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Logement

Régionalisation du bail à Bruxelles: les locataires laissés sur le carreau?

Le parlement régional bruxellois a voté cet été une nouvelle ordonnance relative au bail locatif. Parmi les associations de défense du droit au logement la déception est grande. Selon elles, le texte ne favorisera pas l’accès au logement des locataires bruxellois. Il pourrait même le compliquer.

CC - Kanami Ogata

Le parlement régional bruxellois a voté cet été une nouvelle ordonnance relative au bail locatif. Parmi les associations de défense du droit au logement, la déception est grande. Selon elles, le texte ne favorisera pas l’accès au logement des locataires bruxellois. Il pourrait même le compliquer.

Les discussions ont été longues, les amendements nombreux, dont certains renvoyés en cours de route au Conseil d’État bloquant en avril l’examen du texte… Mais ça y est: le parlement régional bruxellois a voté, le 18 juillet dernier, la nouvelle ordonnance relative aux baux à loyer. Une majorité du groupe MR, qui s’était abstenu en commission, a voté en faveur du projet de la ministre Céline Fremault (cdH). Les verts, la N-VA et le Vlaams Belang se sont abstenus. Le PTB a voté contre.

Bruxelles est donc la première des trois Régions à mettre en œuvre sa nouvelle compétence en matière de logement, la sixième réforme de l’État ayant transféré aux Régions la compétence d’édicter «les règles spécifiques concernant la location de biens ou des parties de biens destinés à l’habitation». On mesure l’ampleur de la tâche quand on sait qu’il se signe environ 50.000 baux conclus chaque année en Région bruxelloise.

«La régionalisation du bail à Bruxelles a pour mission principale d’améliorer le fonctionnement du marché locatif dans son ensemble pour faciliter l’accès au logement au plus grand nombre», a déclaré la ministre du Logement, Céline Fremault, en charge de cette réforme. «Une réforme historique, selon son communiqué, qui permet d’adapter la législation pour mieux coller aux spécificités bruxelloises.»

«On a vu apparaître des mini-jobs, voilà des mini-baux !», Nicolas Bernard, spécialiste en droit du logement (Saint-Louis)

Historique, elle l’est puisque la loi sur le bail n’avait pas changé depuis 1991. Mais favorisera-t-elle l’accès au logement pour les 60% de locataires que compte la Région bruxelloise? Pour les associations de défense de locataires, c’est plutôt le contraire. Le Rassemblement bruxellois pour le droit à l’habitat dénonce un texte «nettement défavorable aux locataires». Le Syndicat des locataires ne cache pas non plus sa déception dans un communiqué publié au lendemain du vote: «Nous aurions espéré une réforme qui se donne pour objectif de résoudre les réels problèmes de logement que connaît une grande majorité de Bruxellois, et nous sommes gratifiés par le parlement d’une réformette, certes qui résout certains problèmes mineurs, mais qui ne s’attaque jamais aux problèmes fondamentaux (cherté des loyers, mauvais état des logements, logements vides….)». Nicolas Bernard, professeur à Saint-Louis, spécialiste en droit du logement, parle, lui, d’un «texte mou, sans grandes avancées ou, si elles existent, ne sont pas en faveur du locataire».   

Vers une flexibilisation du logement

La première mesure qui crispe est la résiliation du bail de courte durée. Dans la législation actuelle, la règle générale est un bail de neuf ans, également appelé 3-6-9, car il est possible d’y mettre fin après trois ou six ans sous certaines conditions. C’était un principe fondamental de la loi sur les loyers de 1991. La nouvelle ordonnance modifie complètement le système. Elle permet désormais de proroger plus d’une fois le bail de courte durée, tant que l’ensemble des baux de courte durée ne dépasse pas trois ans, auquel cas le bail est alors considéré comme un bail classique de longue durée. Il sera également possible, moyennant un préavis de trois mois et le paiement d’une indemnité d’un mois, de résilier un bail de courte durée plus tôt que prévu, sans devoir payer tous les mois restants jusqu’à l’échéance. Le bailleur quant à lui ne pourra pas résilier le bail durant une période d’un an, sauf pour un motif d’occupation. L’objectif de la ministre est de permettre une «flexibilité locative, bien en phase avec notre époque de mobilité accrue, qu’elle soit professionnelle, familiale ou autre».

Pour le RBDH, cette mesure va «sérieusement mettre à mal la sécurité du locataire». «Le risque est de voir fleurir des contrats de quelques mois, sortes de phases-tests, de mises à l’épreuve, permettant d’évincer facilement n’importe qui, pour n’importe quel motif», regrette Carole Dumont, chargée de projet dans l’association bruxelloise, rappelant que le bail de neuf ans est «bien plus protecteur et stable pour le locataire».

«Il s’agit d’une vraie régression: je ne veux pas mâcher ses mots, le logement perd sa fonction vitale d’ancrage», déplore aussi Nicolas Bernard. Pour ce spécialiste du droit au logement, «cela mènera à une flexibilisation à outrance et à la précarisation des locataires. On a vu apparaître des mini-jobs, voilà des mini-baux!»

Au registre des déceptions aussi, le maintien des indemnités en cas de départ anticipé. Aujourd’hui, quand le locataire désire rompre son contrat avant trois ans, il doit s’acquitter d’un préavis de trois mois et payer des indemnités de trois, deux ou un mois en fonction de l’année anticipée de départ. «Nous avions l’espoir que cette indemnité saute, car elle n’est liée à aucun préjudice. De plus, cette somme est impayable pour de nombreuses personnes qui passent chez nous, qui ont pourtant de bonnes raisons de vouloir quitter leur logement», constate amèrement Didier Joly, conseiller juridique à l’Atelier des droits sociaux. Il reste toujours la possibilité pour les locataires d’aller en «justice de paix», mais, d’après les observations quotidiennes de ce travailleur de première ligne, «peu de personnes entament cette procédure».

Documents requis 

S’il est un point qui a «fait jaser» durant le long processus d’élaboration de ce texte, c’est la question des documents demandés au locataire. «On a échappé au pire!», tel est le constat partagé par l’ensemble de nos interlocuteurs.

Il sera finalement interdit au propriétaire de demander la composition de ménage, prévue initialement, tout comme la nature des revenus, contraire à la loi anti-discrimination, qui ne permet pas d’exclure a priori les catégories de candidats aux revenus dits non professionnels, c’est-à-dire les personnes vivant d’allocations. La demande de composition de ménage aurait aussi pu exclure les familles nombreuses ou monoparentales, ces dernières constituant un tiers des familles à Bruxelles. La nouvelle ordonnance autorise par contre le propriétaire à demander le montant des ressources financières. «L’ordonnance n’a pas arrêté un document précisant le contenu et la forme des preuves à donner», déplore Carole Dumont du RBDH. Elle plaide pour arrêter une liste qui comporte des «interdits» comme des preuves de salaires ou des CDI. «L’ordonnance vient institutionnaliser une demande de documents, ce qui n’était pas le cas avant… C’est une porte ouverte dangereuse. Il faudra être vigilant à l’avenir», prévient quant à lui Didier Joly.

Prix des loyers

Question épineuse et centrale quand on parle de droit au logement: le prix des loyers. L’ordonnance prévoit la mise en œuvre d’une grille des loyers indicative, consultable tant par les locataires que les propriétaires. Le PTB, qui a voté contre le projet de la ministre CdH, a plaidé pour une grille indicative des loyers qui soit contraignante, ce qui a été refusé. Écolo de son côté désirait instaurer la notion de «loyer raisonnable» ou «loyer abusif». Cela n’a pas été retenu non plus. Pour le RBDH, «cette grille est totalement inutile». «Elle est même dangereuse, poursuit Carole Dumont, car elle risque de donner l’idée au bailleur d’augmenter les loyers», les prix actuels médians des logements, base à la composition de la grille, étant parfois en deçà des loyers pratiqués sur le marché locatif privé. Nicolas Bernard rappelle aussi qu’une procédure d’appel serait nécessaire pour garantir des loyers raisonnables aux locataires, à travers une commission paritaire locataire-bailleur, dont il n’y a pas de trace dans la nouvelle ordonnance. Autre regret du professeur de droit: l’ordonnance n’interdit pas la garantie de main à main, un processus totalement illégal qui, d’après les estimations du RBDH, toucherait un locataire sur trois. «Preuve supplémentaire, souligne Nicolas Bernard, d’un texte consensuel qui tente de ménager la chèvre et le chou et compte très peu de caractère social.» À noter toutefois que Bruxelles maintient une garantie de deux mois, tandis que le parlement flamand a décidé de remettre la limite à trois mois. Des mesures sont prises également pour soutenir les locataires en difficulté. D’une part, la Région va assouplir les conditions d’octroi, des prêts à taux zéro en l’élargissant aux locataires de moins de 35 ans. D’autre part, elle crée un fonds de garantie destiné à soulager les CPAS.

Bail étudiant et colocation 

Si l’idée de la réforme, comme l’a annoncé Céline Fremault, était de mieux coller aux réalités bruxelloises, y parvient-elle? «On note une série de ratifications normatives d’évolutions sociologiques», confirme Nicolas Bernard. Premier exemple: la mise en place d’un régime juridique spécifique pour les étudiants. Concrètement, il s’agit d’un bail spécial d’une durée de 12 mois, renouvelable pour un an. L’étudiant pourra aussi résilier le bail jusqu’à un mois avant son entrée dans les lieux, moyennant le paiement d’une indemnité d’un mois de loyer.

Il sera finalement interdit au propriétaire de demander la composition de ménage, prévue initialement, tout comme la nature des revenus.

La colocation, réalité vécue par de nombreux locataires bruxellois, jeunes et moins jeunes, a également été prise en compte. Désormais, les colocataires établiront un pacte de colocation, qui leur permettra de régler les modalités de base de leur colocation, librement décidées. Certains éléments devront être obligatoirement repris dans ce document comme la clé de répartition du loyer, les modalités d’arrivée de départ ou de remplacement d’un colocataire, le partage des dégâts locatifs et leur imputation sur la garantie locative ou encore les questions relatives à la prise en charge des assurances. «Cela vient combler une flou juridique qui causait énormément de problèmes pour les colocataires», salue Didier Joly. Désormais, les départs seront facilités puisque le locataire peut quitter moyennant un préavis de deux mois sans indemnités, à condition qu’il trouve un remplacement. Mais il reste un bémol, que déplore Carole Dumont: «Il n’existe pas de modèle type obligatoire de pacte de location. À chacun donc de se débrouiller avec ce pacte.» Le RBDH attend donc avec impatience l’arrêté du gouvernement pour fixer un document type.

Pourquoi si vite?

Outre les mesures, c’est aussi la question du calendrier qui pose problème. «Pourquoi cette ordonnance a-t-elle été votée si vite? Pourquoi ne pas avoir encore donné du temps aux négociations», s’interroge José Garcia, secrétaire général du Syndicat des locataires. Constat partagé par Nicolas Bernard: «On a une impression de va-vite, il était plus opportun de prendre six mois de plus, de laisser la Région bruxelloise étudier des mécanismes comme les commissions paritaires locatives ou le fonds de garantie locative…» Quant à l’entrée en vigueur de cette ordonnance, elle est «prévue pour le 1er janvier 2018», a annoncé la ministre, l’ordonnance ne pouvant s’appliquer sur de nombreux points qu’après l’adoption d’arrêtés par le gouvernement.

 

En savoir plus

«Le logement wallon plus accessible», Alter Échos, 11 juillet 2016, par Nathalie Cobbaut.

«Logement wallon: Des clés pour les plus précarisés?»Alter Échos n° 413, 7 décembre 2015, par Martine Vandemeulebroecke.

«Régionalisation du bail: vers de nouveaux dispositifs sociaux?»Alter Échos n° 378, 21 mars 2014, par Pierre Jassogne.

Manon Legrand

Manon Legrand

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