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Regard critique · Justice sociale

Justice

Jean-Paul Dock : «J’ai vu doubler la population pénitentiaire»

«J’ai fait 35 ans de prison», plaisante Jean-Paul Dock, ancien directeur de la prison de Dinant, qui est aussi passé brièvement par les prisons de Namur, Forest, Huy, Marneffe et Saint-Gilles. Ce long séjour professionnel en milieu pénitentiaire l’amène à s’interroger sur la volonté politique, syndicale de mener des réformes pour faire de la prison autre chose qu’un lieu de «parcage» des exclus de notre société.

(c)Mathias Muller

«J’ai fait 35 ans de prison», plaisante Jean-Paul Dock, ancien directeur de la prison de Dinant, qui est aussi passé brièvement par les prisons de Namur, Forest, Huy, Marneffe et Saint-Gilles. Ce long séjour professionnel en milieu pénitentiaire l’amène à s’interroger sur la volonté politique, syndicale de mener des réformes pour faire de la prison autre chose qu’un lieu de «parcage» des exclus de notre société.

jean_paul_dockAlter Échos: Quel regard portez-vous sur la longue grève des prisons?

Jean-Paul Dock: Le mouvement était prévisible en raison des économies mises en place dans le secteur des prisons. Les agents pénitentiaires ont obtenu beaucoup d’avantages pendant une vingtaine d’années, si on compare leur statut à celui d’autres agents administratifs. Quand on commence à reprendre ces avantages, c’est normal qu’ils s’accrochent… La différence de réactions entre les Flamands et les francophones s’explique notamment parce que la fonction publique – et particulièrement la Justice – a été plus gâtée au Nord. Il a toujours été plus facile d’obtenir des rénovations pour les prisons du nord du pays.

A.É.: Au cours de ce conflit, on n’a guère pris en considération le sort des détenus…

J.-P.D: Ce n’était ni la préoccupation des travailleurs ni celle des autorités politiques. Ni celle de l’opinion publique.

«Si on construit des prisons, il faudra du personnel supplémentaire. Cela ne va en tout cas rien régler aux conflits sociaux que nous venons de connaître.»

A.É.: Comment voyez-vous l’évolution de la surpopulation au cours de vos 35 années de carrière?

J.-P.D.: J’ai connu un doublement de la population pénitentiaire. Les choses ont commencé à s’aggraver au début des années 80, en réponse à un gouvernement qui devenait plus répressif et moins social. Quand l’État n’assure plus la protection de tous ses citoyens, une partie de la population décroche. La prison sert de lieu de maîtrise de cette population. Après, on a essayé de limiter la détention préventive. La loi a eu des effets très nets dans les six mois qui ont suivi sa mise en application puis tout a recommencé à fonctionner comme avant. Cela dit, la proportion de détenus préventifs est tout de même moins forte qu’il y a trente ans. On était alors à plus de 40%, maintenant on est à 30% de détenus préventifs (même si le nombre de prévenus a augmenté en 30 ans, NDLR).

L’autre explication, c’est l’augmentation du «stock». Deux raisons à cela: la justice prononce des peines de plus en plus lourdes et l’arsenal du Code pénal a été modifié. On aggrave les condamnations et en même temps on rend plus difficile l’accès à la libération conditionnelle. Cela devient tellement compliqué que beaucoup de détenus ne tentent même plus de passer devant le tribunal d’application des peines et vont «à fond de peine». Pourtant, on a pris des mesures pour libérer des places: on a expulsé les étrangers condamnés, on a créé des peines alternatives, on a mis en place la surveillance électronique. Mais certains détenus échouent à respecter les conditions de ces dispositifs et se retrouvent en prison. Le nombre de condamnations continue donc à augmenter.

A.É.: Le Masterplan Prisons, c’est la solution? Koen Geens dit que, grâce aux nouvelles places créées, la surpopulation a baissé.

J.-P.D.: Un peu, de l’ordre de 7% environ. De nouvelles prisons, c’est une option. L’autre pourrait être de mettre moins de personnes dans le même nombre de places. Depuis une quinzaine d’années, on a augmenté de manière importante le nombre de places dans les prisons mais on reste toujours au-delà des capacités. Certains disent que, dès qu’on ouvre une prison, elle se remplit. Je suis prêt à le croire. Je trouve d’ailleurs très curieux que le ministre de la Justice ait répondu aux revendications des agents en leur promettant de nouvelles prisons alors qu’ils disent être déjà en sous-effectifs. Si on construit des prisons, il faudra du personnel supplémentaire. Cela ne va en tout cas rien régler aux conflits sociaux que nous venons de connaître.

«L’emprisonnement peut aider certains à se remettre en question, mais huit jours suffisent pour ça!»

A.É.: Des pays font le pari inverse. Les Pays-Bas, la Finlande ont fermé des prisons.

J.-P.D.: J’ignore comment ce changement «culturel» a pu se produire dans ces pays mais je pense qu’il faut travailler en amont. Nous vivons dans une société qui pénalise tout. On parque les gens à problèmes dans les prisons. Le profil de la population carcérale, c’est tout de même 85% de gens pauvres, démunis sur le plan social et culturel.

A.É.: L’emprisonnement, c’est toujours une expérience négative?

J.-P.D.: La prison n’est pas une réponse satisfaisante surtout en raison de la manière dont elle fonctionne. Mais j’ai connu des détenus qui m’ont dit: «Il était temps que je tombe en prison pour que je réfléchisse.» L’emprisonnement peut aider certains à se remettre en question mais huit jours suffisent pour ça! Si on appliquait la loi, la prison pourrait permettre la réintégration d’une personne dans la vie sociale mais il faudrait pour cela sortir du «tout sécuritaire» et accomplir un gros travail social à l’intérieur des murs. Ce n’est pas le cas aujourd’hui et la surpopulation n’est pas la seule explication. La structure institutionnelle de notre pays est aussi une source d’immobilisme et de difficultés. Le fédéral assure le gîte et le couvert. La réinsertion est de la compétence des entités fédérées. La Justice étant aussi maître de la sécurité, c’est elle qui décide qui entre ou pas dans une prison, si on y autorise une pièce de théâtre, des cours. Et ce n’est pas souvent le directeur de la prison qui décide mais aussi et surtout les organisations syndicales qui ont ce pouvoir. Un pouvoir réel mais qui ne dit pas son nom.

A.É.: Vous dites que les syndicats ont un pouvoir supérieur à celui du directeur pour toute l’organisation des activités dans la prison?

J.-P.D.: C’est tout à fait cela. Même en dehors des conflits sociaux, on brandit le concept de sécurité ou de manque de personnel pour refuser des visites, des cours. Dans plusieurs prisons, on a ainsi supprimé des activités pour les détenus sans en référer au chef d’établissement. Et si l’on prend le risque de forcer la main au personnel, on risque de déclencher un mouvement social. À Lantin, il y a quelques années, le personnel a fait un service minimum pendant plusieurs mois sans émouvoir grand-monde. Le contenu de l’exécution de la peine, c’est vraiment du parcage.

A.É.: Les détenus, tout le monde s’en désintéresse?

J.-P.D.: Si le politique ne s’en occupe pas, c’est parce que l’opinion publique ne s’en soucie pas et vice versa. Le discours dominant dans la société, c’est que les détenus n’ont que ce qu’ils méritent. On retrouve forcément aussi ce discours chez une partie du personnel pénitentiaire. Je m’étonne que, pendant la grève, les organisations syndicales n’aient pas cherché des alliés dans les associations d’aide aux détenus pour faire bouger les choses. Si elles avaient pu arriver aux négociations en abordant les différents angles de la vie pénitentiaire, si elles étaient arrivées avec des propositions communes, il y aurait eu plus de chances d’être entendu qu’avec de seules revendications corporatistes.

A.É.: Faut-il mieux former le personnel pénitentiaire?

J.-P.D.: Ah ça, c’est évident. La formation ne dure que trois mois et elle n’est pas du tout sélective. Il faudrait pouvoir écarter ceux qui font l’objet d’une évaluation négative et qui ne sont pas faits pour ce métier. J’ai l’impression que la formation sert surtout à faire connaître aux agents leurs droits mais on insiste peu sur leurs devoirs à l’égard des détenus. Il est tout de même interpellant que la première information qu’on donne aux candidats, c’est leur nombre de jours de congé. Cela donne tout de même un curieux signal non? Il faut exiger une meilleure formation. Être agent pénitentiaire, c’est un boulot difficile, exigeant que certains font très bien mais d’autres pas. Il y a aussi une petite frange qui a des problèmes à régler avec le pouvoir. C’est un métier où on a un grand pouvoir sur l’autre…

A.É.: D’où la nécessité d’un accompagnement?

J.-P.D.: C’est indispensable et il faut donner la possibilité aux directeurs de le faire, ce qui est loin d’être facile. Pas seulement parce qu’ils sont débordés par des problèmes de gestion administrative. J’avais voulu organiser une formation à la communication non violente. Quatre agents étaient intéressés mais, quand les formateurs sont venus, il n’y avait personne. Il y a eu une telle pression des autres agents qu’ils se sont retirés. Cela venait du directeur, donc c’était a priori suspect. Mon collègue de Namur a, lui, voulu former le personnel sur la question des internés. Il avait monté un projet avec des psychiatres, des assistants sociaux mais, au moment où devait se dérouler le premier module, personne n’était là. Le délégué syndical avait donné le mot d’ordre de ne pas venir parce que c’était aux organisations syndicales à s’occuper de la formation.

Tout le monde a intérêt à ce que les agents se sentent mieux dans leur travail, mais il faut vraiment aller plus loin que des revendications pécuniaires.

A.É.: Les commissions de surveillance des prisons sont-elles utiles?

J.-P.D.: Le problème, c’est qu’elles dépendent du ministre. Elles devraient dépendre du Parlement pour être plus indépendantes. Mais dans le conflit que nous venons de connaître, elles ont pris position. Ce sont elles qui sont allées vers les organisations syndicales pour évoquer les problèmes des détenus. On doit d’ailleurs s’attendre à des difficultés dans les prochaines semaines. Les agents «rentrent» mais avec des pieds de plomb et il y aura une tentation de leur part à faire un «service minimum». Tout le monde a intérêt à ce que les agents se sentent mieux dans leur travail mais il faut vraiment aller plus loin que des revendications pécuniaires.

A.É.: Quelle est la place des associations d’aide aux détenus dans une prison?

J.-P.D.: Réduite. Elles ont trop peu de moyens et dépensent beaucoup d’énergie à essayer de les garder. Elles doivent aussi cohabiter avec le personnel et n’ont donc pas intérêt à faire des vagues. On l’a vu d’ailleurs lors de ce dernier conflit.

Aller plus loin

Fil infos, «Se soucier des détenus est devenu politiquement risqué», interview de Christophe Mincke, Cédric Vallet, juin 2016.

En savoir plus

« Prisons: se libérer de l’enfermement», un dossier à lire dans notre prochain numéro d’Alter Échos.

Lire aussi : AlterÉchos n°423, «Un modèle québécois pour penser la sortie de prison», Sophie Mangado, 7 juin 2016.

Martine Vandemeulebroucke

Martine Vandemeulebroucke

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