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Exclus du chômage et des radars sociaux

Que sont devenus les chômeurs exclus des allocations d’insertion? Pourquoi n’ont-ils pas frappé à la porte des CPAS pour être aidés? Tant à Bruxelles qu’en Wallonie, ce sont plusieurs milliers de personnes qui ont disparu des radars sociaux. Pour tenter d’expliquer ce chiffre noir, les CPAS ne peuvent qu’émettre des hypothèses, pas rassurantes.

04-06-2015 Alter Échos n° 403
© Lucie Castel

Que sont devenus les chômeurs exclus des allocations d’insertion? Pourquoi n’ont-ils pas frappé à la porte des CPAS pour être aidés? Tant à Bruxelles qu’en Wallonie, ce sont plusieurs milliers de personnes qui ont disparu des radars sociaux. Pour tenter d’expliquer ce chiffre noir, les CPAS ne peuvent qu’émettre des hypothèses, pas rassurantes.

Le ministre de l’Intégration sociale Willy Borsus (MR) s’en était réjoui: l’afflux massif des chômeurs vers les CPAS n’a pas eu lieu. Les CPAS pour autant ne sont pas rassurés. L’Onem avait annoncé près de 17.000 exclusions du chômage dès ce 1er janvier dont 13.500 en Wallonie et 3.300 à Bruxelles mais, au bout de quatre mois, les CPAS ne les voient pas venir.

En Wallonie, en janvier et en février, 5.903 personnes ont demandé un revenu d’intégration (RIS) et parmi elles 4.598 l’ont reçu. Ce n’est pourtant pas le taux (non négligeable) de refus qui interpelle mais bien le nombre très faible de dossiers traités. Si on se réfère aux chiffres de l’Onem de janvier, 27% des chômeurs exclus des allocations d’insertion se sont adressés aux CPAS. Vu sous un autre angle, cela fait 73% de chômeurs qui se sont retrouvés sans revenu et n’ont fait aucune démarche pour obtenir une aide des pouvoirs publics. À Bruxelles, les chiffres sont les mêmes. On attendait 3.300 transferts vers les CPAS à partir du 1er janvier. Au bout d’un trimestre, 977 dossiers liés à la fin de droit aux allocations d’insertion sont parvenus aux CPAS, soit 27%.

Les chiffres bruxellois sont plus précis que ceux des CPAS wallons. Pour mesurer les conséquences des décisions prises par le gouvernement Michel sur les CPAS bruxellois, le président de la Région Rudi Vervoort et le ministre de l’Emploi Didier Gosuin ont demandé à la section CPAS de l’Union des villes et des communes de faire un «monitoring», histoire de pouvoir «présenter la facture» au gouvernement fédéral. On sait donc que les nouveaux allocataires CPAS sont à 43% des chefs de ménage, 49% des isolés et 11% seulement des cohabitants.

Sur la base des chiffres de l’Onem, les CPAS s’attendaient à accueillir trois fois plus de cohabitants. Ce nombre très faible les étonne. Cela s’explique sans doute par le fait que les chômeurs concernés ont anticipé un refus d’aide de la part du CPAS, refus inévitable si leur conjoint travaille ou dispose de revenus «suffisants». Mais une aide sociale de la part du CPAS restait possible et elle avait été anticipée par les centres. La réalité financière qui se cache derrière des fins de droit ne peut en effet pas être minimisée. Elle peut aller jusqu’à 45% de perte de revenus pour un ménage.

 

«L’accompagnement par le service régional de l’emploi n’a pas permis de mettre ces 3.300 personnes à l’emploi. C’est aux CPAS qu’on demande à présent d’essayer.» Michel Colson, président de la section CPAS de l’Association des villes et communes de la Région de Bruxelles-capitale.

 

Autres chiffres parfois étonnants: les femmes sont surreprésentées, plus particulièrement celles qui ont plus de 35 ans. Les jeunes sont largement sous-représentés par rapport au «public» des CPAS bruxellois. Parmi les exclus des allocations d’insertion, il n’y a en effet que 3,6% de femmes et 5,9% d’hommes de moins de 25 ans alors que dans les CPAS, les jeunes représentent 29,5% des usagers. Enfin, les CPAS constatent que 88,5% des 3.300 exclus sont aptes à travailler. «L’accompagnement par le service régional de l’emploi n’a pas permis de mettre ces 3.300 personnes à l’emploi. C’est aux CPAS qu’on demande à présent d’essayer», constate Michel Colson, président de la section CPAS de l’Association des villes et communes. La remarque est pertinente. Le transfert de la sécurité sociale vers l’aide sociale ne se calcule pas seulement en termes de remboursement des RIS mais d’accompagnement pour la mise à l’emploi. Les CPAS ne disposent pas des moyens d’Actiris ou du Forem pour mener des politiques d’insertion socioprofessionnelle.

Hors des écrans associatifs aussi

Reste maintenant à connaître le profil des «disparus». «Nous ne savons pas pourquoi 73% des personnes sanctionnées pour fin de droit aux allocations d’insertion n’ont pas franchi la porte des CPAS alors qu’elles se sont appauvries», reconnaît Jean Spinette, président de la Conférence des présidents et secrétaires des CPAS de la Région bruxelloise. La directrice de la Fédération des CPAS de Wallonie Malvina Govaert ne peut aussi qu’émettre des hypothèses. La plus évidente est d’imaginer que les chômeurs touchés n’ont pas tous compris ce qui s’est passé. L’Onem n’a envoyé aucune lettre pour annoncer sa décision aux allocataires. «Peut-être ces personnes reportent-elles leur décision de s’adresser aux CPAS, avance Malvina Govaert. La honte de s’adresser au CPAS peut jouer tout comme une forme de déni: on n’arrive pas à croire que l’on va se retrouver sans rien.» Dominique Decoux, présidente du CPAS de Schaerbeek, évoque aussi le poids de cette honte: «Les gens ont l’impression de descendre dans l’échelle sociale en allant vers le CPAS. Ils vivent alors des revenus qui leur restent le plus longtemps possible, font jouer la solidarité familiale.» Dominique Decoux met en garde contre un climat général de contrôle des sans-emploi qui rend les gens de plus en plus «apeurés» et méfiants à l’égard du système social.

Les exclus se seraient-ils alors tournés vers l’associatif? Les associations bruxelloises, sollicitées par les CPAS, disent ne pas avoir constaté l’arrivée d’un public qui aurait préféré faire appel à leurs services. Idem du côté syndical. Michel Colson a demandé aux organisations syndicales d’alerter leurs affiliés. «Elles m’ont dit que beaucoup de lettres envoyées aux futurs exclus n’avaient pas été retirées du bureau de poste. Il faut sans doute y voir le signe d’une grande exclusion sociale.»

Ceux qui abandonnent

La grande vague d’exclusions des allocations d’insertion en janvier sera suivie d’une autre, de moindre ampleur, en septembre. Mais les CPAS bruxellois ne veulent pas attendre l’automne pour avoir des informations sur le parcours des personnes sorties des statistiques de l’Onem. Les CPAS n’ont pas la possibilité d’obtenir ces renseignements via la Banque carrefour de la Sécurité sociale mais Actiris peut le faire et des contacts ont été pris en ce sens avec l’opérateur bruxellois. La directrice de la Fédération des CPAS de Wallonie estime, elle, urgent et nécessaire de créer un baromètre du non-recours aux droits comme cela existe en France.

Renoncer délibérément à un droit… les sociologues appellent cela de la «sherwoodisation», soit le fait de «quitter la cité et s’enfoncer dans la forêt» par volonté, dépit ou résignation. Une étude réalisée par Nicolas Bouckaert et Erick Schokkaert, publiée fin 2011 dans la Revue belge de sécurité sociale, a analysé ce phénomène de non-recours aux droits. Un phénomène social majeur, constatent les deux auteurs, et qui se vérifie dans tous les pays de l’OCDE. Ce sont des programmes d’aide sociale ciblée qui n’atteignent pas la population visée. Le taux de pauvres qui s’excluent eux-mêmes tourne autour de 40%. Avec l’Allemagne et les Pays-Bas, la Belgique fait partie des pays où le taux de non-recours est le plus élevé: entre 57 et 73% selon les scénarios mais avec une moyenne estimée de 62% de personnes qui ne s’adressent pas aux CPAS alors qu’elles ont droit à une aide financière de ceux-ci. C’est surtout vrai pour ceux qui ont droit à une intervention partielle
comme l’aide sociale. Comment expliquer ce phénomène? Il y a l’ignorance bien sûr mais plus fréquemment une balance qui est faite entre le gain potentiel et le coût que cela représente pour le demandeur. Le coût en temps consacré à s’informer avec le risque de ne pas aboutir et surtout le coût social et psychologique. Autrement dit, plutôt que d’affronter le sentiment de dégringolade sociale, d’échec personnel que représente le fait de s’adresser à un CPAS, les gens préfèrent renoncer à leurs droits.

C’est peut-être ce qui est à l’œuvre avec les sanctionnés des allocations d’insertion, et c’est une autre forme d’exclusion sociale qui se met en place.

Martine Vandemeulebroucke

Martine Vandemeulebroucke

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