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«Égarer sa carte d’identité deux ou trois fois devient suspect»

Pour le Comité de vigilance en travail social, la lutte contre le radicalisme et le terrorisme, remise à l’honneur depuis l’attentat du «Charlie Hebdo», sera l’argument imparable pour accélérer un mouvement en cours depuis plusieurs années, celui de la récupération du travail social à des fins sécuritaires.

Pour le Comité de vigilance en travail social, la lutte contre le radicalisme et le terrorisme, remise à l’honneur depuis l’attentat du Charlie Hebdo, sera l’argument imparable pour accélérer le mouvement, en cours depuis plusieurs années, de récupération du travail social à des fins sécuritaires.

Le Comité de vigilance en travail social veille, depuis 2003, à lutter contre «l’instrumentalisation du travail social à des fins sécuritaires ou répressives». C’est son cheval de bataille. Et les travailleurs sociaux peuvent s’adresser à lui lorsqu’ils subissent des pressions en matière de secret professionnel et de déontologie. Depuis plusieurs années déjà, ce Comité s’inquiète du rapprochement entre le social et le judiciaire, deux sphères qui ne devraient, a priori, pas collaborer.

Exemple emblématique de cette tendance, la mise sur pied du rapport social électronique, qui prévoit l’échange d’informations entre les différents CPAS du pays et qui, sous couvert de simplification administrative, risquerait d’être utilisé pour renforcer le contrôle sur les bénéficiaires dans le cadre de la lutte contre la fraude sociale. «Tout le monde doit tout communiquer à tout le monde. Il y a un vrai malaise autour de la confidentialité», commente une membre du Comité, qui s’inquiète de voir les métiers du social changer de peau pour devenir du «travail social fast-food».

La lutte contre le radicalisme et le terrorisme, aujourd’hui d’actualité, va-t-elle mettre (davantage) à mal l’éthique dont se prévaut le travail social? Si depuis l’attentat du Charlie Hebdo, le Comité n’a pas encore été sollicité à ce propos, il s’attend que ces événements soient l’occasion rêvée, pour nos dirigeants, de donner un bon coup d’accélérateur à ce mouvement de «pénalisation du travail social».

«Tout le monde doit tout communiquer à tout le monde. Il y a un vrai malaise autour de la confidentialité» Le Comité de vigilance en travail social

«Se taire va à l’encontre de la loi»

En 2010 déjà, la question avait fait du bruit. C’était au moment du vote de la loi «relative aux méthodes de recueil des données par les services de renseignement et de sécurité». À cette occasion, un colloque intitulé «La Sûreté de l’État commence par une autorité locale forte» était organisé à l’intention des communes et des CPAS, se remémore une professeure de travail social, membre du comité. Avec, au menu, l’exposé suivant: «Se taire va à l’encontre de la loi.» «On nous a expliqué que cette loi obligeait les fonctionnaires à répondre aux sollicitations de l’État et qu’ils avaient la possibilité de signaler, d’initiative, les faits troublants», relate-t-elle.

Exemples de «fait troublant» suggérés à l’époque? «Quelqu’un qui a égaré sa carte d’identité deux ou trois fois devient suspect. Un individu qui tout à coup porte une barbe alors qu’il n’en avait pas auparavant devient lui aussi soupçonnable…»

La loi de 2010 reconnaît le secret professionnel des médecins, des journalistes et des avocats. On n’y parle pas des travailleurs sociaux. Si le secret professionnel de ces derniers n’est pas pour autant remis en cause, que se passe-t-il s’ils sont aussi des fonctionnaires de l’État? «À l’époque, nous avons eu écho de deux cas, où la Sûreté de l’État avait appelé des CPAS pour obtenir des renseignements», se rappelle la professeure. Dans un des deux cas, le CPAS a refusé de délivrer l’information. Dans l’autre, seules des informations contenues dans les registres de la population avaient été fournies.

Dans son point «Approche intégrale de la radicalisation», l’accord du gouvernement Michel précise aujourd’hui que «le gouvernement travaillera à une large mobilisation sociale dans la lutte contre le djihadisme violent, entre autres par un dialogue intensif avec les responsables religieux et la société civile» (p. 146). Entend-il par là associer davantage communes, CPAS, voire associations, à la détection du phénomène du radicalisme chez leurs publics et usagers? Dans le contexte actuel, le pas sera sans doute vite franchi.

«C’était déjà une tendance lourde. [Ces événements] vont accélérer les choses et leur donner une légitimité, un argument de choix, estime le Comité. Car tout le monde s’est positionné. Tout le monde est Charlie. Chacun veut cette liberté [d’expression]. Mais au nom de cela, on va en fait être beaucoup plus contraint.»

Aller plus loin

Alter Échos n°394 du 14.10.2014 : Les CPAS opposés au rapport social électronique.

Marinette Mormont

Marinette Mormont

Journaliste (social, santé, logement)

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