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Regard critique · Justice sociale

Migrations

Roms de Slovaquie : la pauvreté qui s'enkyste à Bruxelles

Quelques centaines de Roms en grande précarité à Bruxelles. Le point sur la situation… et sur les solutions

13-09-2013 Alter Échos n° 365

Des Roms délogés de la Porte d’Anderlecht. D’autres vivant dans des conditions précaires à l’ULB. La présence de Roms de Slovaquie à Bruxelles met mal à l’aise. Face à ces situations de grande pauvreté, les autorités ont semblé inertes. Qu’en est-il aujourd’hui ?

L’occupation devait être temporaire. Mais elle s’éternise. Une soixantaine de Roms vivent dans un bâtiment de l’ULB depuis bientôt deux ans.

Ces neuf familles se rappellent à notre souvenir lorsqu’on évoque, de manière récurrente, leur évacuation. Très récemment, la CGSP, le syndicat des services publics, d’obédience socialiste, a réclamé qu’il soit mis un terme à l’occupation. Le personnel d’entretien et de gestion technique des bâtiments ne se sent pas en sécurité.

Malgré la menace d’évacuation qui plane, il semble que ces citoyens slovaques seront tolérés un peu plus longtemps. Peut-être pour l’hiver à venir.

L’occupation de l’ULB ne laisse pas indifférent. « Une situation dantesque » selon Bernard De Vos, délégué général aux droits de l’enfant. « Des conditions de vie pas franchement optimales », pour Corinne Torrekens, sociologue à l’ULB, très impliquée auprès de cette population.

Lorsqu’on pénètre dans ce bâtiment de plain-pied, situé aux abords du boulevard du Triomphe, à Bruxelles, on se dit qu’effectivement, ces deux années de vie communautaire « à la dure » n’ont pas dû être des plus évidentes pour ces familles.

Le bâtiment est divisé en deux entités. Dans chacune d’elles vivent une trentaine de Roms. Pas de chambre. De vagues cloisons sont constituées, tantôt par de grandes tentures, tantôt par des armoires récupérées ici ou là. L’association Rom en rom aide ces familles au quotidien pour leur fournir de la nourriture, des habits et pour inscrire les enfants à l’école. Les 60 personnes se partagent une seule douche.

La précarité de l’habitat n’entame pas complètement le moral des habitants. À l’image d’Ingrid, cette mère de 10 enfants. Bien sûr, elle ne déborde pas d’enthousiasme quant au confort du lieu : « Il y a des problèmes. Nous sommes beaucoup. Il n’y a pas la place pour dormir et une seule douche. Ce n’est pas hygiénique ». Mais quand on compare cette situation avec sa vie en Slovaquie, alors elle n’hésite pas. C’est ici qu’elle préfère poser ses valises : « En Slovaquie, les Blancs ne respectent pas les Roms. On n’avait pas de maison, pas de travail, pas d’école pour les enfants. »

Luc Bolssens, fondateur de l’association Rom en Rom suit au quotidien ces familles depuis plusieurs années. Il leur fournit une aide bénévole et connaît sur le bout des doigts leur parcours. Trimbalés de lieux d’accueil en squats, leur itinéraire en Belgique est spectaculaire. Luc Bolssens le retrace en quelques mots : « Certaines de ces familles sont arrivées gare du Nord en 2009 puis ont été hébergées à Sint-Niklaas. D’autres avaient été accueillies dans un centre Fédasil. Elles sont revenues ensuite gare du Nord avant de s’installer dans une maison à squatter rue du Méridien. Puis une solution temporaire leur avait été trouvée dans une plaine de vacances à Evere. D’autres ont été accueillies au Polygone à Ixelles puis à Etterbeek avant d’échouer ici en décembre 2011. »

La situation n’est pas si différente à l’Église de Gèsu, près du Jardin botanique, où près de 100 Roms vivent au sein d’un squat depuis de nombreux mois.

Être européen n’aide en rien

Les Roms de l’ULB, du Gèsu ou ceux, sans-abri, qui ont occupé la Porte d’Anderlecht jusqu’au mois de juillet dernier, sont presque tous slovaques. Ils sont donc européens. Paradoxalement, le fait d’être citoyen de l’Union européenne ne rend pas plus clair leur statut de séjour en Belgique, bien au contraire.

Les Slovaques, comme tous les Européens, bénéficient de la liberté de circulation dans l’espace communautaire. Ils peuvent sans souci venir en Belgique pour une durée de trois mois. Au-delà, pour obtenir leur carte de séjour européenne, ils devront posséder des moyens de subsistance et ne pas constituer une « charge déraisonnable » pour le système d’aide sociale.

En gros, ne pas avoir travaillé et demander une aide sociale ne permet pas de séjourner légalement en Belgique. Il arrive même que certains reçoivent des « obligations de quitter le territoire » de l’Office des étrangers. Un document qui, de l’aveu de l’administration, n’est qu’incitatif, car la règle est de ne pas expulser de citoyens européens.

C’est donc principalement par le travail que l’on ouvre l’accès aux droits. Le hic, c’est que ces populations Roms ont été tellement discriminées qu’elles ne sont pas franchement taillées pour une intégration immédiate sur le marché du travail belge.

Demander l’asile est une autre possibilité. « Mais il s’agit d’une procédure accélérée, nous informe Caroline Intrand du Ciré. Elle ne donne pas droit à l’accueil est l’issue est systématiquement négative. » Car si les discriminations envers les Roms de Slovaquie sont avérées, cela ne saurait suffire à être reconnu comme réfugié. Les états de l’Union européenne sont solidaires entre eux.

Les Roms européens vivent donc dans un flou artistique. Leur situation est complexe. D’autant plus que, de l’aveu de nombreux intervenants, ils ont parfois tendance à alimenter les préjugés qui circulent sur eux. « Attentistes », « sans projets », « un public difficile » font partie des qualificatifs que l’on entend. Les mêmes ajouteront que les décennies, voire les siècles de discriminations subies par les Roms expliquent peut-être cet état de fait. Pour Corinne Torrekens, il faudrait prendre en compte la particularité de ce public : « C’est la première fois qu’on a une migration qui présente les caractéristiques du sans-abrisme. Ils débarquent sans point de chute, sans réseau d’entraide ni de solidarité. »

Kosice : la ville du mur anti-Roms

Les Roms slovaques échouant à Bruxelles ont presque tous pour ville d’origine la commune de Kosice. Située à l’est du pays, la ville a été désignée « capitale européenne de la culture 2013 ». Mais c’est surtout pour son « mur anti-Roms » qu’elle a acquis une certaine célébrité. Une initiative qui a provoqué le courroux de la Commission européenne dénonçant une « rupture avec les valeurs sur lesquelles l’Union européenne est fondée ».

Il s’agirait du 14e mur de ce type dans le pays, preuve que la situation des Roms y est extrêmement tendue.

Dans le rapport 2012 d’Amnesty International, on pouvait lire que les Roms, en Slovaquie, étaient victimes de discriminations en matière « d’accès à l’enseignement, à la santé et au logement ».

À Lunik IX, quartier rom de Kosice, le chômage atteindrait les 90 %.

Une maladie belge : le ping-pong institutionnel

Pourquoi les autorités n’ont pas réagi face à ces situations d’extrême pauvreté qui s’enkystent dans la capitale ? Pour Stéphane Heymans, de Médecins du monde (MDM), la Belgique souffre de son syndrome habituel : « le ping-pong institutionnel ». Une maladie chronique où le Fédéral renvoie la balle aux régions qui pivotent vers les communes et les CPAS qui, eux-mêmes, se retournent vers le Fédéral qui interpelle l’Europe.

Autre facteur explicatif que pointe le responsable des projets belges de MDM : la peur de l’appel d’air. Même s’il n’y a que 200 à 300 Roms en situation très précaire à Bruxelles, les aider pourrait en attirer d’autres. « On assiste à une sorte de rapport de force entre les populations roms sans-abri et les autorités. C’est à qui va craquer en premier », estime Stéphane Heymans.

Pour l’instant, personne ne craque, mais les choses commencent à bouger. Car cet été, les Roms ont fait la une des quotidiens à plusieurs reprises. En tout cas, ceux qui campaient Porte d’Anderlecht et furent délogés début juillet pour faire place nette à l’arrivée des forains de la foire du midi.

Après leur évacuation, ils rejoignirent le parc Maximilien. Vu les conditions de vie déplorables, la canicule et la soudaine pression médiatique, on a finalement trouvé des places, en centre Fédasil – donc sous la houlette du Fédéral – pour ces quatre familles. « C’était par pur souci humanitaire, s’empresse de justifier Els Cleemput, porte-parole de Maggie De Block, secrétaire d’État à l’Asile et aux migrations. Notre position est toujours la même : cette population n’est pas de notre compétence. »

Aujourd’hui, ces familles occupent toujours ces places. Leur présence dans les centres Fédasil n’est que temporaire. Le délai était originellement fixé au 31 août, il a été prolongé.

Contrepartie du « geste » de Maggie De Block : la Région bruxelloise doit plancher sur une solution plus durable. « Pour toutes les choses concrètes, le logement, l’emploi, la formation, c’est vers les régions que ces personnes doivent s’adresser », ajoute Els Cleemput. Un point de vue que ne partage pas totalement Caroline Intrand : « Maggie De Block possède aussi le portefeuille de l’Intégration sociale, en charge de la “stratégie nationale pour l’intégration des Roms” demandée par l’Union européenne, ce qui implique une responsabilité vis-à-vis de ces personnes. » Ce à quoi Els Cleemput rétorque : « Ce plan concerne les Roms qui veulent s’intégrer, ce qui n’est pas toujours le cas, notamment de ceux qui étaient à la Porte d’Anderlecht. De plus, nous devons coordonner ce plan. Vu l’autonomie des communes et des régions, nous ne pouvons rien leur exiger. C’est parfois frustrant. »

Renvoi de balle vers la région. Chez Rudy Vervoort, Yves Goldstein, le chef de Cabinet, explique que des réunions ont lieu pour faire face à l’urgence. « Donc pour trouver des solutions pour les familles actuellement logées chez Fédasil, dit-il. Des réunions de plate-forme ont lieu avec les CPAS, les communes, Fédasil, les services sociaux. Nous pensons que les pouvoirs publics ont un devoir de répondre à ces situations qui charrient beaucoup de sensibilités. » Des réunions, mais pas encore de pistes concrètes d’action. En tout cas, rien de public. Quant aux solutions plus structurelles, là aussi, Yves Goldstein dit qu’une « réflexion est entamée, notamment avec le Ciré ».

Et les solutions, elles existent. C’est du moins ce que pensent les associations. Stéphane Heymans rappelle avant toute chose le « consensus qui existe pour dénoncer la grosse responsabilité des pays d’origine ». Mais selon lui, des « solutions pragmatiques » peuvent être mises en place en Belgique. Il prend l’exemple de la ville de Gand : « Les occupations précaires y sont encadrées, des médiateurs sont présents, les services sociaux essayent d’ouvrir l’accès aux droits via l’inscription à la commune. » Discours assez similaire au Ciré : « Il est d’abord nécessaire de stabiliser les familles, ce qui passe par des solutions de logement, puis de proposer un suivi social rapproché. » Les deux associations plaident pour qu’une plate-forme interministérielle soit mise en place afin de prendre à bras le corps cette problématique.

En savoir plus:

1. Rom en rom :
– adresse : chaussée de Perwez, 211 à 5002 Namur
– site : http://www.romenrom.net

2. Médecins du monde :
– adresse : rue Botanique, 75 à 1210 Bruxelles
– tél. : 02 225 43 00

3. Ciré :
– adresse : rue du Vivier, 82 à 1050 Bruxelles
– tél. : 02 629 77 10
– site : http://www.cire.be]http://www.cire.be

Cédric Vallet

Cédric Vallet

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