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Eupen: quand un abattoir se transforme en centre culturel

Située au carrefour de trois pays, la ville d’Eupen a longtemps manqué d’un espace culturel digne de ce nom. Jusqu’au jour où un groupe d’artistes bénévoles se décident à transformer un ancien abattoir pour créer un centre culturel ouvert à tous.

Les nouveaux locataires de l’abattoir ont veillé à préserver l’identité du lieu. (c) Guido Holz

Située au carrefour de trois pays, la ville d’Eupen a longtemps manqué d’un espace culturel digne de ce nom. Jusqu’au jour où un groupe d’artistes bénévoles se décident à transformer un ancien abattoir pour créer un centre culturel ouvert à tous.

En 1990, un batteur, un trompettiste, un photographe et un architecte d’intérieur s’associent pour parer au manque d’activités culturelles alternatives à Eupen. Faute de local, ils organisent des événements dans des buvettes de sport ou dans une salle de tir. Au fur et à mesure, l’intérêt du public grandit. D’autres créatifs se sont joints au projet. En 1991, l’asbl «Chudoscnik Sunergia» est née. Mais pourquoi ce nom atypique? «Chudoscnik» signifie «artiste» en russe, et «sunergia» = «synergie».

«C’est assez ridicule, on s’en rend compte maintenant. L’asbl a été créée pendant la période de la chute du Mur, on avait l’idée de montrer une ouverture vers l’Est et on espérait avoir des influences culturelles positives. Il n’y a pas eu grand-chose malheureusement [rires]», confie Andreas Kockartz, cofondateur de l’asbl.

«Tu mets des chaises, c’est un club de jazz, on boit du vin et le lendemain tu as du metal, ça fait un pogo général, ça fonctionne aussi.» Andreas Kockartz, cofondateur de l’asbl Chudoscnik Sunergia

Même si l’association est créée, ses membres n’ont pas de lieu propre pour exprimer leur créativité. «On était sans maison. En 1990, les abattoirs ont cessé leurs activités. Nous avions toujours en tête d’utiliser ce bâtiment pour nos représentations», raconte René Janssen, directeur et l’un des initiateurs de Chudoscnik Sunergia.

L’abattoir est un complexe architectural de style industriel prussien qui s’étend sur une surface d’environ 2.000 m2. D’autres organisations avaient jeté leur dévolu sur ce bâtiment construit au début du XXe siècle situé à quelques centaines de mètres du centre d’Eupen. «Les autres disaient qu’il fallait d’abord transformer les lieux pour pouvoir l’utiliser. Les toits perçaient, il n’y avait pas de sanitaires, pas d’électricité. Nous – on a dit –, on prend le bâtiment tel qu’il est», se rappelle René.

Rénovation en deux temps

Les activités débutent en 1993. Il y en a pour tous les goûts: concert de rock, happening, littérature, spectacle de théâtre ou de danse, etc. Une première phase de travaux pour assainir les bâtiments existants a lieu entre 2007 à 2009. Ces travaux étaient alors financés par la Région wallonne et le programme européen Interreg, indique René: «Interreg, ce sont des subsides leviers: s’il y a de l’argent investi par l’extérieur, les pouvoirs publics ont plus de facilité à intervenir. Ils se disent que ça va moins leur coûter.»

Lors de la deuxième phase de travaux entre 2012 et 2015, financée par la Communauté germanophone et la Ville d’Eupen, les bâtiments ont été transformés pour devenir un réel centre culturel. En tout, 8 millions d’euros ont été investis dans les deux phases. «Ce n’est pas rien pour une ville de 20.000 habitants!», s’exclame René.

Visite guidée

Partons à la découverte de l’ancien abattoir en compagnie de nos deux guides. À l’entrée sur la gauche, on retrouve l’ancienne maison du directeur de l’abattoir. C’est là que Chudoscnik Sunergia a son siège administratif et assure la vente des tickets pendant les heures de bureau. En passant par la cour, nous entrons dans le bâtiment principal.

En se baladant à travers le dédale de salles, on se rend compte que le maître mot, c’est la multifonctionnalité: il n’y a pas de salle de concert, de théâtre, de cinéma à proprement parler. En principe, toutes les salles peuvent être utilisées pour des activités diverses. La chambre froide en est l’exemple parfait, comme le raconte Andreas: «C’est ma salle préférée. Du metal pur et dur au jazz en passant par la musique classique ou l’électro, tout marche dans cette salle. Une atmosphère se crée directement. Tu mets des chaises, c’est un club de jazz, on boit du vin et le lendemain tu as du metal, ça fait un pogo général, ça fonctionne aussi.»

«Le programme ne vient pas de la tête de trois personnes, mais de 30.» René Janssen, directeur de Chudoscnik Sunergia

Même si tout a été rénové et modernisé, l’âme de l’ancien abattoir n’a pas disparu. Des détails ici et là rappellent l’histoire des lieux. Les carrelages originaux ont par exemple été collés sur le mur du foyer. Si on lève les yeux au plafond, on remarque des rails qui servaient à acheminer les vaches. Une vieille horloge est toujours là: «Elle ne marchera plus jamais, mais nous la gardons», explique Andreas.

Une petite entreprise culturelle

Après avoir fait le tour du propriétaire, direction le bistro pour parler de l’organisation. C’est la régie communale autonome de la Ville d’Eupen qui est propriétaire du bâtiment et Chudoscnik Sunergia a un contrat de gestion avec elle. «Actuellement, on a une double casquette: fournisseur de services pour la régie et, d’autre part, on est l’asbl Chudoscnik Sunergia qui organise environ 150 manifestations par an. Pour Eupen, c’est quand même beaucoup!», se réjouit René.

À l’origine, tout le monde était bénévole. À l’heure actuelle, 20 contractuels sont employés à hauteur de 13 équivalents temps pleins. René se souvient: «On a commencé tout petit. En 1994, on a eu notre premier employé. En 2015, avec le contrat de gestion du bâtiment, on a dû engager pas mal de monde. On est devenu une petite entreprise culturelle.»

Les bénévoles continuent néanmoins à jouer un rôle prépondérant. Chudoscnik Sunergia ne s’occupe d’ailleurs pas que de la gestion de l’ancien abattoir. Une bonne centaine de bénévoles aident par exemple à organiser l’Eupen Musik Marathon, un festival gratuit dans le centre d’Eupen qui accueille entre 8.000 et 10.000 visiteurs.

Pour organiser toutes ces activités, Chudoscnik Sunergia met en place des groupes à projets dans lesquels il y a généralement au moins un employé et le reste de bénévoles. «Le programme ne vient pas de la tête de trois personnes, mais de trente. Tous les bénévoles apportent leur expérience, leur savoir-faire qu’ils ont acquis dans leur vie privée et/ou professionnelle, c’est beaucoup plus riche», déclare René.

Dépasser les frontières

Eupen se situe au carrefour de l’Euregio Meuse-Rhin: au nord, les Pays-Bas et la Flandre, à l’est l’Allemagne et au sud les Hautes Fagnes. Cette proximité géographique a une grande influence sur la programmation des activités du centre culturel. Que ce soit artistes belges ou allemands, la synergie est au cœur des activités de Chudoscnik Sunergia. «Pour un public francophone, on est intéressant, car on programme des choses qu’on ne voit pas ailleurs en Belgique, il en va de même pour un public germanophone», assure Andreas.

René estime qu’il y a encore du potentiel, notamment en Wallonie. Selon lui, une partie de la population n’est pas encore au courant de leurs activités. «Il y a beaucoup trop de frontières culturelles. On pourrait encore plus fortement jouer le rôle de liaison entre les mondes culturels.»

En savoir plus

#Medialab : Statut de l’artiste: mort programmée de la culture?, Agence Alter, 16 mars 2015.

Aubry Touriel

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