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Social-santé

«L’AViQ, c’est un nouveau modèle de sécurité sociale»

On connaissait l’Awiph, l’Agence wallonne pour les handicapés. On connaît encore mal l’AViQ qui l’a remplacée en embarquant toutes les politiques relatives à la santé, aux familles, aux personnes âgées. L’Agence pour une vie de qualité vient de se voir confier son premier contrat de gestion par le gouvernement wallon. La barque est chargée. Nous avons rencontré son capitaine, le président du Conseil général de l’AViQ, Marc Elsen.

Parmi les principaux défis de l’AVIQ figurent les questions touchant à l’allongement de la vie et la création de l’assurance autonomie.

On connaissait l’Awiph, l’Agence wallonne pour les handicapés. On connaît encore mal l’AViQ qui l’a remplacée en embarquant toutes les politiques relatives à la santé, aux familles, aux personnes âgées. L’Agence pour une vie de qualité vient de se voir confier son premier contrat de gestion par le gouvernement wallon. La barque est chargée. Nous avons rencontré son capitaine, le président du Conseil général de l’AViQ, Marc Elsen.

Alter Échos: L’Agence pour une vie de qualité, l’AViQ va devoir affronter au cours de ces deux prochaines années des pans entiers de la sécurité sociale, les allocations familiales, l’assurance autonomie, toutes les matières issues de l’Inami. Vous vous sentez prêt?

Marc Elsen: Je ferai ce qu’il faut pour l’être. L’AViQ est un organisme d’intérêt public (OIP) encore jeune. Depuis janvier 2016, on a déjà fait pas mal de chemin au niveau organisationnel. L’AViQ est constituée de secteurs qui travaillaient séparément les uns des autres et il faut créer à présent une culture commune. Il faut surtout avoir des objectifs transversaux puisque le but de l’AViQ est d’articuler toutes ces politiques. Ce qui complique les choses, c’est que le transfert des compétences arrive au fil du temps. Les allocations familiales, qui constituent tout de même une grande part du budget, arriveront début 2019. L’assurance autonomie n’existe pas encore. Ce sont deux objectifs incontournables, et la question n’est plus de savoir si on les gère ou pas mais comment le faire. La structure de l’OIP, même si elle est un peu complexe dans son organisation, nécessite un certain nombre de concertations entre le Conseil général et les comités de branche (lire l’encadré) mais cela évolue bien…

AÉ: À terme, à quoi ressemblera l’AViQ en matière de personnel, de budget?

ME: L’AViQ comptera environ 800 équivalents temps pleins et un budget de quatre milliards quatre cents millions, soit à peu près un tiers du budget wallon. Il est évident que le poids des allocations familiales est très important dans la balance. C’est un nouveau modèle de sécurité sociale qui se met en place. Le décret est là et il oriente notre action, mais on se rend compte que certains éléments méritent d’être affinés…

«L’AViQ comptera environ 800 équivalents temps pleins et un budget de quatre milliards quatre, soit à peu près un tiers du budget wallon.»

AÉ: Par exemple?

ME: Toutes les questions relatives aux quorums. Il est prévu qu’il y ait une majorité de représentants dans chacune des composantes du Conseil général et il suffit parfois d’une absence pour que celui-ci ne puisse pas se réunir. Certains voudraient aussi remettre en question le Conseil de stratégie et de prospective, qui n’est toujours pas en place. Et c’est très regrettable parce que c’est un élément fondateur pour définir les objectifs de l’AViQ. L’évaluation du décret de base a commencé. Moi, je me suis engagé à mettre en place le contrat de gestion, qui a été avalisé par le gouvernement wallon en mai dernier, et à évaluer le décret. Je pense que la structure organisationnelle est fort lourde, avec beaucoup de niveaux de concertation. La culture de la participation et du consensus doit encore se renforcer.

AÉ: Le contrat de gestion évoque l’élaboration de politiques en matière de santé mentale, d’isolement des personnes âgées, de prévention du suicide, pour ne donner que quelques exemples. Cela donne l’impression qu’on vous demande de faire le boulot des ministres…

ME: C’est une réflexion pertinente. Ou impertinente… C’est tout l’enjeu du décret qui prévoit effectivement certaines missions régaliennes mais aussi un fonctionnement paritaire avec le gouvernement. L’AViQ est sous la tutelle du gouvernement wallon et plus particulièrement du ministre des Affaires sociales, en ce qui concerne les dotations. Les missions de l’AViQ sont politiques, et nous en avons bien conscience. L’OIP doit assurer la continuité des politiques malgré les changements de majorités gouvernementales.

AÉ: La nouvelle majorité n’a rien remis en cause, pour le moment…

ME: Si cela avait été le cas, cela m’aurait posé un vrai problème et, comme président du Conseil général, j’aurais mis mon mandat sur la table. Si la ligne générale ne sera de fait guère changée, il faut maintenant avoir les moyens d’assurer une politique aussi ambitieuse…

AÉ: Vous avez des craintes dans ce domaine?

ME: On a réussi à faire une esquisse budgétaire qui tient la route. Mais on a besoin d’expertises dans nos services. Pour le moment, le personnel est composé à une très grande majorité d’agents de l’Awiph. Mais il nous faut l’apport d’autres agents de l’administration régionale et fédérale pour assurer le traitement des matières dont nous avons la charge. L’appel a été fait mais tout le monde ne se précipite pas pour nous rejoindre. Pour fonctionner, l’AViQ doit intégrer des compétences tant par la formation du personnel que par adjonction d’agents.

AÉ: Vous allez récupérer le personnel des SPF Santé et Sécurité sociale?

ME: Nous avons déjà récupéré pas mal d’agents mais il y a des «trous». Voyez la politique des maisons de repos, du secteur hospitalier, cela demande des expertises importantes. J’estime qu’on doit pouvoir aller chercher nos collaborateurs là où ces expertises existent, dans les organisations mutuellistes, syndicales ou autres. Mettons les énergies en commun. Le ministre de l’Action sociale, dans l’ancienne majorité, s’était engagé à apporter un milliard d’euros pour débusquer ces experts. Cela ne semble pas être remis en question pour le moment.

«Jusqu’à il y a peu, on considérait que toutes les réponses sociales devaient passer par des institutions.»

AÉ: Quel est pour vous le dossier qui constitue le plus grand défi pour une agence comme l’AViQ?

ME: Répondre aux besoins sociétaux qui sont en évolution comme celui des modèles familiaux. Toutes les questions liées à la santé mentale, à l’allongement de la vie… Le fait que 50% des familles monoparentales soient précarisées est un vrai défi pour une agence comme la nôtre.

AÉ: Le contrat de gestion vous demande d’assurer le suivi d’une série de «plans» transversaux intrafrancophones dans des domaines très divers: droits de l’enfant, réforme des soins de santé mentale pour les adultes, plan de lutte contre la pauvreté, plan contre les violences sexuelles et familiales. C’est un «paquet» de compétences jusqu’ici très éclatées et que l’AViQ va devoir prendre en charge de manière globale.

ME: La transversalité des approches est un vrai défi. Et elle ne se limite pas aux questions sociales. Je pense à l’aménagement du territoire, à l’énergie, à l’emploi. Nous nous sommes engagés à prendre pour premier critère la satisfaction des besoins de la population. Ces défis sociétaux sont autant de pièces de puzzle à rassembler.

AÉ: Le secrétaire général de la FGTB, Thierry Bodson, et le patron de Solidaris, Jean-Pascal Labille, sont montés au créneau en juin dernier pour dénoncer les obstacles que va rencontrer, selon eux, l’AViQ. Ils décrivent l’Agence comme un «mastodonte» qui risque la paralysie. Pour Bodson et Labille, il aurait été préférable de créer plutôt trois OIP sur les matières sociales. Le gouvernement wallon n’a-t-il pas surchargé la barque avec le risque de la faire couler?

ME: La création de l’AViQ est la conséquence de la sixième réforme de l’État. C’est une contrainte institutionnelle qui s’impose à nous. À titre personnel, je suis bien conscient que la barque est très lourdement chargée mais je pense qu’à terme il y aura une vraie plus-value à répondre de manière coordonnée aux problèmes de société que nous rencontrons. Jusqu’à il y a peu, on considérait que toutes les réponses sociales devaient passer par des institutions, que ce soit pour les personnes âgées, la santé mentale, les soins hospitaliers. On travaille aujourd’hui davantage en articulation avec le milieu de vie. Si on n’a pas un organisme qui peut gérer toutes ces problématiques de manière transversale, on continuera à avoir des politiques éclatées qui coûtent cher, aussi en moyens humains.

«Si on n’a pas un organisme qui peut gérer toutes ces problématiques de manière transversale, on continuera à avoir des politiques éclatées qui coûtent cher.»

AÉ: Le calendrier pour assurer la prise en charge de toutes ces compétences est serré…

ME: On est dans une sorte de course contre la montre. C’est la raison pour laquelle je fais un appel au gouvernement wallon pour que l’AViQ dispose des moyens nécessaires. On ne peut pas constamment faire plus en ayant toujours moins. Nous savons par ailleurs que la culture de la participation et cette création d’une culture commune entre les trois branches qui constituent l’OIP prendront du temps. Il faut à travers l’évaluation du décret pouvoir mettre sur la table tout ce qui freine, tout ce qui grippe les rouages, voir comment faire remontrer les propositions du bas vers le haut, vers le Conseil général. Il faut assouplir ces passages, et c’est parfois difficile.

AÉ: À vous entendre, l’enjeu, c’est aussi d’éviter une forte hiérarchie, voire de la bureaucratie?

ME: C’est le risque. Il faudra créer des équilibres entre les trois secteurs, faire en sorte que chacun se sente reconnu, rassuré. J’accorde une grande importance aux messages des experts. C’est eux qui vont nous aider à imaginer les politiques, à rompre avec la politique des silos où chaque comité ne s’occupe que de ce qui le concerne, le handicap, la santé, les allocations familiales… Les réponses nouvelles aux missions que doit assumer l’AViQ viendront des initiatives du terrain. C’est ma conviction absolue.

L’AViQ au scanneur

Portée par l’ex-ministre cdH Maxime Prevot, l’Agence pour une vie de qualité a vu le jour en janvier 2016. Au cours des premiers mois, l’Agence a absorbé le personnel (400 agents) de l’ex-Awiph mais avec un cahier de charges bien plus lourd puisqu’il s’agit désormais de gérer tout ce qui concerne la santé et le bien-être, les familles, en plus du handicap. Ces trois compétences sont les trois branches du tout nouvel organisme d’intérêt public wallon. Chacune de ces branches est gérée par un comité et à la tête de ces trois comités se trouve le Conseil général. Le Conseil général est composé de représentants des organisations d’employeurs, des organisations syndicales, des mutuelles et de cinq représentants du monde politique: Violaine Herbaux (MR), Yolande Husden (PS), Marc Elsen (cdH), Régis Doyen (MR) et Laurent Levêque (PS). On ajoutera que cette structure est complétée par un dispositif d’audit interne et un «Conseil de stratégie et de prospective».

L’AViQ va devoir, dès janvier 2019, gérer les transferts de compétences prévus par la réforme de l’État, intégrer le personnel fédéral, installer le Conseil de stratégie qui sera le pilote des politiques futures en matière de santé et d’aide aux personnes. Au menu des prochains mois et des prochaines années: le remboursement des prestations de sécurité sociale en santé, en maisons de repos, la prévention de la santé, le financement des hôpitaux et des maisons de repos, toutes les politiques relatives à l’hébergement, l’emploi des personnes handicapées, la prise en charge des personnes âgées mais aussi la gestion des allocations familiales, des primes de naissance, de la future assurance autonomie. La qualité de vie, ce n’est pas que des détails.

 

En savoir plus

«Régionalisation, bonne pour la santé?», Alter Échos n° 377, mars 2014, Marinette Mormont.

Martine Vandemeulebroucke

Martine Vandemeulebroucke

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