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Regard critique · Justice sociale

Santé

Philippe Batifoulier : «Le patient est dorénavant considéré comme responsable de son sort»

«Chacun reconnaît le rôle capital de santé dans le bien-être. C’est pourquoi les soins de santé ne sont pas des biens comme les autres. Pourtant, comme pour acquérir d’autres biens de consommation, on peut désormais venir à s’endetter pour accéder aux soin.» Tel est le constat de Philippe Batifoulier dans son dernier ouvrage «Capital santé, quand le patient devient client» (La Découverte, 2014) par rapport au système de soins de santé français, qui n’échappe pas à la privatisation observée aux États-Unis. Le professeur d’économie politique à l’université Paris-Ouest Nanterre-La Défense et membre du collectif des Economistes atterrés place le patient au centre de son ouvrage, un patient devenu client d’ un système censé le protéger. «La maladie n’est plus seulement une épreuve physique et morale, Elle est devenue une épreuve financière», écrit-il. L’auteur aborde aussi les réformes de privatisation de la santé française, qui loi n de réduire les dépenses comme elles prétendent le faire, augmentent la dépense publique. Pour lui, d’autres pistes sont à emprunter, qui replacent le patient, la solidarité et la santé publique au cœur des priorités.

24-04-2015
"Depuis les années 80, le financement de la santé est considéré moins comme une source de bien-être que comme un coût pour la santé publique. Les années 2000 ne font que renforcer cette tendance", constate l'économiste Phiippe Batifoulier. (©FlickrCC)

Dans son dernier ouvrage Capital santé, quand le patient devient client (La Découverte, 2014), l’économiste Philippe Batifoulier fait le diagnostic d’un système de soins de santé français qui envisage de plus en plus la santé comme un bien de consommation.

«Chacun reconnaît le rôle capital de santé dans le bien-être. C’est pourquoi les soins de santé ne sont pas des biens comme les autres. Pourtant, comme pour acquérir d’autres biens de consommation, on peut désormais venir à s’endetter pour accéder aux soins.» Tel est le constat de Philippe Batifoulier dans son dernier ouvrage Capital santé, quand le patient devient client (La Découverte, 2014) par rapport au système de soins de santé français, qui, contrairement à ce qui a été longtemps cru, n’échappe pas à la privatisation observée aux États-Unis. Le professeur d’économie politique à l’université Paris-Ouest Nanterre-La Défense et membre du collectif des Économistes Atterrés analyse comme le patient est devenu client d’ un système censé le protéger. «La maladie n’est plus seulement une épreuve physique et morale, Elle est devenue une épreuve financière», écrit-il. L’auteur aborde aussi les réformes de privatisation de la santé française. Loin de réduire les dépenses comme elles prétendent le faire, elles augmentent la dépense publique. Pour l’économiste, d’autres pistes sont à emprunter, qui replacent le patient, la solidarité et la santé publique au cœur des priorités.

A.E: La santé est de plus en plus considérée comme une marchandise, c’est votre constat principal. Depuis quand peut-on observer ce glissement?

P.B: Depuis les années 80, le financement de la santé est considéré moins comme une source de bien-être que comme un coût pour la santé publique. Les années 2000 ne font que renforcer cette tendance. Le financement de la santé passe dans les mains du privé, qui y voient un moyen efficace de faire de l’argent. La santé devient un nouveau marché à conquérir, comme l’automobile ou le textile, secteurs qui ne s’avèrent plus si lucratif. Des tas d’espaces de lucrativité se créent en terme de santé. Le secteur des maisons de retraite est particulièrement dans le viseur du privé (lire à ce sujet: Soins de santé, un marché en or, AÉ, n°382-383, 20 mai 2014).

A.E: Le privé vient-il combler un déficit de financement public comme certains acteurs du secteur le dénoncent?

P.B: Il est naïf de penser que le privé s’empare des espaces laissés vacants par le public. Les assurances privées ne veulent assurer que les bien portants. Le principe du partage des risques définit la nouvelle architecture du système de santé. Le «petit risque», pas cher et plus fréquent, est financé par les individus eux-mêmes au nom de leur responsabilisation. Le «gros  risque», beaucoup moins rentable, est pris en charge par le public. Le public prend ce que ne veut pas le privé, et pas le contraire. Mais on observe un mécanisme plus insidieux encore: quand les organismes publics intègrent les règles du privé. Les hôpitaux sont aujourd’hui gérés comme des entreprises privées. Bientôt, il y aura davantage de consultants, chargés d’expliquer comme gérer un hôpital, que de soignants!

Le principe du partage des risques définit la nouvelle architecture du système de santé. Le «petit risque», pas cher et plus fréquent, est financé par les individus eux-mêmes au nom de leur responsabilisation. Le «gros  risque», beaucoup moins rentable, est pris en charge par le public.

A.E: Dans ce contexte, bien que votre livre soit axé sur l’impact de la marchandisation de la santé sur les patients, on peut aussi se demander quelles sont ses conséquences sur les soignants.

P.B: Les soignants les plus vulnérables sont ceux qui sont les plus impliqués. Bien faire son métier selon leur conception consiste à soigner mais aussi créer du lien social. Or, on leur dit que cela ne sert à rien. Ils doivent apprendre en fait à «mal faire leur métier». Les conséquences sont multiples: augmentation des contrats intérimaires, important turnover dans les hôpitaux et fuite du personnel vers le privé où les honoraires sont plus élevés.

A.E: Qu’entendez-vous par la «responsabilisation» du patient?

P.B: C’est l’idée que le bien-être assuré est une mauvaise nouvelle. L’assurance sociale est pourtant née au nom du bien-être. La responsabilisation implique que si le patient paye, il fera plus attention à ses dépenses. Le patient est considéré comme responsable de son sort. Cela repose sur une double croyance erronée. D’abord, l’idée que la maladie est volontaire. Ensuite, croire qu’en faisant payer un ticket modérateur (partie des dépenses qui restent à la charge du patient après remboursement des mutuelles, NDLR), on ne fait pas payer ce qui ne sert à rien, c’est faux. En réalité, on supprime les soins essentiels. La politique de responsabilisation du patient nuit gravement à la prévention.

A.E: Ce système engendre des inégalités. Vous écrivez: «Ce sont ceux qui ont le plus besoin de soins qui ont le plus de difficultés à le faire.»

P.B: Les problèmes de santé sont liées aux conditions sociales. Le public modeste est en première ligne de ces dispositifs engendrant des inégalités. Par exemple en France, les sans-papiers reçoivent une aide médicale d’Etat. On a mis en place « le droit de timbre », 30 euros à payer, dans le but de  les responsabiliser. Pas mal d’études ont pourtant démontré que cela accroît les problèmes de santé publique. Ces personnes se retrouve avec des pathologies plus avancées aux urgences, ce qui est beaucoup plus coûteux que la prévention.

Il faut bien rembourser les soins de premier recours. Mais pour les industries, il est plus rentable de soigner que de prévenir.

A.E: Que préconisez-vous alors pour faire des économies? 

P.B: On peut faire des économies sur le remboursement. Partout où la dépense privée remplace la dépense publique, elle est plus élevée que la dépense publique. Non seulement la dépense privée est inégalitaire comme je le disais plus tôt mais cette situation est donc aussi absurde d’un point de vue des dépenses. Cette augmentation implique un renoncement des soins, qui implique un retard des soins ou un report de soin. Donc, la dépense est différée mais majorée. Il faut donc bien rembourser les soins de premier recours. Mais pour les industries, il est plus rentable de soigner que de prévenir. Autre exemple: on observe aujourd’hui que des médicaments qui ne sont pas spécialement nécessaires sont bien remboursés. On doit cela aux lobbies pharmaceutiques. Pour rappel, le Mediator était remboursé (médicament soupçonnés d’avoir entraînés des maladies cardiaques et la mort de 2.100 personnes en France, NDLR)!

 A.E: Que préconisez-vous comme solutions concrètes?

P.B: Dans la configuration française, je préconise un remboursement à 100 %, il est aujourd’hui à 75%.  Je défends une couverture totale et universelle pour ne pas laisser d’espace au privé. Pour tous mais pas sur tout. A la population de décider en fonction de ses besoins. On pourrait par exemple imaginer 100% de remboursement sur les prothèses dentaires et auditives. Mais aujourd’hui, ce sont les acteurs dominants – dont les lobbies pharmaceutiques – qui décident de la légitimité ou non d’un besoin de soins et de son remboursement par les budgets publics. Le remboursement n’est pas pensé en fonction de l’utilité sociale et le patient n’est jamais consulté.

A.E: Et quelles seraient les pistes à léchelle globale, dans un contexte daustérité qui frappe de plein fouet la santé?

P.B: La solidarité fait tenir les choses. On l’observe en Grèce. La crise a eu peu d’impact sur la santé. Ce sont les mesures d’austérité qui ont affaibli les systèmes de santé. Les dépenses publiques en matière de santé ont chuté de 13 %. Il n’y a plus de vaccins pour les enfants s’il ne fallait citer qu’un exemple. L’austérité a des effets négatifs sur la population. Les responsables doivent y réfléchir. L’austérité détériore la santé et donc la santé économique d’un pays. Une personne malade n’est in fine plus capable de travailler.

9782707185105

Philippe Batifoulier, « Capital santé, quand le patient devient client », La Découverte, 2014

 

Propos recueillis par Manon Legrand

Aller plus loin

Lire aussi : Soins de santé, un marché en or, AE, n°382-383, 20 mai 2014

Manon Legrand

Manon Legrand

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