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Environnement/territoire

Mamy fait du rickshaw

Dans le temps, elles faisaient du vélo. Aujourd’hui, les personnes âgées d’Anderlecht embarquent dans des cyclo-pousses asiatiques, conduits par des jeunes du quartier. Du plaisir pur sur trois roues !

(c) Céline Gautier

Dans le temps, elles faisaient du vélo. Aujourd’hui, les personnes âgées d’Anderlecht embarquent dans des cyclo-pousses asiatiques, conduits par des jeunes du quartier. Du plaisir pur sur trois roues!

Les plus belles idées sont rarement préméditées. Celle de Peter Cserba est née d’un coup de foudre. Il y a quelques années, il repère sur internet un vieux rickshaw d’Indonésie. Il n’a jamais été dans ce pays et n’a a priori ni voisin, ni dalmatien, ni contrebasse à transporter. Mais le cyclo-pousse coloré lui fait de l’œil. Et c’est pas cher… Il l’achète et le baptise «Petit-Poucet». Puis il tombe sur «Fakir», un bangladais bariolé qui penche un peu à droite, et sur «El Bandito», un vietnamien rose bonbon. Et le voilà à Bruxelles avec trois rickshaws, et même avec un side-car pour vélo, auxquels il va bien falloir trouver une utilité.

En marge de son travail, Peter propose alors à la maison de repos des Ursulines de venir un jour par semaine en rickshaw pour emmener des résidents en balade. «Qui veut prendre l’air, se remettre en mouvement, tout en étant confortablement emmitouflé dans une couverture?» Les personnes âgées ne se font pas prier. Ça change de la gym douce et des jeux de ballon. Pour Peter, c’est aussi une opportunité de rencontre et d’échanges entre générations. «Le rickshaw crée un rapport spécial avec la personne. On est ensemble dans un espace réduit, mais on n’est pas enfermés. Ça invite à la conversation.» Peter emmène ses passagers faire un petit tour, prendre une glace, revoir un lieu de leur enfance. «Je leur laisse toujours le choix. Un jour, un monsieur m’a demandé qu’on aille porter une lettre à une personne qu’il avait rencontrée 15 ans plus tôt. On n’a jamais retrouvé la maison…» Mais l’échappée en ville valait bien qu’on sorte de ses pantoufles.

Les futurs conducteurs de cyclo-pousse, déjà bons cyclistes, ont reçu une formation à la circulation chez Provélo.

Depuis lors, l’idée de Peter a fait boule de neige. D’autres bénévoles empruntent désormais ses rickshaws pour emmener des résidents de maisons de repos voir le soleil et la vie de plus près. «Il n’y a rien de révolutionnaire, finalement, admet Peter. Les personnes âgées me disent parfois qu’ils se souviennent avoir vu des rickshaws à l’Expo 58.»

Avec les jeunes de Cureghem

En 2016, la commune d’Anderlecht lance un appel à projets dans le cadre du contrat de quartier durable Compas. Peter Cserba et ses «rickshaws de Cureghem» emportent l’unanimité du jury de citoyens. Son projet, en partenariat avec l’asbl Cosmos, est simple: «Des balades intergénérationnelles en pousse-pousse asiatique». Les objectifs sont de recréer du lien entre les générations à travers une activité ludique. Et, au passage, de responsabiliser les jeunes par une activité qui fait appel à la sécurité, à la courtoisie, à la connaissance du Code de la route. Les véhicules, lourds, imposent un rythme lent.

Les futurs conducteurs de cyclo-pousse, déjà bons cyclistes, ont reçu une formation à la circulation chez Provelo. «Ils étaient étonnés d’aller si loin, raconte Peter. Ils n’ont pas l’habitude de sortir du quartier. Quand on a ramené les rickshaws, il y avait tout un cortège d’enfants qui nous escortaient.» À terme, Peter voudrait organiser une sortie par mois, quand le temps le permet.

«Ah, ça fait du bien, vraiment vraiment», concluent les dames à la descente de calèche. Que dire de plus? Mais rien.

Le rendez-vous est donné un mercredi après-midi au centre de services Cosmos pour une «vraie» sortie. Mais, pas de chance, aujourd’hui, il n’y a pas vraiment de jeunes (ils ont mini-foot) et pas beaucoup de vieux (concurrence d’un goûter-crêpes). Qu’importe. Peter est là avec deux rickshaws et une candidate bénévole qui s’est présentée spontanément. Sofia souhaite, par cette activité, créer le lien avec des personnes âgées dont elle se sent privée au quotidien. Cycliste aguerrie, elle enfourche un triporteur sans hésiter. Chantal et Francine s’installent royalement sur les banquettes pour un tour du quartier comme elles n’ont pas dû en faire souvent.

Le petit cortège emprunte la rue de Liverpool, aux confins d’Anderlecht et de Molenbeek. C’est le paradis de la voiture, en pièces détachées. Ici, on attend la bonne aubaine sur le bord de la chaussée, par petits groupes. L’effet provoqué par l’arrivée des rickshaws est surprenant: les enfants appellent leurs parents pour qu’ils «viennent un peu voir ça», les automobilistes s’arrêtent en souriant, ils saluent et, miracle, font l’impossible pour dégager la route. «Les rickshaws donnent une tout autre image de la mobilité, constate Christelle Langlet, responsable du contrat de quartier. Cela amène d’autres comportements

Les bords du canal sont baignés de soleil. On voit passer des péniches. «Ah, ça fait du bien, vraiment vraiment», concluent les dames à la descente de calèche. Que dire de plus? Mais rien.

Du vent dans les cheveux

L’idée de proposer des balades en vélos taxis à des personnes âgées n’est pas neuve. L’association internationale Cycling Without Age propose également ce service aux maisons de repos, avec des triporteurs à assistance électrique. En Belgique, l’organisation est présente à Louvain, Wetteren, Lier et Turnhout sous le nom de Fietsen zonder leeftijd. En France, elle s’appelle «À vélo sans âge». Ole Kassow, le fondateur danois de ce mouvement de solidarité, rappelle, lors d’une conférence de TEDxCopenhague (2014), que, «jusque dans les années 50-60, le vélo était le moyen de transport le plus populaire». Et pas seulement à Copenhague. Aussi à Rome, Tokyo, Sydney. Et même à Bruxelles. Beaucoup de personnes qui ont aujourd’hui 80 ou 90 ans ont parcouru la ville à vélo. Ole Kassow revendique, pour ceux qui ne peuvent plus se déplacer, le «droit d’avoir du vent dans ses cheveux». Il insiste sur l’impact positif, parfois surprenant, de ces sorties à vélo sur la qualité de vie des seniors.

«Mon truc, c’est la seconde main, la récup. Et y a plein d’ateliers de réparations de vélos à Bruxelles. Il y a un gros potentiel.» Peter, association Frickshaw

Un bon triporteur tel que ceux utilisés par Cycling Without Age coûte autour de 6.000 euros. Pour l’instant, Peter n’envisage pas de tels investissements pour sa jeune organisation, Frickshaw. Il est attaché à ses vieux clous d’Asie, tellement beaux dans leur jus. «Je veux rester dans l’artisanal. Mon truc, c’est la seconde main, la récup. Et y a plein d’ateliers de réparations de vélos à Bruxelles. Il y a un gros potentiel.» L’asbl Cyclo est d’ailleurs partenaire de Frickshaw, pour l’entretien, le stockage et le prêt des vélos. À l’avenir, Peter souhaite semer ses rickshaws aux quatre coins de la capitale. Et qu’ils soient empruntés, usés jusqu’à la jante, pour offrir des petits instants de bonheur à nos aînés.

Aller plus loin

«À vélo, Mesdames!», Alter Échos n°306, 15 décembre 2010, Julien Winkel.

 

Céline Gautier

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