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Economie

Guillaume Duval : « Marre de cette Europe là ? Moi aussi… »

Marre de cette Europe-là ? D’accord. Dans son nouveau livre, Guillaume Duval, rédacteur en chef du mensuel « Alternatives économiques », explique comment nous pouvons réussir à la changer.

16-01-2015
© Hermance Triay

Chômage de masse, stagnation des revenus, remise en cause des acquis sociaux… À gauche comme aux extrêmes, les arguments ne manquent pas pour se détourner de l’Union européenne et de l’euro. Pourquoi l’Europe a-t-elle suscité la méfiance des peuples ? À qui profite l’Union ? Économiste atypique, Guillaume Duval a travaillé de nombreuses années dans l’industrie, avant de devenir rédacteur en chef du mensuel « Alternatives économiques ». Après avoir récemment déconstruit avec acuité le modèle allemand, il apporte sa contribution à ce débat décisif dans un livre court, mais utile.

Pourquoi en avez-vous « marre de cette Europe-là ? »

Qu’on ne s’y méprenne pas : je suis pro-européen. Mais la stratégie classique qui consiste à repeindre en rose la situation et un certain nombre de réalisations n’est pas efficace. Les gens ont une perception globalement négative de l’Europe et de son fonctionnement. Je pense qu’ils ont raison sur le fond. Cela fait très longtemps que ça marche mal, parce que si ses objectifs sont d’abord politiques, l’Europe a été construite comme un marché et non une fédération. Après la Seconde guerre mondiale, l’idée était de faire des affaires ensemble plutôt que des transferts de souveraineté trop compliqués à mettre en œuvre. Avec le pari qu’à force de faire des affaires ensemble, la politique commune viendrait naturellement. Seulement, ce système favorise la concurrence de tous contre tous. Et pousse au dumping salarial et fiscal permanent. Pour renforcer leur compétitivité au sein d’une monnaie unique, les pays de l’Union cherchent sans cesse à diminuer les coûts. Ils réduisent leurs impôts et les revenus. Résultat : le pouvoir d’achat stagne, et les États s’appauvrissent. Cela s’est surtout aggravé après la création du marché unique, dans lequel on échange plus seulement des marchandises, mais qui a permis de libéralisé les flux financiers, sans faire davantage d’harmonisation sociale ni fiscale.

Faut-il pour autant sortir de l’euro ?

C’est un mauvais scénario. Le remède serait pire que le mal. Réprouvée par une grande partie des pays de l’Union, cette sortie se ferait dans le conflit et le désordre. Elle n’a de sens que si la monnaie nationale est fortement dévaluée : le pouvoir d’achat en serait amputé d’autant, et le coût de la dette croîtrait brutalement. En fait, contrairement à ce qu’on en dit parfois, c’est l’euro qui a fait sortir l’Europe de la logique libérale qui la définissait depuis le départ… L’introduction de l’euro est une rupture majeure par rapport à cette logique de marché. C’est un vrai transfert de souveraineté et une manière concrète de faire de la politique ensemble. D’ailleurs, la réunification allemande s’est faite à ce prix. Malheureusement, le prix politique a été très fort aussi… On l’a vu avec la crise de la zone euro, notamment à travers ce que l’on appelle le « no bail out ». Cette clause qui interdit d’aider un pays en difficulté, a failli entraîner la zone euro dans l’abîme en 2008. Ce qui ne fait qu’aggraver le sentiment anti-européen.

« C’est l’euro qui a fait sortir l’Europe de la logique libérale. »

Aujourd’hui se pose la question d’une sortie éventuelle de la Grèce… La zone euro a-t-elle les reins assez solides pour se priver d’un État membre ?

Le cas de la Grèce est emblématique : ce pays a été saigné… Le taux de chômage des jeunes atteint plus de 50 %, les retraites ont fondu, les fonctionnaires ont été licenciés en masse… Depuis la crise, les Grecs ont perdu 25 % de leur pouvoir d’achat. Et malgré cela, la dette grecque est montée de 110 % au début de la crise à 175 % aujourd’hui. C’est insupportable ! Ce poids ne laisse aucune perspective de redressement réaliste. Aujourd’hui, plusieurs crises se cumulent, dont on ne sait ce qu’il peut sortir : la Banque centrale européenne a décidé de racheter des titres de dettes – malgré l’opposition de la Bundesbank – et le parti d’extrême-gauche Syriza a de bonnes chances de gagner les élections en Grèce, ce qui peut amener à restructurer la dette du pays. Alors oui, cela risque de créer de nouvelles tensions au sein de la zone euro. Mais en même temps, ça lui rendra un grand service.

Pour sortir de la crise, il faudrait « laisser filer » la dette publique ?

Non, à « Alternatives économiques » nous pensons qu’il est très important de maîtriser l’endettement public. Il n’y a aucune raison que le remboursement des intérêts de la dette soient le premier poste des dépenses de l’État, au lieu de l’environnement, de l’éducation, voire de la Défense. C’est surtout une question sociale et politique. Ceux qui laissent filer la dette publique, sont ceux qui préfèrent emprunter de l’argent aux riches plutôt que de leur faire payer des impôts. Mais un des principaux reproches qu’on fait aux politiques actuelles, c’est qu’elles sont contre-productives. Cela fait maintenant trois ans que l’Europe s’endette plus que les États-Unis. Les États-Unis ont plus de déficit public, mais ils connaissent la croissance et pas la déflation. Ce qui se traduit par un endettement plus faible. Si on ne fait rien pour restructurer la dette de l’Espagne, de l’Italie, du Portugal et de l’Irlande, on va traîner ce fardeau pendant les vingt prochaines années.

« L’Europe sociale est un mirage. »

Avec la complexité de ses institutions et des Traités « négociés en douce », l’Europe semble échapper au citoyen. Malgré tout, vous restez optimiste sur son avenir…

Certes, il reste beaucoup d’efforts à réaliser en termes de transparence. Mais de nombreux processus de décision européens sont plus transparents que dans certains États membres. Mais je suis optimiste parce qu’on sous-estime les forces potentiellement disponibles, et aussi ce qui a déjà été amélioré… Beaucoup des défauts de la zone euro ont été réglés pendant la crise en transformant son architecture. Notamment en créant un dispositif pour aider les pays en crise, qui n’existait pas jusque-là. Ensuite, cela peut paraître paradoxal, mais la situation est très favorable pour régler la question du dumping fiscal. On a déjà beaucoup progressé en faisant sauter le secret bancaire suisse et en prenant des mesures sur la fiscalité de l’épargne. Mais le fait que Jean-Claude Juncker soit aujourd’hui président de la Commission est plutôt un atout pour régler la question de la fiscalité des entreprises : voilà un homme qui a été Premier ministre d’un paradis fiscal. Les voleurs font les bons gendarmes ! Il connaît bien les ficelles du métier et se sentira probablement obligé d’en faire plus. Mais je pense surtout que l’Europe pourrait devenir environnementale… Les citoyens européens sont mûrs pour prendre des initiatives ambitieuses sur la transition énergétique et la conversion écologique de nos économies. L’Europe a besoin d’un « New Green Deal ». Ça pourrait devenir le cœur d’un projet de relance de l’intégration européenne, et doter l’Union d’un budget d’action commune. C’est une condition sine qua non pour le redressement économique à court terme. Même plus importante que « l’Europe sociale », qui est pour l’essentiel un mirage. Non, la seule réforme utile et réaliste, c’est la mise en place d’une politique économique et industrielle commune, qui harmonise les budgets, dégage des ressources nouvelles et relance, de manière coordonnée, les investissements de l’Union. Car la vraie faiblesse de l’Europe, c’est d’être la zone la plus anciennement industrialisée au monde. Nous avons épuisé nos matières premières et les énergies non-renouvelables. Ce qui nous rend trop dépendants. Or, plutôt que de déployer des panneaux photovoltaïques en Allemagne et en Autriche, il faudrait le faire dans les pays du Sud. L’enjeu, aujourd’hui, c’est d’instaurer un « Parlement de la zone euro », seul capable de fournir une base démocratique à l’action commune.

Propos recueillis par Rafal Naczyk

 

« Marre de cette Europe là ? Moi aussi… », de Guillaume Duval, éd. textuel, 110 pages, 15 euros

Rafal Naczyk

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