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Regard critique · Justice sociale

Data journalism

Qualité de l’air : Nuages de données

La pollution atmosphérique fait parler d’elle en cette rentrée. L’occasion de sonder Bxl’Air bot, le robot hébergé par Alter Échos. A six mois d’existence, il livre de premières informations inédites.

(c) tamasmatusik

La pollution atmosphérique fait parler d’elle en cette rentrée. L’occasion de sonder Bxl’Air bot, le robot hébergé par Alter Échos. A six mois d’existence, il livre de premières informations inédites.

En ce mois de septembre, le citoyen respire en pleine conscience. Après un été plein d’ozone et d’insouciance, il sait désormais un peu mieux à quelle pollution il est soumis. Greenpeace a mesuré les concentrations de dioxyde d’azote (un polluant lié aux moteurs diesel) auxquelles sont soumis les enfants trimballés dans l’auto de leurs parents, que l’ONG appelle la « génération de la banquette arrière ». A Liège, Anvers et Bruxelles, ont été enregistrés des pics de concentrations dans l’habitacle très préoccupants, allant jusqu’à 367 microgrammes de dioxyde d’azote/m³ dans le tunnel Léopold II à Bruxelles. Or, l’Europe tolère des pics jusqu’à 200 µg/m³ par heure mais maximum 18 fois par an et fixe la moyenne annuelle à ne pas dépasser à 40µg/m³. Greenpeace rappelle que de telles concentrations de dioyde d’azote augmentent grandement le risque d’asthme et d’infections respiratoires chez les enfants.

Avec de telles données en mains, Greenpeace annonce son intention de porter plainte contre les Régions wallonne et flamande qui, selon elle, ne protègent pas suffisamment les citoyens contre les effets nocifs de la pollution atmosphérique. Cette menace fait suite à une plainte, déposée par le collectif de citoyens Clean Air BXL (Bruxelles Air Propre) et par l’ONG anglaise Client Earth contre la Région de Bruxelles-Capitale. Eux aussi avaient effectué des mesures mobiles dans les endroits les plus pollués de la capitale : une manière de réveiller les citoyens, un peu endormis par les discours officiels basés sur les résultats des stations de mesure fixes. Ces données-là montrent en effet une amélioration globale de la situation pour tous les polluants étudiés, sauf pour le dioxyde d’azote.

Consciente que ces données fixes ne suffisent plus, Bruxelles-Environnement vient d’ailleurs de publier les premières cartes de la pollution dans la capitale. Dans le cadre du projet Exp’Air, 276 citoyens ont mesuré pendant une semaine la qualité de l’air qu’ils respiraient à la maison, au travail, en rue et dans les transports, grâce à un petit appareil de mesure du Black Carbon (particules fines issues de la combustion, liées au transport et au chauffage). L’administration en a tiré des cartes, grâce à la modélisation. Disponibles sur le site de Bruxelles-Environnement, elles montrent une forte différence entre les heures de pointes et les heures creuses. Ce qui prouve – si besoin était – l’impact du trafic routier sur la pollution. Les gros axes routiers (Petite Ceinture, ring) sont particulièrement touchés.

 

Carte de la concentration en black carbon en heures de pointe (c) Bruxelles Environnement

L’apport du robot

Dans ce contexte de multiplication de données, émanant d’ONG, de citoyens ou des autorités, le besoin se fait sentir de commencer à pouvoir les croiser, les réexploiter et les nuancer. Depuis le mois d’avril, le site d’Alter Echos héberge un hôte unique en son genre : un robot-journaliste, développé par Laurence Dierickx dans le cadre d’un doctorat en information et communication à l’ULB (voir «Alter Échos n° 443  du 27 avril 2017). Ce Bxl’air.bot collecte toutes les données publiques disponibles sur le site de CELINE*, la Cellule interrégionale de l’environnement, à propos de la qualité de l’air à Bruxelles. Il les stocke, les digère et les ressert sous forme de graphiques et de moyennes, produisant par là une information inédite pour les citoyens, chercheurs et journalistes. « Il automatise des calculs qu’on peut faire manuellement sur le site de CELINE », explique la chercheuse. « Il tient compte des normes de santé publique, et pas seulement des normes légales, et intègre les données récoltées à Arts-Lois dans les moyennes. » Les autorités mesurent en effet la qualité de l’air dans ce carrefour parmi les plus pollués de la capitale mais ne les intègrent pas aux moyennes officielles.

A près de six mois d’existence, le Bxl’air.bot a collecté suffisamment de données pour livrer de premiers résultats interpellants. Pour le dioxyde d’azote, le robot n’a vu passer, depuis sa naissance, aucune valeur supérieure à 168 µg/m³. Jusqu’ici, on n’atteint donc jamais le pic de 200 µg/m³ par heure, autorisé 18 fois par an par l’Europe. En revanche, si on regarde les moyennes générales, on explose complètement le plafond annuel fixé par l’Europe à 40 μg/m3. Sur un peu plus de cinq mois, le robot obtient une moyenne générale supérieure à 55 μg/m3 pour la Région bruxelloise. Toutes les stations de mesure dépassent le seuil des 40 μg/m3 autorisés, à l’exception de la station de Uccle (33 μg/m3). La faute n’est donc pas uniquement imputable à la station de mesure d’Arts-Loi. Si l’on ne tient pas compte de cette station, la moyenne redescend à 52 μg/m3 – ce qui reste donc largement au-dessus de la moyenne.
Autre enseignement intéressant fourni par le robot : la comparaison des données récoltées non seulement avec les seuils tolérés par l’Europe mais aussi avec les recommandations, plus sévères, de l’Organisation mondiale de la santé (OMS). Pour les particules fines PM 2,5, le robot calcule une moyenne de 11,01 μg/m3 sur ces derniers mois : c’est bien en-dessous de la limite autorisée par l’Europe (25 μg/m3) mais un peu au-dessus de la recommandation de l’OMS (10 μg/m³ de moyenne annuelle). On est donc dans la légalité mais pas encore tout à fait dans la santé.
La compilation des données par le robot, entamée en avril dernier, se fait à un moment crucial pour la qualité de l’air à Bruxelles. Le 1er janvier 2018, entre en effet en vigueur la zone de basse émission ou Low Emission Zone (LEZ) dans toute la Région. C’est la mesure-phare proposée par la ministre bruxelloise de l’Environnement, Céline Frémault (CDH),  pour lutter contre la pollution. Progressivement, les véhicules les plus polluants seront interdits d’entrée sur le territoire. Le contrôle se fera grâce à des portiques installés aux entrées de Bruxelles, qui scanneront les plaques minéralogiques et identifieront les fraudeurs, qui recevront une amende. La ministre a promis de communiquer sur les modalités pratiques de cette mesure, dès le mois d’octobre. A partir du mois de janvier (ou après la phase de rodage du système), le Bxl’Air bot pourra calculer, mois après mois, l’effet de cette mesure politique.

 

*Données qui doivent encore être validées pour écarter toute anomalie.

Céline Gautier

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