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Logement

Le Community Land Trust: foncièrement prometteur?

Le 18 septembre dernier a été inauguré à Molenbeek-Saint-Jean le premier immeuble “Community Land Trust“ en Belgique. Neuf ménages à revenus modestes sont devenus propriétaires de leur logement grâce à ce projet. Mais quel est cet objet immobilier encore mal identifié ? Un squat d’anarchistes rentrés dans le rang ? Un phalanstère participatif pour quelques-uns ? Une communauté d’écolos en mal de quartiers populaires ? Un gadget associatif destiné à le rester ?

31-03-2016

Le 18 septembre dernier a été inauguré à Molenbeek-Saint-Jean le premier immeuble “Community Land Trust” en Belgique. Neuf ménages à revenus modestes sont devenus propriétaires de leur logement grâce à ce projet. Mais quel est cet objet immobilier encore mal identifié ? Un squat d’anarchistes rentrés dans le rang ? Un phalanstère participatif pour quelques-uns ? Une communauté d’écolos en mal de quartiers populaires ? Un gadget associatif destiné à le rester ?

Par Julie Huyghe, Michaël Magerat et Ali El Khatouti. Cet article fait partie d’une recherche rédactionnelle sur l’innovation sociale mené par des étudiants,  soit de futurs professionnels du social, soit des travailleurs sociaux en reprise d’étude, lors de leur cours sur les politiques publiques en 1re MIAS à l’IESSID, la catégorie sociale de la Haute École Paul-Henri Spaak à Bruxelles. Tous les articles des étudiants sont à découvrir sur altermedialab.be

 

Le Community Land Trust (CLT) est un modèle d’habitat qui vise à favoriser l’accès à la propriété aux personnes et familles ayant un faible revenu. Ce modèle repose sur la séparation de la propriété foncière de la propriété du bâti. Dans ce cadre, les habitants sont propriétaires uniquement du bâtiment, le sol restant la propriété du CLT. Par la collectivisation de la propriété du sol, ce système tend à juguler la spéculation immobilière, au sens où les principales plus-values reviennent au collectif plutôt qu’à chaque membre. Ce mode de gestion a un effet immédiat sur le prix des logements proposés. Afin de perpétuer cette accessibilité, des règles de transaction précises visent à maîtriser la plus-value générée par la vente d’un logement.

Un rêve américain …

Le CLT plonge ses racines dans les critiques économiques du XIXe siècle considérant la spéculation et la monopolisation du sol comme une des principales sources des inégalités et de la pauvreté[1]. Sur ces bases théoriques et philosophiques vont apparaitre et se développer, à partir des années 70, les premiers CLT dans les milieux afro-américains[2]. « Le modèle a été inventé en prison par le cousin de Martin Luther King et l’une des premières coopératives autogérées agricoles tenues par les noirs au sud des États-Unis, c’est eux. (…) C’était vraiment des militants de base », explique Thomas Dawance[3], mettant en avant la prestigieuse généalogie du modèle.

 

devenu une réalité bruxelloise

Dans notre capitale, l’élaboration du projet a débuté en 2009, à l’initiative de militants et d’associations. Regroupés en une asbl, ces acteurs ont promu et porté ce modèle auprès du cabinet Doulkeridis (Ecolo), Secrétaire d’État bruxellois chargé du logement (2009-2014). Ce soutien a débouché sur une étude de faisabilité visant à évaluer les possibilités d’intégrer les CLT dans le paysage des politiques publiques du logement à Bruxelles[4].

 

Suite aux conclusions favorables de cette étude, le gouvernement bruxellois a confié à l’asbl Community Land Trust Bruxelles (CLTB) la réalisation de projets pilotes pour adapter le modèle du CLT au terrain bruxellois. Pour l’acquisition de biens fonciers ou immobiliers, le CLTB est soutenu financièrement par des acteurs publics, tels que le Fonds du Logement de la Région de Bruxelles-Capitale. A ce stade de développement, une première concrétisation vient de voir le jour Quai de Mariemont à Molenbeek-Saint-Jean. D’autres projets sont actuellement en chantier.

Ces initiatives prend peu à peu place dans le panorama des aides au logement déjà existantes. Dans le contexte de “crise du logement” que connaissent nos grandes villes, le CLT apporte des réponses encore peu développées en Europe.

Pour une meilleure gestion du sol: un plan à trois

Le CLT, ce n’est pas strictement du logement : c’est une manière de gérer la terre en commun. L’enjeu est de créer des conseils d’administration équilibrés pour représenter la gestion de la terre comme un bien commun”, explique Thomas Dawance. Cette perspective communautaire se traduit par une gérance tripartite : le projet est porté par les propriétaires des logements, des personnes issues du quartier et des représentants des pouvoirs publics. Chacun de ces acteurs participe pour un tiers à la gestion du CLT.

Notre interlocuteur développe : du côté de l’état, “les gouvernants nous montrent que même si on les élit de manière démocratique en tant que bons pères de notre patrimoine général, ils peuvent décider de le vendre aux lois du marché. S’ils veulent le récupérer, ils doivent payer les prix du marché et emprunter aux banques pour récupérer ce qu’ils ont dilapidé du patrimoine public. Voyant cela, on ne peut pas dire que le pouvoir public garantisse à lui seul l’intérêt général en matière de gestion de la terre pour l’intérêt commun. Il est intéressant de le raisonner, avec d’autres acteurs en face”. Dans la même logique, « les “pauvres”, bénéficiaires des aides publiques, qui justifient l’existence même de l’état redistributeur ne suffisent pas comme interlocuteurs. Et il faut introduire un troisième tiers, la société civile, qui ne bénéficie pas directement de l’usage qui peut être fait d’un terrain public pour des bénéficiaires sociaux mais qui a aussi un mot à dire sur la vision de l’intervention publique dans le territoire.»

Les aides publiques traditionnelles : un somnifère social ?

Selon Thomas Dawance, les mécanismes d’aides d’État classiques en matière de logement sont insuffisants. Ils induisent un rapport de client à fournisseur dont la logique est socialement très soporifique : l’abrutissante attente des candidats locataires d’une part, la lourde et aveugle gestion des logements sociaux d’autre part.

Tout en déplorant le désinvestissement de l’Etat dans les logements sociaux, Yasmina[5], propriétaire dans l’immeuble “Mariemont”, souligne les limites de ce modèle d’aide : «Répondre par l’assistanat et offrir des réponses toutes faites ne fait pas avancer. (…) Les personnes qui se tournent vers les logements sociaux vivent littéralement sur une liste d’attente. Il y a 47.000 familles qui vivent sur une liste d’attente. C’est une aberration.»

Tu veux gentrifier mon quartier ?

En plus des logements privés, le CLT peut également développer des espaces, des services collectifs, des activités, des commerces, … Dans la logique du CLTB, le choix des infrastructures d’un quartier n’est pas neutre et doit être débattu : le choix de « mettre un magasin bio plutôt qu’une école de devoirs a un caractère politisé, transformateur du quartier. Ce genre de débat ne peut pas se passer uniquement entre un pouvoir public et un bénéficiaire. Le bénéficiaire est content de bénéficier. Le pouvoir public, il fait une action pour les pauvres qui en bénéficient », lance Thomas Dawance de manière abrupte. Il poursuit : «cela ne permet pas de réfléchir le cadre d’action sur la ville de la même manière que si tu y intègres l’empêcheur de penser en rond qui est celui qui observe et qui voit les objets de transformation. »

La suite de cet article sur altermedialab.be

[1]  H. Georges, Progrès et pauvreté. Paris, Guillaumin, 1887.

[2]  C. Carliez, B. Van Nuffel, et al., Les Community Land Trust (CLT): des outils innovants en matière de logement. Bruxelles, conférence du 20 septembre 2012.

[3]  Conseiller logement auprès du Cabinet Doulkeridis de 2009 à 2012. Chargé de projet au CLTB. Interview du 1er décembre 2015.

[4]  Centre Permanent pour la Citoyenneté et la Participation, Les Community Land Trust : Un bon terrain d’entente ? Bruxelles, Collection « Au Quotidien », 2013.

[5]  Yasmina Ben Hammou, interview du 27 novembre 2015.

Aller plus loin

Lire aussi :

AE n°419 du 

AE n° 411 du 14 octobre 2015 : Community Land Trust, c’est parti !

 

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