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Logement

Le testing est (presque) arrivé près de chez vous

La discrimination à l’embauche et à l’accès au logement ne faiblit pas. Le testing, ou test de situation, pourrait être un moyen efficace pour endiguer ce problème. Le procédé est actuellement discuté à Gand et à Bruxelles. Mais les freins politiques sont nombreux.
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Une forme d'anonymat pour postuler, une solution contre les discriminations ?

La discrimination à l’embauche et à l’accès au logement ne faiblit pas. Le testing, ou test de situation, pourrait être un moyen efficace pour endiguer ce problème. Le procédé est actuellement discuté à Gand et à Bruxelles. Mais les freins politiques sont nombreux.

Depuis le mois d’octobre, Gand est la première ville d’Europe à effectuer systématiquement des tests de situation pour lutter contre la discrimination sur le marché locatif. Une trentaine de volontaires sont chargés de vérifier systématiquement s’il existe des cas de discrimination, en se renseignant à deux reprises sur la disponibilité d’un bien à la location: une fois avec un locataire potentiel au nom à consonance étrangère et une autre avec un patronyme flamand. Si les réponses apportées ne sont pas les mêmes, le cas de discrimination est alors avéré. L’Université de Gand avait déjà mené une étude de testing sur l’accès au logement dans la cité flamande. Les résultats avaient été très clairs: quand on a un nom ou des traits physiques d’origines étrangères, on a une chance sur trois d’être discriminé. Quand, en plus, on a des revenus sociaux, c’est trois chances sur quatre. Du côté de la ministre flamande du Logement, la nationaliste Liesbeth Homans, on prône l’autorégulation du marché plutôt que ces tests jugés à ses yeux trop intrusifs.

«[…] Il faut savoir que jusqu’à présent, tous les mécanismes légaux antidiscrimination n’ont conduit à rien.» Didier Gosuin, ministre bruxellois de l’Emploi

Concordance de calendrier, au parlement bruxellois, des auditions ont lieu sur l’application éventuelle du test de situation sur le marché de l’emploi. La proposition du groupe Écolo-Groen et du PTB prévoit d’intégrer le testing parmi les instruments légaux de lutte contre la discrimination. Les inspecteurs de l’emploi bruxellois seraient compétents pour réaliser ces tests dans les secteurs du marché de l’emploi soumis à leur surveillance. Ils pourraient ainsi vérifier et constater de façon proactive les pratiques discriminatoires éventuelles en matière d’emploi. C’est qu’il y a urgence: le taux d’emploi des personnes originaires du Maghreb et de la Turquie est respectivement de 42% et 40% à Bruxelles, plaçant la Région en queue de peloton au sein de l’Union européenne. Une étude récente de la Fondation Roi Baudouin confirmait cette réalité: plus de 60% des répondants avaient été confrontés à la discrimination dans le cadre de leur vie professionnelle (1).

La preuve du test

S’il ne s’oppose pas au testing, le ministre bruxellois de l’Emploi, Didier Gosuin, s’interroge sur l’efficacité de ce dispositif. «Je suis pour toute preuve allant contre la discrimination à l’embauche. Mais il faut savoir que, jusqu’à présent, tous les mécanismes légaux anti-discrimination n’ont conduit à rien», expliquait-il dans un entretien à BX1. Le ministre rappelle que le nombre de procès-verbaux pour discrimination sur le marché de l’emploi était très faible. Ces trois dernières années, sur les 61 dossiers de discrimination établis par l’inspection sociale fédérale, un seul procès-verbal avait été rédigé.

«Il n’y a pas de testing pro-actif. C’est uniquement un outil de mesure qui […] peut contribuer de manière significative à l’objectivation de comportements discriminatoires.» Isabelle Rorive, professeure de droit à l’ULB

Didier Gosuin remet en cause également la possibilité pour les inspecteurs sociaux d’effectuer ces tests de situation comme le veut la proposition d’Écolo-Groen et du PTB. Pourtant, lors des premières auditions au parlement bruxellois, tous les experts juridiques interrogés ont déclaré que la Région était bel et bien compétente pour la mise en place de ces tests. Parmi ces experts, Isabelle Rorive, professeure de droit à l’ULB. Elle balaie les inquiétudes du ministre bruxellois sur les inspecteurs sociaux. «Le fait qu’ils fassent des contrôles sans s’identifier comme tels au sein d’une entreprise est prévu dans les conventions internationales. Ce n’est pas un obstacle juridique.» Les obstacles sont plutôt pratiques à ses yeux: «Sont-ils les bons intervenants pour réaliser le testing? Sont-ils outillés pour faire cela?» Ce sera tout l’enjeu des prochaines auditions au parlement bruxellois.

La spécialiste rappelle qu’en matière de discrimination la législation actuelle a un énorme défaut. «Prouver la discrimination avant l’entame d’une relation de travail s’avère pratiquement impossible. Le poids de la charge de la preuve est tel qu’il est extrêmement difficile d’étayer les poursuites pour un demandeur d’emploi victime de discrimination.» Pourtant, depuis 2003, la loi prévoit un partage de la preuve, c’est-à-dire que le demandeur d’emploi comme l’employeur doivent prouver chacun s’il y a eu ou non discrimination. «Malheureusement, trop de magistrats sont rétifs à appliquer ce partage de la preuve dans lequel le testing pourrait être un élément parmi d’autres pour prouver un cas de discrimination à l’embauche», poursuit la professeure de l’ULB.

Réticences politiques

Puis, en matière de testing, la spécialiste rappelle les nombreuses résistances politiques. Elles ne sont pas neuves: en 2007, les mots «test de situation» feront débat et n’apparaîtront pas dans la loi tendant à lutter contre certaines formes de discrimination. «Il y a vraiment eu une série de réticences, avant tout idéologiques, en prétendant que les entreprises allaient être infiltrées. Cette vision de délation ne correspond pourtant pas à la réalité ni à la manière dont l’outil a été utilisé jusqu’ici. Il n’y a pas de testing proactif. C’est uniquement un outil de mesure qui, s’il est appliqué avec une méthodologie rigoureuse, peut contribuer de manière significative à l’objectivation de comportements discriminatoires», continue Isabelle Rorive.

Côté wallon, on attend de voir quelle sera l’issue des débats bruxellois pour se prononcer sur le test de situation.

Côté wallon, on attend de voir quelle sera l’issue des débats bruxellois pour se prononcer sur le test de situation, même si Écolo déposera dans les prochaines semaines une proposition similaire à celle faite en Région de Bruxelles-Capitale.

Quant à Unia (Centre interfédéral pour l’égalité des chances), il a fait du test de situation un de ses chevaux de bataille. Il vient de mettre en ligne un outil qui propose aux candidats locataires et aux associations qui les accompagnent de réaliser une sorte de testing afin de mettre en lumière les discriminations raciales au logement. Unia plaide également pour que les testings soient mieux encadrés par le législateur, de façon à réduire l’incertitude sur la valeur probante de ces tests en justice. «Il faut aussi que l’autorité publique prenne en charge elle-même l’organisation de ces testings, par exemple via les services d’inspection du travail ou du logement, dans des secteurs identifiés préalablement comme problématiques en termes de discrimination, explique Michaël François, porte-parole d’Unia. Même si, en ce qui concerne l’emploi, la question du testing et des services d’inspection compétents pour les mettre éventuellement en œuvre est rendue particulièrement complexe par la répartition des compétences relatives à l’économie et à l’emploi entre Régions et niveau fédéral. Des solutions créatives doivent être recherchées. Il faudra, dans tous les cas, veiller aussi à ce que ces services soient dotés des moyens nécessaires pour agir efficacement.» Et le porte-parole de rappeler que les résistances sont davantage politiques que juridiques: «Selon les sensibilités, les responsables politiques des diverses entités fédérées prennent plus ou moins au sérieux la problématique de la discrimination. Il reste manifestement encore difficile pour tous de prendre des mesures qui iraient à l’encontre des désirs des organisations d’employeurs, de propriétaires ou d’agents immobiliers. Celles-ci ne nient pas aujourd’hui l’importance de la problématique de la discrimination, mais elles ont tendance à préférer les actions de sensibilisation ou de formation aux testings, souvent perçus comme intrusifs et potentiellement plus sanctionnants.»

 

(1) Belgo-Marocains, Belgo-Turcs – (auto)portrait de nos concitoyens, Fondation Roi Baudouin, 2015.

Pierre Jassogne

Pierre Jassogne

Journaliste (social, justice)

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