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Logement

«Habitat permanent»: une zone d’habitat vert, mais pour quand?

Le rapport «Habitat permanent», commandé en 2015 par le ministre wallon de l’Action sociale, vient enfin de sortir. Ses recommandations apportent des pistes innovantes et parfois controversées. Mais le risque est que ces mesures tardent à se concrétiser.

La législation concernant l’habitat permanent ne permet pas tout…

Le rapport «Habitat permanent», commandé en 2015 par le ministre wallon de l’Action sociale, vient enfin de sortir. Ses recommandations apportent des pistes innovantes et parfois controversées. Mais le risque est que ces mesures tardent à se concrétiser.

C’est peu dire s’il était attendu! En cours de finalisation depuis un an, le rapport sur l’Habitat permanent (HP) commandé en 2015 par le ministre de l’Action sociale, Maxime Prévot (cdH), a enfin été rendu public le 19 mai 2017. À l’époque, le ministre wallon avait confié à trois parlementaires wallons la mission d’explorer des pistes concrètes pour apporter des solutions à ce phénomène qui a pris de l’ampleur ces dernières années en Wallonie. On parle officiellement de 12.000 personnes aujourd’hui, pour 8.000 en 2002. «Au départ, on était trois à travailler sur ce rapport, mais je suis le seul à avoir travaillé sur la rédaction finale, précise Philippe Dodrimont (MR) pour expliquer la lenteur du processus. Entre-temps, Savine Moucheron (cdH) est devenue échevine à Mons et Pierre-Yves Dermagne (PS), ministre du Logement.»

Avant de coucher leurs conclusions sur papier, ces parlementaires ont visité de nombreuses zones dites «HP» en Wallonie pour se rendre compte de toutes les spécificités de l’habitat permanent. «On a aussi bien des caravanes pourries installées en zone inondable que des villas quatre façades de 120 m² confortablement installées en zone de loisirs», insiste Philippe Dodrimont (MR). Une façon aussi de se faire une idée plus précise des besoins et des attentes des résidents permanents.

Zone d’habitat vert

Au parc résidentiel de La Gayolle, on se souvient encore de la visite des députés wallons en avril 2016. Situé sur les hauteurs d’Yvoir en province de Namur, ce domaine répertorié en zone de loisirs compte environ 270 résidents à l’année et près de 500 quand les beaux jours reviennent. En ce vendredi soir ensoleillé du mois de mai, les habitants ont rendez-vous avec leur agent de concertation, Sébastien Bodart (travaillant alors au nom du MOC, Mouvement ouvrier chrétien). C’est lui qui est chargé de faire le lien avec les autorités. L’objectif de la soirée est d’expliquer les principales mesures contenues dans le rapport. «Les habitants se rendent compte qu’un truc est en train de se passer, résume Sébastien Bodart. Mais on n’a encore rien de concret. Tant que les arrêtés d’application ne sont pas votés, on ne peut pas vraiment se prononcer. On attend de voir.»

Contrairement aux zones d’habitat et d’habitat à caractère rural, la zone d’habitat vert pourra comprendre de l’habitat dit «alternatif».

Pourtant, à La Gayolle comme ailleurs, une mesure est sur toutes les lèvres: la mise en place de nouvelles zones d’habitat vert en Wallonie. C’est sans conteste la recommandation phare qui préconise la mise en place «d’une nouvelle zone urbanistique où la résidence sera autorisée pour autant que les parcelles qui la composent présentent une surface minimale de 200 m² et que la zone comprenne entre 15 et 35 parcelles au maximum par hectare[1]». Contrairement aux zones d’habitat et d’habitat à caractère rural, la zone d’habitat vert pourra comprendre de l’habitat dit «alternatif» pour autant que celui-ci respecte certaines conditions, notamment en matière de normes de performance énergétique des bâtiments (PEB) et incendie.

Pour Philippe Dodrimont, la mise en place de cette zone urbanistique spécifique est une réelle avancée. Elle permet de faire fi des erreurs du passé en reconnaissant une responsabilité collective dans le chef tant des autorités que des résidents dans la situation actuelle. Six mille personnes, soit la moitié des résidents permanents, pourraient être touchées par cette mesure. «Elle offre l’avantage d’apporter une solution juridique et de lever la situation d’infraction urbanistique avec tous les problèmes qui s’ensuivent», précise le député MR. Et notamment la fameuse question de la domiciliation provisoire[2] qui a fait couler beaucoup d’encre ces derniers mois et créé un véritable sentiment d’insécurité juridique auprès des résidents permanents. «La mesure pourrait être intéressante mais elle ne s’applique qu’à une série très limitée de domaines, regrette Sébastien Bodart. À La Gayolle, a priori, on n’entre pas dans les conditions de parcelles.»

« (…) une grande réforme du Code wallon de développement territorial est entrée en vigueur ce 1er juin. Elle est le fruit de plusieurs années de discussions parfois compliquées entre les membres de la majorité. Va-t-on rouvrir maintenant le chantier de la réforme du CoDT?»,Nicolas Bernard, professeur à Saint-Louis.

Nicolas Bernard, professeur à Saint-Louis et spécialiste des questions de logement, se réjouit de la mise en place de ces zones d’habitat vert. «Cela fait longtemps que cette piste est dans les cartons et qu’on n’a jamais rien vu venir de substantiel. C’était un peu comme l’arlésienne, celle dont on parle souvent mais qu’on ne voit jamais.» Mais sur le fond, il s’étonne: pour que cette mesure entre en vigueur, elle doit être inscrite dans le code wallon de développement territorial, le CoDT. «Or, une grande réforme du Code wallon de développement territorial est entrée en vigueur ce 1er juin. Elle est le fruit de plusieurs années de discussions parfois compliquées entre les membres de la majorité. Va-t-on rouvrir maintenant le chantier de la réforme du CoDT?», se demande le chercheur.

Battre le fer

Philippe Dodrimont y croit. Pour lui, il y a un accord politique pour aménager certaines mesures du CoDT. «C’est maintenant que le véritable travail parlementaire commence. Si la majorité ne devait pas nous suivre, ce serait grave. Je serais très surpris, pour ne pas dire autre chose.» Il rappelle que ce rapport a été porté et défendu par les trois principales formations politiques et que la proposition de décret a été avalisée fin mars. Les députés attendent maintenant l’avis du Conseil d’État, qui devrait être rendu dans les prochains jours. «Ça peut avancer très vite et encore aboutir avant fin juin, insiste Philippe Dodrimont. Les choses doivent se faire rapidement sinon, ce sera une occasion manquée. Depuis le départ, on travaille en bonne intelligence avec Maxime Prévot et son administration, notamment la Dics[3]. Il n’y a pas de raison que ça change.»

Reste que l’Aménagement du territoire, c’est la compétence du ministre Carlo Di Antonio (cdH). C’est lui qui a la tutelle sur le CoDT. Et en coulisse il se murmure que le ministre ne serait pas favorable à une réouverture des discussions sur le CoDT. Le porte-parole du ministre estime qu’il est prématuré de s’exprimer. «Des groupes de travail au sein tant du gouvernement que du Parlement vont se réunir dans les prochains jours pour examiner cette question», indique François Dubru. Il rappelle que le ministre attend l’avis du Conseil d’État avant de se prononcer. «Même si le travail sur le nouveau CoDT a été bouclé avant l’aboutissement de la réflexion sur l’habitat permanent et la sortie du rapport, il existe un accord de principe d’intégrer la mesure dans le CoDT», explique le porte-parole. Avant de préciser qu’il s’agit d’un accord de principe et non d’un accord sur le contenu. «Or, la régularisation urbanistique des zones HP est une question complexe où interviennent de nombreux paramètres.» Autrement dit, la discussion ne sera pas simple et pourrait bien retarder l’entrée en vigueur de la mesure.

«La création d’une zone d’habitat vert est un enjeu suffisamment primordial, en regard des citoyens concernés, pour justifier un aménagement du texte», Pierre-Yves Dermagne, ministre wallon du Logement

De son côté, Pierre-Yves Dermagne rappelle que, comme n’importe quel texte de loi, le CoDT n’est pas figé une fois pour toutes. «La création d’une zone d’habitat vert est un enjeu suffisamment primordial, en regard des citoyens concernés, pour justifier un aménagement du texte», insiste l’actuel ministre du Logement. Mais il se montre plus prudent en termes de timing. «Les choses avancent dans le bon sens, mais ça va mettre encore du temps. Connaissant le rythme du travail parlementaire, on peut supposer que cela se traduira en textes dans l’année qui vient.» Ensuite, pour les étapes suivantes, il faut tenir compte des délais prévus dans le rapport. Pour les reconversions en zone d’habitat vert, il faut compter cinq ans par exemple. «Sans faire de fausses promesses, et si tout le monde joue le jeu, on peut solutionner une majorité de situations avant 2025, précise le ministre du Logement. Ça peut paraître long, mais on vient de tellement loin.»

La carotte… et le bâton

Certaines zones de loisirs ont déjà été identifiées et listées dans le rapport comme étant des zones reconvertibles prioritaires. Mais tout le monde ne pourra pas bénéficier de la mesure. Les habitats permanents situés en zones inondables par exemple ou les infrastructures délabrées situées dans des zones de grande promiscuité avec des problèmes de salubrité, voire de sécurité, devront être évacués. Comment? À part envisager des pistes pour le relogement, le rapport ne le précise pas.

En revanche, le rapport insiste sur la nécessité de limiter de manière «ferme et définitive», les nouvelles entrées dans les zones HP qui ne pourront pas être reconverties. Une mesure répétée depuis des années qui figurait déjà dans le plan HP en 2002 mais qui n’a jamais fonctionné. «La limitation des entrées, c’est une cause perdue, affirme Sébastien Bodart. Tant qu’on n’apporte pas des solutions à la crise du logement, ça ne fonctionnera jamais!» Philippe Dodrimont insiste pourtant sur ce point qui, d’après lui, serait indispensable si on veut régler une fois pour toutes la question de l’habitat permanent. Et pour y arriver, il entend responsabiliser davantage les communes en mettant en place des règles auxquelles les communes ne pourront plus déroger. «Il faudra aussi inévitablement durcir le ton vis-à-vis de ceux qui tenteraient quand même de s’installer dans des zones non reconvertibles, quitte à faire appel à la justice», ajoute-t-il.

«Le danger est que l’ensemble des recommandations de ce rapport reste au stade de la déclaration d’intention», Nicolas Bernard, professeur à Saint-Louis

Un autre point du rapport interpelle les acteurs de terrain: les parlementaires arrivent à la conclusion que la concertation sociale n’a plus guère d’utilité. «Diverses associations se sont révélées manquer de neutralité de sorte que de nombreuses communes ont spontanément renoncé au mécanisme. Ailleurs, il est complexe d’amener les HP à entrer dans une réflexion collective[4].» Pour Sébastien Bodart, c’est ni plus ni moins une sanction. Pour lui, c’est un véritable recul car l’associatif a joué un rôle essentiel dans de nombreux endroits dans la reprise du dialogue avec les communes et le retour de la police et des pompiers dans les campings. «On est vu comme des électrons libres. C’est sans doute parce qu’on ne va pas suffisamment dans le sens des communes qu’on remet en cause notre rôle aujourd’hui. Qui sera l’interface désormais en cas de problèmes entre la commune et les résidents? Ce sera plus frontal.»

«Merci pour ce rapport»

À La Gayolle, la soirée d’information avec les résidents a soulevé plus de questions qu’elle n’a apporté de réponses. Les résidents permanents le savent, ils vont encore devoir s’armer de patience. Certaines mesures proposées dans le rapport pourront être mises en œuvre rapidement. Mais les plus fondamentales mettront du temps avant de voir le jour, si tant est qu’elles le voient un jour.

«Le danger est que l’ensemble des recommandations de ce rapport reste au stade de la déclaration d’intention», met en garde Nicolas Bernard. Le risque serait que le gouvernement dise «Merci pour ce rapport mais, malheureusement, il arrive un peu tard dans la législature. Nous laisserons le soin à nos successeurs de décider des suites à donner». Pour ce chercheur, même s’il existe un large consensus entre les partis de la majorité, ce rapport n’est jamais qu’une invitation. «Il n’a rien de contraignant. Il ne s’agit que de recommandations, et des propositions de ce type, il y en a déjà eu des paquets.»

 

Une vingtaine de pistes à explorer sur la table du gouvernement wallon
Outre la création des zones d’habitat vert et l’application de la procédure «sites à réaménager» aux zones HP, le rapport rappelle la nécessité d’imposer la maîtrise des entrées dans les équipements qui ne pourront pas être reconvertis en zone d’habitat vert, à court et à moyen terme. Pour les parlementaires, des mécanismes de sanction devront être mis en place si cette maîtrise n’est pas effective. Ils rappellent la nécessité d’explorer toutes les pistes possibles pour reloger les résidents permanents et proposent une réflexion sur «l’habitat alternatif» en Wallonie. Le rapport épingle également plusieurs pistes originales de logements en fonction des réalités de l’habital permanent.
Dans les zones HP à reconvertir, le rapport préconise des mesures pour améliorer la qualité des infrastructures, comme faciliter l’extension des réseaux de distribution d’eau. Dans la même idée, les parlementaires proposent de faire du plan d’investissement communal un outil pour améliorer les infrastructures des équipements HP à reconvertir. Ils suggèrent également que les provinces deviennent des partenaires de la Région et des communes et apportent leur soutien. Le rapport propose aussi de faciliter l’accès et la mobilisation des aides régionales et que celles-ci puissent perdurer pendant trois ans après la modification du plan de secteur de certaines zones. Il prévoit enfin que les primes HP versées aux résidents permanents doivent être doublées pour ceux qui ne se trouvent pas en zone reconvertible, et ce, pour une période de trois ans après l’instauration de la mesure.
Enfin, les parlementaires préconisent l’instauration d’un mécanisme d’aide juridique permettant de faire face aux sorties complexes de la copropriété et de ramener une saine gestion dans les équipements non reconvertibles. Ils proposent par ailleurs une implication plus importante du Commissariat général du tourisme en cas d’infractions. Les parcs résidentiels doivent être soumis à la tutelle du Commissariat général du tourisme, à l’instar de ce qui se fait avec les villages de vacances.

 

[1] Mission parlementaire Habitat permanent, rapport au gouvernement wallon, p. 42.

[2] Lire «Du permanent provisoire: l’arme de dissuasion massive des communes», Alter Échos n° 426, juin 2016, Francois Corbiau

[3] La direction interdépartementale de la Cohésion sociale.

[4] Mission parlementaire Habitat permanent, rapport au gouvernement wallon, p. 51.

 

Francois Corbiau

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