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Regard critique · Justice sociale

Bernard De Vos : « Le dessaisissement : ce qu'on peut faire de pire avec des adolescents »

Interview de Bernard De Vos sur le dessaisissement, les Mena et l’école

19-11-2012 Alter Échos n° 349

Le Délégué général aux droits de l’enfant publie un nouveau rapport sur le dessaisissement – qui permet de faire juger un mineur par la justice pouradultes. L’occasion de revenir avec lui sur cette « situation de non-droit », tout en abordant d’autres sujets, comme l’école ou les Mena.

Alter échos : Vous avez publié, il y a moins d’un an, un rapport sur le régime des sanctions au sein de la section « dessaisis » duCentre fédéral fermé de Saint-Hubert. Pourquoi revenir sur ce thème ?
Bernard De Vos : Parce que cette mesure est emblématique de ce qu’on peut faire de pire avec des adolescents, et qu’il ne faut pas arrêter de la dénoncer. Mais c’est aussi lecontexte – avec la communautarisation de ces matières – qui nous a poussé à traiter à nouveau du dessaisissement. Tout est ouvert. Il pourrait êtredécidé par la Fédération Wallonie-Bruxelles de ne plus appliquer cette mesure.

AE : Cette fois-ci, vous donnez directement la parole aux jeunes dessaisis…
BDV : L’idée est d’humaniser cette question-là. De montrer qu’il y a des histoires derrière les concepts juridiques. Nous partons de leur vécu.

Le dessaisissement

Un juge de la jeunesse peut décider de renvoyer le dossier d’un mineur délinquant de plus de 16 ans vers la justice pour adultes. Il peut le faire en cas de fait grave ou derécidive, s’il estime que la justice pour mineur n’est plus une réponse adéquate. Ce mineur est censé être détenu à la section« dessaisis » du Centre fédéral fermé de Saint-Hubert. Il arrive souvent que des jeunes « dessaisis » soient majeurs au moment dujugement pour des faits commis alors qu’ils étaient mineurs. Ils seront incarcérés dans des prisons pour adultes.

Une situation de non-droit intolérable

AE : Quelle est la situation au quotidien pour ces jeunes détenus ?
BDV : Dans la section « dessaisis », c’est une situation de non-droit intolérable. Ils ne font pratiquement rien de la journée. En cellule 23 heures sur 24,ils dorment et regardent la télé. Leur rythme de vie est inversé. Ils veillent la nuit et récupèrent le jour. Il n’y a rien en matière de scolarité.Quand ils sortent, ils sont sans emploi, sans formation, parfois sans domicile et avec un casier judiciaire. Quand on dit ça… tout est dit. De plus, à travers lestémoignages de ces jeunes nous avons pu pointer certaines difficultés que nous connaissions mal, comme celles qu’ils rencontrent dans les modes d’exécution des peines (pour lespermissions de sortie par exemple).

AE : On voit dans le parcours de ces jeunes que beaucoup ont fait au moins un passage en IPPJ avant de se retrouver « dessaisis ». Cela pousse à s’interrogersur l’accompagnement fait en amont…
BDV : C’est clair qu’on peut avoir une réflexion sur le système global et le manque de sens des mesures imposées à ces jeunes. Il y a des insuffisances dusystème de prévention. On voit aussi que les alternatives à l’enfermement, comme les séjours de rupture humanitaire, ou la médiation, sont trop peuutilisées, comme si on ne leur faisait pas confiance. On est souvent dans des solutions lourdes qui ont montré leurs limites.

AE : Vous prônez la fin du dessaisissement ?
BDV : Oui, nous souhaitons que cette mesure n’existe plus. Mais tant qu’elle existe nous recommandons de l’aménager. Il n’y a pas de projet pédagogique cohérent, pas derèglement d’ordre intérieur, pas de commission de surveillance, un régime de sanction monstrueux, sans réel droit de recours. Ce n’est pas cohérent, et c’estcondamné par des agences internationales. Cela pourrait être changé.

AE : Comment pensez-vous qu’il soit possible d’agir face à des actes de délinquance juvénile ? Est-il utile de détenir ?
BDV : Je n’ai rien contre un coup d’arrêt, qui permet un « arrêt d’agir ». Mais celui-ci doit être court et réellement accompagné. Pour untravail cohérent, on sait qu’il faut travailler dans la famille et dans l’école. Si le jeune est enfermé, il y a une crise, quelque chose qui change dans ces deux milieux. Ilfaut exploiter cette crise en mettant des choses en place.

AE : Dans votre rapport, vous faites un parallèle entre le dessaisissement et la réforme des sanctions administratives communales (SAC) – qui pourront désormaiss’appliquer à des mineurs de 14 ans.
BDV : Avec la réforme des SAC, on dessaisit la justice pour mineurs de ses responsabilités et on les fait porter par des communes. Tous les responsables politiques disent que lajustice pour mineurs serait plus cohérente pour répondre aux infractions des jeunes. Mais par manque de temps, de moyens, pour faire tourner ce qui existe, on va renvoyer vers lescommunes, sachant qu’elles vont le faire « comme des pieds ».

Mena : briser le tabou du retour

AE : Le 20 novembre, c’est la journée internationale des droits de l’enfant. D’autres sujets vous préoccupent. La situation des mineurs étrangers nonaccompagnés vous avait particulièrement inquiété l’an passé…
BDV : La situation reste très complexe. J’ai réuni une série d’acteurs dans le cadre du Plan hiver pour tenter d’éviter la situation de l’an passé, avec desMena non-demandeurs d’asile à la rue. Il est indispensable que les acteurs de la gestion des flux migratoires et les acteurs de l’accueil des jeunes migrants se parlent. Quand il n’y a pas delien et que chacun s’envoie des procédures, alors cela génère des violences institutionnelles qui retombent sur les jeunes. A l’heure actuelle il y a des propositions, mais riende concret. Certains indicateurs de terrain laissent à penser qu’il va se passer la même chose cette année.

AE : Vous constatez aussi un manque de réflexion globale sur cette problématique, quitte à vous attaquer à certains tabous…
BDV : De manière générale, il y a un manque de réflexion sur les Mena. On sait aujourd’hui que la plupart de ces Mena non demandeurs d’asile viennent d’une lignecôtière marocaine aux alentours de Tanger. Ils viennent pour des raisons économiques et quittent une région qui va se développer ces prochaines années. Ilfaudrait envisager de renforcer les capacités locales d’encadrement de ces jeunes, par exemple dans le cadre de la coopération au développement. L’idée n’est pasd’empêcher de voyager, mais ces gamins sont malheureux quand ils sont ici. Ce n’est pas tolérable que des enfants soient séparés de leurs parents pour des raisonséconomiques. Je veux briser le tabou de la question du retour. Mais pas dans les conditions actuelles.

AE : Enfin, notons que l’école reste un de vos chevaux de bataille
.

BDV : Oui, l’école, car la situation est catastrophique. Il y a toujours ces grands écarts entre le technique et professionnel, qui reste l’apanage des classes populaires etl’enseignement général qui est réservé à la classe moyenne et supérieure. Si on y ajoute le problème de la non-gratuité, du redoublement, de lamésorientation, alors c’est le bordel intégral.

AE : Il semble qu’il y ait bien des blocages politiques sur le thème de l’école. Y a-t-il des solutions envisageables ?
BDV : Je reste persuadé qu’il y a une mesure à prendre : un tronc commun plus long. Il faut un plan pour réformer l’école. Mais cela prendra au moins dix ans.Pour cela, il faut un accord sacré de tous les partis, avec un projet cohérent. Une telle réforme est difficile. Mais qu’au moins on réfléchisse sur les lieuxd’implantation des écoles. Pour qu’elles soient de réels moteurs de changement. Qu’on pense le bâti en fonction d’un projet pédagogique. Il s’agit de réflexionsfondamentales qu’on peut avoir dès maintenant.

Image : Agence Alter/Cédric Vallet

Cédric Vallet

Cédric Vallet

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