Alter Échosr
Regard critique · Justice sociale

Agriculture

Le bail à ferme, la location éternelle

L’accès à la terre est un des enjeux primordiaux pour les agriculteurs de demain. Si la superficie agricole a relativement peu diminué en 20 ans, le nombre d’exploitations a été divisé par deux tandis que la superficie moyenne d’exploitation a fait le chemin inverse, passant de 26 à 56 hectares. Concentration des terres et spéculation sont au rendez-vous. Et pour ne rien arranger, la location du foncier est coincée dans une loi poussiéreuse. Mais plus pour longtemps.
>> Cet article vous intéresse ? Le PDF de la revue consacrée à l’agriculture est disponible pour 3 euros (version papier + PDF pour 6 euros). Envoyez un mail à marie-eve.merckx@alter.be avec pour objet « PDF Agriculture » ou « Revue Agriculture + votre adresse ».

19-08-2015
© Olivier Bailly / Agence Alter
© Olivier Bailly / Agence Alter

L’accès à la terre est un des enjeux primordiaux pour les agriculteurs de demain. Si la superficie agricole a relativement peu diminué en 20 ans, le nombre d’exploitations a été divisé par deux tandis que la superficie moyenne d’exploitation a fait le chemin inverse, passant de 26 à 56 hectares. Concentration des terres et spéculation sont au rendez-vous. Et pour ne rien arranger, la location du foncier est coincée dans une loi poussiéreuse. Mais plus pour longtemps.

Si tous les acteurs du dossier sont d’accord, c’est bien sur ce point: un bon coup de balai fera du bien. À propos de? Du bail à ferme. Ces trois mots recouvrent la location de terres agricoles d’un propriétaire pour un agriculteur. De 1804 à aujourd’hui, la législation a été modifiée à plusieurs reprises pour protéger l’agriculteur. Logique: celui-ci doit s’inscrire dans un temps long pour pouvoir investir la terre. Au gré des décisions, ce bail a obtenu une durée minimale de 9 ans, puis 18 ans. La possibilité pour le propriétaire de disposer de sa terre a été restreinte. Il ne peut la reprendre que pour exploitation personnelle. Le fermier-loueur peut, lui, céder son bail à ses descendants sans autorisation du bailleur. Si la terre est revendue, le locataire a un droit de préemption sur la terre et il peut même céder ce droit à un investisseur qui achèterait la terre pour lui. Un bail de carrière (qui court jusqu’à la pension du fermier) a été instauré en 1988. Ce bail offre une stabilité au loueur tandis que le propriétaire des terres obtient des avantages fiscaux et peut louer plus cher. Car, et c’est la dernière contrainte à évoquer, le prix de location est organisé autour du «fermage». À savoir des coefficients qui gèrent les montants des locations autorisées selon le sol et les provinces. Ces coefficients sont décidés de haute lutte lors de négociations tous les trois ans. Toutes ces mesures concernent beaucoup d’agriculteurs: deux tiers des terres agricoles sont en location.

Effets pervers

«Ce bail est perçu comme un acquis social, il a été efficace pour une génération mais avec le ‘papy-boom’ des agriculteurs, il n’est plus adapté, explique François Leboutte, de l’association Terre-en-vue (qui accompagne les projets agricoles d’installation et de transmission de fermes).

La transmission à un tiers est plus compliquée. Le bail en lui-même est devenu monétisable. Des pratiques de chapeau (revente) ont cours. De plus, des terres qui ne sont pas verrouillées par un bail à ferme peuvent prendre 40% de leur valeur. Un propriétaire qui est sensible à la cause agricole mais qui veut gérer en bon père de famille la terre n’entrera pas dans ce schéma de location car il perd toute décision sur son terrain.»

Censé protéger l’agriculteur-loueur, le bail en vient à le pénaliser. Il n’y a plus un propriétaire pour mettre en location sa terre via le bail à ferme. Il cherchera plutôt une alternative. «Il existe des baux sur moins d’un an, poursuit François Leboutte, mais ce système est fragile. Je connais le cas récent d’un agriculteur qui occupe une terre depuis 20 ans et qui vient d’en perdre l’accès. De plus, l’agriculteur locataire d’un an n’aura pas de prêt pour investir sur la terre et même s’il en reçoit un, il doit investir sur un terrain dont il peut être expulsé l’année suivante!»

D’autres techniques sont utilisées pour contourner le bail à ferme. Des sociétés de gestion foncière peuvent gérer le sol pour le propriétaire et, selon le contrat, gérer la répartition de la production et les subsides de la PAC octroyés pour ces terres.

«Ces sociétés ne réclament pas l’application du bail à ferme, explique Anne-Sophie Janssens, juriste à la Fédération wallonne de l’agriculture (FWA). Leur force est de rendre libre la terre quand le propriétaire le souhaite. Mais ce n’est pas la même approche de l’agriculture. Ils ne portent pas le même amour à la terre.»

«C’est un tout autre concept que l’agriculture familiale», confirme Valérie Op de Beeck, chargée de mission à l’Union nationale des agrobiologistes belges (UNAB). «Une réforme du bail à ferme doit amener le propriétaire à plus de maîtrise pour son bien. Nous proposons des outils fiscaux qui décourageraient le passage par les sociétés foncières et inciteraient le soutien à l’agriculture familiale. On évoque également un bail alternatif à plus-value sociale et environnementale. Par ce bail, le propriétaire pourrait avoir une certaine maîtrise sur le traitement infligé à sa terre.»

Travailler la durée

Pour se faire entendre du ministre Colin qui consulte le secteur, plusieurs associations, dont l’UNAB, se sont regroupées en Plate-Forme pour le foncier agricole (PFFA). Si les discussions se poursuivent dans ce groupe, une durée de 18 ans, renouvelable deux, voire trois fois, tendant vers un bail de carrière pourrait être proposé comme alternative.

Des baux de plus court terme pourraient assurer un contrat de transition. Un genre de phase test tant pour l’agriculteur-loueur que pour le propriétaire.

La FWA identifie également la durée du bail comme un des éléments clés d’un toilettage nécessaire de la loi. «Aujourd’hui, seul le bail de carrière est le seul qui se termine de plein droit, constate Anne-Sophie Janssens. Mais on veut rester dans la logique du bail. Cette loi n’est pas mauvaise mais sa jurisprudence a parfois été excessive.»

Ce concert harmonieux de voix concordantes est prolongé par les Propriétaires ruraux de la Wallonie. «Quel est le problème du jeune agriculteur?, explique leur président Jean-Pierre Delwart. C’est de pouvoir exploiter la terre un temps suffisant pour amortir ses investissements. Dans le cadre d’une durée déterminée, celle-ci même longue peut le sécuriser. Il paiera plus cher mais s’il fait une bonne analyse de ses investissements, l’impact du prix de la terre ne sera pas très important. Même les agriculteurs établis ne sont pas favorables à ces baux à ferme! Ils ne mettent pas leurs terres à disposition pour de jeunes agriculteurs car ils savent que la conséquence serait l’hyperprotection pour le preneur.»

Si tout le monde semble d’accord pour remettre en question la durée du bail, le prix de location devra également être remis sur la table des négociations. «La Commission de fermage fixe ses coefficients pour les trois années à venir, poursuit Jean-Pierre Delwart. Comme dans toutes les discussions, il y a des compromis à faire et une partie peut bloquer. Cette année, il a fallu le courage du président des Commissions pour trancher, sans quoi nous y serions encore. Ce principe de compromis à la belge me semble avoir vécu. À la place, un système d’indexation des revenus de la terre en lien avec le prix des denrées; à voir la pondération de chacun, cela me paraît bien.»

Même son de cloche côté FWA: «On explore un système à la française avec des indices objectifs comme le prix des récoltes pour objectiver les coefficients.» «Mais je n’ai pas dit qu’on partirait des coefficients existants, complète le président des Propriétaires ruraux. Un retard a été pris.»

Les discussions sur la réforme du bail à ferme sont lancées. Elles ne sont pas terminées…

Aller plus loin

Découvrez notre dossier : Qui osera être agriculteur demain ?

Olivier Bailly

Pssstt, visiteur, visiteuse du site d'Alter Échos !

Nous sommes heureux que vous soyez si nombreux à nous suivre sur le web. Nous avons fait le choix de mettre en accès gratuit une grande partie de nos contenus, notamment ceux en lien avec le Covid-19, pour le partage, pour l'intérêt qu'ils représentent pour la collectivité, et pour répondre à notre mission d'éducation permanente. Mais produire une information critique de qualité a un coût. Soutenez-nous ! Abonnez-vous ! Et parlez-en autour de vous.
Profitez de notre offre découverte 19€ pour 3 mois (accès web aux contenus/archives en ligne + édition papier)