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Regard critique · Justice sociale

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La participation, à quoi bon?

Les élus invitent de plus en plus le citoyen dans les arcanes du pouvoir. Une décision avec la participation du peuple est-elle forcément meilleure? Le sociologue québécois Jacques T. Godbout met en garde: «La participation n’est pas toujours un apport positif à la démocratie représentative.»

© Benoît Gréant

Les élus invitent de plus en plus le citoyen dans les arcanes du pouvoir. Une décision avec la participation du peuple est-elle forcément meilleure? Le sociologue québécois Jacques T. Godbout met en garde: «La participation n’est pas toujours un apport positif à la démocratie représentative.»

Pour les politiques, la participation permet de se rapprocher du citoyen, de combler le prétendu gouffre entre la population et eux. Pour le citoyen, il s’agit de jouer la carte du contre-pouvoir, d’influer sur le quotidien, d’être acteur de la cité. Les raisons pour solliciter la participation dans les décisions politiques ne manquent pas. Et les manières de participer non plus. Du simple fait de s’informer à la codécision en passant par la consultation ou la concertation, les degrés d’implication et de partage du pouvoir sont variés, tout comme les formes de ces implications (commission consultative, enquête publique, panel de citoyens, référendum, consultation populaire, etc.).

À parcourir la littérature sur le sujet, la participation n’aurait jamais été autant réclamée. Pour le politologue français Loïc Blondiaux[1], cette tendance s’expliquerait par le profil de nos sociétés, de plus en plus complexes, divisées, réflexives, indociles, défiantes et… ingouvernables. À cette longue liste de raisons s’ajoute l’affaiblissement des relais entre citoyens et politique. L’homme de la rue, individualiste, se retrouverait de moins en moins dans les partis politiques, les syndicats, les associations diverses et veut dialoguer directement avec le pouvoir. L’omniprésence des médias en continu achèverait d’exacerber la volonté d’intervenir dans les débats publics.

Cette vague participationniste a échoué sur les bords de la Meuse, près du Grognon à Namur. En Région wallonne (voir l’encadré «La consultation populaire, bientôt wallonne»), la commission des Affaires générales s’est éclipsée en mai 2015 devant la toute récente commission spéciale relative au renouveau démocratique. Une de ses missions? «Améliorer tant la démocratie représentative que la démocratie participative» pour réduire «le fossé grandissant entre les citoyens et leurs représentants»[2]. Cette commission spéciale a pris à bras-le-corps le texte de loi sur la consultation populaire au niveau régional, elle a délégué une mission en Autriche et en Suisse pour constater de visu la gestion des participations de ces pays.

L’intérêt de ces démarches? En vrac, la démocratie participative offrirait une gouvernance plus démocratique, des capacités citoyennes renforcées, une meilleure compréhension des préoccupations du public et une plus grande confiance entre les acteurs de la cité[3]. Bref, tout est bon dans la participation. Tout? 

Participation/représentation, pas de filiation

Dans La participation contre la démocratie, récemment rééditée[4], Jacques T. Godbout met en garde: «[Le modèle de la démocratie directe] implique précisément que le choix des décideurs devienne secondaire. Plus on prend part à la décision, moins les choix des décideurs comptent. La participation provoque un déplacement du lieu central d’exercice de la démocratie représentative. (…) Ce déplacement fait que les deux modèles ne sont pas complémentaires. Loin de se renforcer mutuellement, comme le supposent les participationnistes, au-delà d’un certain seuil, ils peuvent se nier l’un l’autre. Un des postulats de la théorie participationniste est donc faux: la participation n’est pas toujours un apport positif à la démocratie représentative. Elle peut en être une solution de remplacement.»

De plus, le sociologue québécois corrige l’idée d’une filiation naturelle entre les démocraties représentative et athénienne (directe). «La démocratie représentative tire ses racines d’institutions médiévales. Les principes fondateurs sont différents, elle repose notamment sur un droit à l’opposition, droit fondamental vu que ‘ceux qui prennent les décisions ne sont plus l’ensemble des citoyens’.» Or ce droit d’opposition serait affaibli par l’acceptation de participer, d’être mobilisé, consulté par les institutions politiques.

Rempart contre les xénophobes

« Ceux qui sont le plus favorables à la participation, ceux qui la réclament le plus, sont ceux qui participent le plus déjà, les « militants naturels.» Le sociologue Jacques T. Godbout.

© Benoît GréantAutre écueil de la participation dans nos sociétés: le manque de temps. Pour fonctionner efficacement, la démocratie participative réclame une mobilisation très grande. Comme peu de gens en disposent, la participation tendrait à déplacer le pouvoir vers les «minorités actives». «Ceux qui sont le plus favorables à la participation, ceux qui la réclament le plus, sont ceux qui participent le plus déjà, les ‘militants naturels’», estime Jacques T. Godbout. Le constat est partagé par Loïc Blondiaux. Mal cadrée, la participation pourrait déboucher sur une augmentation des inégalités sociales.

Pour contrecarrer le risque d’une participation confisquée par les technocrates et militants, David Van Reybrouck propose une démocratie faisant appel au tirage au sort. Il a à la fois pratiqué l’idée avec le G1000 et argumenté avec son essai Contre les élections[5]. Si le résultat tangible aura été… un rapport de plus, les dynamiques testées auront inspiré Yves Sintomer qui y a vu un formidable exercice de démocratie délibérative[6]. Pour ce politologue français (favorable au tirage au sort en politique), le système démocratique doit absolument se renouveler. «Si le statu quo persiste, il y a fort à parier que l’essentiel des décisions se prendra en dehors du jeu démocratique institutionnel et que celui-ci se réduira à un théâtre d’ombres. Cela ne manquera pas de susciter en retour la montée de dynamiques autoritaires et xénophobes, comme on le voit dans plusieurs pays européens[7].» S’il fallait une bonne raison pour ouvrir la voie à de nouvelles expérimentations du fonctionnement démocratique, celle-ci devrait suffire…

La participation, c’est quoi?

«Une approche participative préconise une implication active du ‘public’ aux processus décisionnels, le public concerné dépendant du sujet abordé. Il peut regrouper des citoyens lambdas, les parties prenantes d’un projet ou d’une politique en particulier, des experts et même des membres du gouvernement ou des entreprises privées. En règle générale, les processus décisionnels peuvent être perçus comme un cycle en trois étapes comprenant la planification, la mise en œuvre et l’évaluation; l’approche participative peut être utilisée dans toutes ces étapes ou pour certaines d’entre elles.» Méthode participative, un guide pour l’utilisateur, Fondation Roi Baudouin, 2006.

Pour cerner tous les concepts de la participation, un groupe de chercheurs a créé le Dictionnaire critique et interdisciplinaire de la participation. S’y retrouvent des notions comme la «coconstruction», l’«espace public», l’«urbanisme participatif», des théories («capital d’autochtonie», «démocratie cosmopolitique», «pragmatisme et participation»,…) ou des dispositifs («ateliers du futur», «conseil de développement», «tirage au
sort», «vote»,…)

Le tout ici: http://www.participation-et-democratie.fr.

La consultation populaire, bientôt wallonne

Reconnaissons au parlement wallon la volonté de prendre le dossier à bras-le-corps.

Depuis 2014 et la sixième réforme de l’État, les Régions peuvent organiser des consultations populaires (donc non contraignantes) sur leur territoire. Les enjeux mis sur la place publique ne peuvent porter que sur les matières régionales, et ne peuvent pas être liés aux finances ou budget. Pour le reste, tant qu’on n’enfreint pas les libertés et droits fondamentaux, c’est bon. Encore faut-il mettre en place un décret (ou une ordonnance pour la Région bruxelloise) pour opérationnaliser cette consultation.

Rapidement, PS, cdH, MR et Écolo s’étaient dès avril 2014 entendus sur un texte de loi. Mais une élection plus tard, la nouvelle majorité (PS-cdH) a… abandonné le texte pour en proposer un autre. Le hic, c’est qu’il faut une majorité spéciale (deux tiers des députés) pour faire passer ce décret. Obligation donc de trouver des soutiens en dehors des rangs rouge/orange. Le débat est tombé dans l’escarcelle de la commission du Renouveau démocratique et, à lire les comptes rendus, les avancées sont réelles. La possibilité pour le gouvernement ou le parlement de lancer une consultation (souhait du MR) serait abandonnée en échange de pouvoir entendre les citoyens initiateurs d’une demande de consultation populaire. Cinquante mille habitants wallons (proposition du PP) seraient suffisants pour demander une consultation, en lieu et place des 100.000 prévus dans les textes MR/Écolo et PS/cdH. L’âge pour le vote devrait être fixé à 18 ans (et non 16). Reste à caler le tout dans un texte de loi bien charpenté. L’avis du Conseil d’État sur les trois textes déposés en avril était mitigé, un «certain nombre d’aspects fondamentaux de l’organisation de la consultation populaire» n’étant pas réglé, dont «le dispositif relatif à la protection juridique en cas de contestation portant sur les listes de signatures, sur les listes des personnes à convoquer à la consultation, ainsi que sur le dépouillement et les résultats de celle-ci. Par ailleurs, était remis en question le rôle du parlement dans le processus de construction de ces consultations et de la formulation de la question posée. Elle doit être «précise, univoque, non suggestive et cohérente. Reste à savoir si la majorité parlementaire, qui a elle-même ses priorités politiques, est l’instance appropriée pour veiller au caractère adéquat de la question posée et si elle ne doit pas à tout le moins se faire assister par une commission indépendante d’experts».

Enfin, le Conseil d’État invitait également le Parlement à régler «le soutien financier de comités de citoyens et autres, et/ou les dépenses de ceux-ci, et ce afin d’éviter que les groupes disposant d’importants moyens financiers ne dominent et n’influencent la diffusion de l’information».

Judicieux.

Et à Bruxelles?

Parlement bruxellois, Cocof et VGC ont mis sur pied un groupe de travail qui, dès septembre, se réunira deux fois par mois pour, entre autres, renforcer la participation citoyenne. Transparence des débats, possibilité de participer au travail législatif (en amendant des propositions!) et démocratie directe par le biais de pétitions ou consultations. Tout cela est au programme des discussions. Citoyen bruxellois, sois prêt à participer. 

Par ailleurs, Écolo prépare une ordonnance organisant la consultation populaire en Région bruxelloise. Les options proposées dans ce texte de loi? Gouvernement, parlement et citoyen peuvent prendre l’initiative. Pour une demande légitime, il faudra compter sur cinq députés ou 20.000 habitants (ayant au moins 16 ans). Aucune consultation ne sera organisée six mois avant une élection régionale, fédérale, européenne ou communale. Les votes seront dépouillés uniquement si 10% de la population habilitée à voter s’est déplacée, ce seuil devant également être atteint dans au moins cinq communes. Enfin, l’information complète mise à la disposition du citoyen sera réalisée par le service législatif du parlement, et des limites de dépenses seront prévues pour les protagonistes mobilisés autour de la consultation.

[1] Selon la note de lecture du livre de Loïc Blondiaux par Philippe De Leener, Etopia, juin 2009.

[2] Constat généralement admis mais partiellement démenti par le Baromètre social 2014 de l’IWEPS. Si le politique reste l’institution dont se méfient le plus les Wallons (56%), il est passé de 73% à 56% de méfiants à son égard de 2003 à 2013, atteignant un niveau équivalent aux… médias (55%).

[3] Méthode participative, un guide pour l’utilisateur, Fondation Roi Baudouin, 2006.

[4] La participation contre la démocratie, Édition Saint-Martin,‎ 1983, réédition chez Liber,‎ 2014.

[5] Lire «Indignés, G1000, Tout autre chose: de ‘simples’ citoyens?», Alter Échos n°396, par Cédric Vallet.

[6] L’idée principale de la démocratie délibérative est celle selon laquelle une décision politique est légitime lorsqu’elle procède de la délibération publique de citoyens égaux. L’échange discursif entre les citoyens doit permettre de faire partager des conceptions du bien commun différentes et de faire ainsi entrer en jeu le pluralisme inhérent aux sociétés contemporaines. Aussi, l’échange d’arguments raisonnés et capables de convaincre les autres est censé apporter un gain de rationalité à la prise de décision finale (Wikipédia).

[7] «Le G1000 est un vrai signe d’espoir», La Libre Belgique, 24 janvier 2013, par Christian Laporte.

Aller plus loin

«Consultation populaire: 100.000 Wallons, sinon rien?», Alter Échos n°396, février 2015, par Pierre Jassogne.

Lire notre dossier: «La participation, piège à cons?»

Olivier Bailly

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