Asile et à la Migration, Maggie De Block, dans un communiqué du 15 juillet 2013:

«Sefor se concentre sur un nouveau groupe d’étrangers, à savoir les migrants qui séjournent dans des habitations privées.»

En ne montrant pas de volonté de partir, en ne répondant pas à une convocation, un étranger s’expose à une arrestation chez lui.

On touche là aux limites de la légalité. Sans mandat, la police ne peut pénétrer dans le domicile privé d’une personne. Mais si cette personne propose à l’officier d’entrer, alors l’arrestation est possible. La façon exacte dont s’est passée la rencontre, le rapport de force et les informations transmises par la police au sujet de l’objectif réel de la visite restent bien souvent flous lorsque des étrangers sont arrêtés chez eux. «Une fois que tu ouvres, c’est foutu», résume Benoît De Boeck.

Une chose est sûre, les visiteurs associatifs en centres fermés constatent clairement une augmentation du nombre de personnes détenues à la suite d’une arrestation à domicile.

Mais cela ne semble pas suffire. Fin décembre, l’Office des étrangers suggérait que l’on modifie la loi sur la fonction de police pour qu’il soit possible de pénétrer dans un domicile privé sans mandat afin de procéder à une arrestation de sans-papiers. Une proposition qui a fait bondir les associations: «L’inviolabilité du domicile est une ligne rouge», s’exclame Alexis Deswaef.

Davantage de clandestinité

Des avocats ont aussi été aux premières loges des changements induits par Sefor. Thomas Mitevoy, du cabinet Progress Lawyers Network, estime que depuis la mise en place de Sefor, «l’exécution des OQT est devenue plus systématique. Avant, une arrestation après notification d’un OQT n’allait pas de soi. Aujourd’hui, il existe un risque réel d’être arrêté chez soi». Un constat qui entraîne des effets pervers. «Avant un étranger n’hésitait pas à introduire une demande de régularisation humanitaire. Aujourd’hui, il faut bien faire la balance car, en cas de décision négative, les risques sont importants.» Ce qui frappe surtout, c’est que Sefor a aussi pour effet d’augmenter la clandestinité totale. Celle où l’on cherche à disparaître de tous les radars: «Des communes voient que des gens, au stade de la procédure Sefor, quittent leur domicile. Donc cela peut enclencher un processus de retour à la clandestinité.»

 

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On pensait la page tournée. Depuis 2009, les familles avaient cessé d’être détenues en centres fermés et étaient hébergées dans les maisons de retour. C’était l’aboutissement d’une longue mobilisation politique et associative et surtout la conséquence de la condamnation de notre pays par la Cour européenne des droits de l’homme. Mais le gouvernement Michel annonce le retour des enfants au 127 bis. Et on s’aperçoit que la loi ne l’a jamais vraiment interdit.

 

Aller plus loin

Alter Échos n°277 du 14.07.2009: «L’Office des étrangers, les CPAS et le secret professionnel».

Fil d’info du 16.03.2015: «Faire payer les centres par les étrangers».

Cédric Vallet

Cédric Vallet

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