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Vie associative

Bon gré mal gré, l’ambulatoire bruxellois s’autoévalue

Depuis 2009, chaque service des secteurs de l’ambulatoire bruxellois est tenu de mettre en œuvre une « démarche d’évaluation qualitative ». La première salve de DEQ vient d’être menée à terme. Les associations se sont-elles appropriées cette démarche ou la traînent-elles comme un boulet ?

Depuis 2009, chaque service des secteurs de l’ambulatoire bruxellois est tenu de mettre en œuvre une « démarche d’évaluation qualitative ». La première salve de DEQ vient d’être menée à terme. Les associations se sont-elles appropriées cette démarche ou la traînent-elles comme un boulet ?

En introduisant la notion de « démarche d’évaluation qualitative » (DEQ), le décret « ambulatoire », qui articule les différents secteurs du social et de la santé ambulatoire à Bruxelles, impose aux services la mise en œuvre d’un processus d’autoévaluation interne. L’irruption de cette évaluation contrainte, qui doit être réalisée en trois ans sur un thème choisi par chaque équipe, avait à l’époque suscité remous et débats houleux. Qu’en est-il aujourd’hui ?

 Opportunité pour les uns, obligation pour les autres, les échos sont disparates. Ils fluctuent d’un secteur à l’autre, mais aussi d’un service à l’autre. Initialement, l’une des pierres d’achoppement touchait à la crainte d’un contrôle administratif, et donc de possibles sanctions, qui seraient liées aux résultats des DEQ. Le politique se voulait rassurant : il y a une obligation de moyens, mais pas de résultats. Cette crainte semble, grosso modo, s’être adoucie. Mais la proximité présumée entre le service d’inspection de la Cocof et la Cadeq, cellule d’accompagnement mise en place pour accompagner les services, continue d’inquiéter certains. « Il aurait sans doute été plus pertinent de mettre sur pied une cellule avec des sociologues indépendants et de lui donner de vrais moyens », explique Céline Nieuwenhuys, secrétaire politique de la Fédération des services sociaux (FdSS).

De manière assez unanime, le principal grief formulé touche à la charge de travail nécessaire et au manque de moyens disponibles (la Cadeq fonctionne avec un ETP pour 150 services agréés). « La plupart des services ont essayé de faire des DEQ quelque chose d’intelligent, d’utile, explique Paul Jaumaut, président de la Fédération des services de la santé mentale bruxellois. Mais le coût en termes d’heures de travail est exorbitant. Je déplore toujours le fait que les besoins ne font qu’augmenter et que la réponse du politique, c’est organiser des choses méta, qui vident les services de leurs travailleurs de terrain. » Une assertion tempérée par la secrétaire politique de la FdSS : « Notre discours, c’est que cela ne doit pas être une surcharge de travail. Cela doit plutôt être une occasion de formaliser quelque chose que l’on faisait déjà ou qu’on voulait faire. »

Les maisons médicales semblent les plus acquises au concept. Une situation qui, selon Marianne Prevost, du service promotion santé et qualité de la Fédération, s’expliquerait par plusieurs facteurs. C’est le secteur qui repose le moins sur les financements de la Cocof, les maisons médicales étant financées à 90 % par l’Inami. Les enjeux en termes d’agrément sont donc moins importants. « La vision du décret rejoint des choses que l’on fait depuis plusieurs années, ajoute-t-elle. Dès la mise en place du programme de prévention (1994) puis de promotion de la santé (1997), la question de l’évaluation s’est posée. » Formation, séminaires, « assurance qualité », la Fédération n’a eu de cesse de proposer des outils à ses membres sur ces questions. « Nous avons donc profité de ce décret pour continuer le travail que nous avions entamé », explique Marianne Prevost.

Une vision plus macro

Si les fédérations sont, elles aussi, tenues de remettre leur propre DEQ, il n’y a pas de DEQ « sectorielle ». Ce que regrettent certains. « La démarche aurait été plus intéressante si elle avait permis de dire des choses plus macro, observe Céline Nieuwenhuys. Cela aurait pu être utilisé comme une mini recherche sur nos pratiques. » Certains services ont bien décidé de travailler sur un thème commun, mais sans un travail méthodologique plus approfondi, les réalités sont difficilement comparables. Même son de cloche chez Paul Jaumaux : « Nous n’avons pas réussi à fédérer nos centres autour d’un thème. Nous avons un peu perdu cette occasion de pouvoir défendre une certaine spécificité du secteur et d’avoir un poids politique. » Même si cela concerne le niveau « supérieur », c’est-à-dire intersectoriel, c’est bien l’ambition poursuivie par la DEQ transversale (DEQ-T), réalisée par le Conseil bruxellois de coordination sociopolitique (CBCS) (voir encadré).

Un bilan quelque peu en demi-teinte. Si les syndicats ont évoqué l’idée d’un an de break afin d’évaluer le processus de la DEQ, elle n’a pas été retenue par la ministre Fremault. Ils ont par contre lancé leur propre évaluation, axée sur la participation des travailleurs à la DEQ de leur service.

Échos de services

« La DEQ, c’est une manière de mobiliser l’équipe autour d’un thème. Parce qu’entre se dire ‘il faudrait travailler ce thème’ et le faire, il y a une marge. Cela permet de booster les choses. Maintenant, il faut pouvoir maintenir l’énergie pendant trois ans et que cela ne repose pas sur une ou deux personnes. » Une infirmière en santé communautaire en maison médicale  

« Au début, les travailleurs de l’équipe avaient des réticences par rapport au côté managérial. Comment évaluer des programmes de prévention (NDLR des assuétudes) ? Il n’y a pas de résultats quantifiables. Au fil du temps, cela s’est intégré dans nos actions et la DEQ s’est raccrochée à l’un de nos axes de travail : la connaissance de nos publics et leur participation. » Julien Nève, Prospective Jeunesse

 

Quand accessibilité et pénibilité s’entremêlent

C’est à une véritable étude que s’apparente la démarche d’évaluation qualitative transversale (DEQ-T) présentée au secteur de l’ambulatoire bruxellois par le Conseil bruxellois de coordination sociopolitique (CBCS) en décembre dernier. En une centaine de pages, le CBCS examine les tensions entre accessibilité et pénibilité : rendre ses services plus accessibles génère-t-il de la pénibilité ? À l’inverse, la pénibilité du travail dans le social et la santé peut-elle engendrer une réduction de l’accessibilité ?

L’étude se penche notamment sur la surcharge de travail et le sentiment de découragement des travailleurs, liés à l’augmentation du nombre de personnes ayant recours à ces services, à la complexification des situations rencontrées, mais aussi au changement d’attitude des usagers, perçus comme plus exigeants, plus violents, plus déstructurés.

Une série de facteurs expliquent la saturation des services de l’ambulatoire à Bruxelles. Des facteurs qui interagissent les uns avec les autres. L’évolution de la population bruxelloise est le premier d’entre eux : une population en croissance, de plus en plus diverse au niveau de l’origine et de ses statuts, et de plus en plus jeune. Une population qui doit faire face à une augmentation de la pauvreté dans certains quartiers, à des difficultés croissantes d’accès à l’emploi et au logement, ainsi qu’à un délitement des solidarités de proximité. Second facteur, la complexité et l’opacité de l’offre des services, qui génère des difficultés en termes d’accès. Enfin, des tensions croissantes se manifestent dans les interactions entre intervenants médico-sociaux et usagers. En la matière, relève l’étude, il n’est pas toujours facile de faire le partage entre l’augmentation des problèmes de santé mentale (pour des raisons de fermeture des lits hospitaliers et/ou de phénomènes macrosociaux), la culture consumériste du « tout, tout de suite » et le modèle d’interaction entre intervenants et usagers qui, comme dans d’autres segments de la société, tend à s’horizontaliser.

L’étude peut être téléchargée sur le site du CBCS : http://cbcs.be/Tensions-entre-l-accessibilite-des

Marinette Mormont

Marinette Mormont

Journaliste (social, santé, logement)

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