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Regard critique · Justice sociale

Santé

L'aide médicale urgente, un droit très théorique

Des associations bruxelloises rédigent un mémorandum pour dénoncer la difficulté d’accéder à l’aide médicale urgente.

31-08-2012 Alter Échos n° 343

Si les soins de santé pour les illégaux sont censés être couverts par l’aide médicale urgente, dans les faits, la complexité administrative de laprocédure rend l’accès à ce droit fondamental très hasardeux. À la veille des élections communales, plusieurs associations bruxelloises de terraintirent la sonnette d’alarme dans un mémorandum pour le moins critique.

Seulement 58,2 % des personnes en séjour irrégulier connaissent l’existence de l’aide médicale urgente (AMU) et 34,4 % des personnes informées entreprennent desdémarches pour l’obtenir, selon une enquête menée en 2009 par Médecins du Monde. Au bout du compte, à peine 9,8 % des ayants-droit ont pu bénéficier decette aide. L’écart entre droits théoriques et effectifs s’explique, entre autres, par des procédures administratives d’une complexité kafkaïenne, dénonce lemémorandum rédigé par JES, Médecins du monde, Pigment, Medimmigrant et Samenlevingsopbouw Brussel1.

Pour bénéficier du remboursement des soins de santé, les personnes en séjour irrégulier doivent se présenter au CPAS de la commune où ellesrésident, qui contrôlera qu’elles répondent aux conditions requises. Plusieurs semaines peuvent ainsi s’écouler entre le moment où le besoin de soins estexprimé et celui où le droit à l’aide médicale est ouvert. « Dans la commune de Schaerbeek, il faut compter entre trois et cinq semaines au minimum à partirdu moment où un patient nous consulte pour que le CPAS statue. Et ça, c’est quand tout se passe bien. Pour peu qu’on rencontre une barrière linguistique ou que l’assistant socialsoit en vacances, et ça fait encore durer la procédure», s’inquiète le docteur Laurence Couvreur, de la Maison médicale Aster2. « Si on devaitattendre qu’un enfant qui vient nous consulter pour une bronchite ait ouvert son droit à l’AMU pour le soigner, on finirait par l’hospitaliser pour une pneumonie », s’alarme quantà elle le docteur Kathia Van Egmont, coordinatrice médicale de projets pour Médecins du monde3.

Pas d’adresse, pas d’AMU

La question de l’adresse est un exemple parmi d’autres des exigences imposées par les CPAS. Pour bénéficier de l’aide médicale urgente, la personne en situationirrégulière doit prouver qu’elle vit bien dans la commune du CPAS où elle a introduit sa demande. Un critère de territorialité qui paraît peu adaptépour une population dont la caractéristique est justement de ne pas avoir d’adresse fixe ! « Ce sont des personnes qui logent à droite et à gauche, en fonction de leursréseaux de solidarité », note Stéphane Heymans, responsable de projets Belgique pour Médecins du monde. « Par ailleurs, nombre d’usagers en séjourirrégulier attendent longtemps avant d’aller au CPAS par crainte des conséquences que leur démarche aura pour la personne qui les héberge. »

Et le parcours du combattant administratif est loin de s’arrêter là. Une fois le lieu de résidence établi, la personne en situation irrégulière devra aussiprésenter un certificat d’un médecin qui constate la nécessité des soins médicaux, subir une enquête à domicile pour prouver qu’elle esteffectivement dans l’impossibilité de payer les soins nécessaires. Une enquête sociale, souvent intrusive, et dont le principe même pourrait être remis en cause.« Quand une personne est en situation illégale, on peut postuler l’état d’indigence », argue Pierre de Proost, premier Conseiller au CPAS de Molenbeek.

Et pour couronner le tout, les règles varient d’une commune à l’autre ! Des médicaments sont remboursés dans un CPAS et pas dans l’autre, certains prennent en charge lapremière consultation médicale, mais pas tous…

La course à l’attestation

Voici un exemple tiré du mémorandum qui permet de se faire une idée de la complexité des procédures : « Madame X, en séjour irrégulier,ne se sent pas bien et se rend au CPAS pour demander une intervention pour la consultation d’un médecin. Le CPAS du lieu de résidence de Mme X n’ouvre un dossier que si lapersonne concernée peut présenter un certificat d’AMU. Une asbl contacte un médecin non conventionné exerçant sur le territoire où Mme X réside.Celui-ci l’examine et lui remet un certificat d’AMU. Comme le CPAS ne connaît pas ce médecin, il refuse l’attestation et envoie Mme X au CASO de Médecins duMonde (alors que ceux-ci n’ont pas non plus signé de convention avec les CPAS). Puisque Médecins du Monde n’a pas de permanence ce jour-là, Médecins du monderenvoie alors Mme X au poste de garde de médecine générale qui remplit un certificat d’AMU. Ce certificat-là est accepté et le CPAS pourra donc ouvrir undossier ».

Pénurie de médecins

Aux difficultés administratives, soulignées en long et en large dans le mémorandum, s’ajoute la question de l’accès à des structures médicales qui sont deplus en plus saturées. Chez Médecins du monde, pas une consultation ne s’achève sans avoir dû refouler une partie des patients présents dans la salle d’attente.« Et dans certains quartiers populaires de Bruxelles, c’est devenu impossible de trouver un médecin généraliste », renchérit Stéphane Heymans.Même constat du côté de la Maison médicale Aster, à Schaerbeek. « Aujourd’hui, quand un nouveau médecin s’installe, après 3 mois, il a bienassez de travail. Les maisons médicales qui travaillent au forfait n’acceptent quasiment plus de nouveaux patients… Le fait que les structures médicales existantes soientsaturées de demandes est un facteur de plus qui limite l’accès des plus démunis aux soins de santé, et par conséquent, l’accès des personnes ensituation irrégulière aux soins de santé », analyse le docteur Laurence Couvreur.

D’autant plus que ces patients demandent une attention particulière. « Il faut être outillés pour soigner des personnes qui, bien souvent, ne parlent pas la langue, nesavent pas ce qu’est une prise de sang, ni où se trouve l’hôpital », poursuit Laurence Couvreur. « Les personnes en situation illégale se présententsouvent chez nous avec des pathologies qui non pas été traitées depuis longtemps. Ils ont repoussé le plus possible le moment de se faire soigner et arrivent quand lasituation est vraiment grave », confirme le docteur Kathia Van Egmont.

Quelques recommandations

Saturation des structures médicales, méconnaissance du système, lenteur de la procédure, en 2005 déjà, Médeci
ns sans frontière attiraientl’attention sur les dysfonctionnements de l’aide médicale urgente (lire Alter Echos n° 181 : « Aide médicale urgente : où on en est ? »). Depuis, la situation ne semble pass’être améliorée. Pourtant les pistes de solutions existent et sont parfois déjà mises en œuvre.

Sur son site web, le CPAS de Saint-Gilles fournit des informations détaillées sur la procédure à suivre pour obtenir l’aide médicale d’urgence. Au CPAS deMolenbeek, une cellule d’assistants sociaux spécialisée pour accueillir les personnes en situation irrégulière a été mise en place. À Anvers, leMinderhedencentrum De Acht s’est joint à un certain nombre d’organisations et de prestataires de soins pour développer une application en ligne qui permet aux assistantssociaux d’orienter facilement vers un médecin généraliste vivant dans leur quartier…

Les associations qui ont signé le mémorandum recommandent aussi une harmonisation des pratiques et des procédures mises en place par les différents CPAS et l’adoptiondu système de la carte médicale préventive, une procédure proactive qui permet au patient d’ouvrir le droit à l’aide médicale avant que le besoinde soins médicaux ne soit exprimé.

1. « Aide médicale urgente pour les personnes en séjour irrégulier, où cela coince-t-il ? » A lire sur www.medimmigrant.be/uploads/beleidsvoorstel/memorandum_FR_DEF.pdf
2. Maison médicale Aster :
– adresse : rue Josse Impens, 58 à 1030 Bruxelles
– tél. : 02 216 12 62.
3. Médecins du Monde :
– adresse : rue de l’Eclipse, 6 à 1000 Bruxelles
– tél. : 02 648 69 99
– courriel : info@medecinsdumonde.be
– site : www.medecinsdumonde.be

Sandrine Warsztacki

Sandrine Warsztacki

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