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Migrations

Zeebrugge, l’autre Calais?

La presse étrangère est en alerte: Zeebrugge serait la nouvelle filière qui permet aux passeurs de contourner Calais pour mieux passer en Angleterre. Mais, sur place, la situation est plus que nuancée.
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Zeebrugge, monument en mémoire des morts en mer

La presse étrangère est en alerte: Zeebrugge serait la nouvelle filière qui permet aux passeurs de contourner Calais pour mieux passer en Angleterre. Mais, sur place, la situation est plus que nuancée. 

En toute discrétion, de plus en plus de passeurs organiseraient le départ de migrants depuis Zeebrugge. Loin de la cohue de Calais, ces passeurs feraient embarquer des dizaines de demandeurs d’asile. Les médias étrangers – britanniques et français essentiellement – s’en sont émus. Récemment, le très conservateur Sunday Times consacrait un reportage à cette nouvelle filière qui permettrait de contourner Calais, en prenant illégalement un bateau au départ de Zeebrugge pour l’Angleterre. «Les réseaux de trafic dirigés par des gangsters britanniques ont contourné les nouvelles mesures de sécurité qui ont coûté des millions de livres sterling aux contribuables anglais. Ils ne passent plus par Calais mais à quelques dizaines de kilomètres de là à Zeebrugge», pouvait-on lire dans le journal britannique. «Les mesures prises à Calais ont déplacé le problème vers la Belgique», précisait même Keith Vaz, un expert anglais de la question de l’immigration(1).

« Si des migrants passent par Zeebrugge, c’est un phénomène très limité. » Jelle Boone, chargé de communication à Médecins du monde

Plus près de nous, c’est le quotidien français Libération qui évoquait aussi cette situation dans une enquête sur les «tours de passe-passe» des passeurs: pour rejoindre l’Angleterre, et éviter Calais, Zeebrugge était présenté comme un port «moins contrôlé» pour ces fourgonnettes «chargées de migrants»(2).

Quinze à 20 personnes par jour

«Si des migrants passent par Zeebrugge, c’est un phénomène très limité, pour ne pas dire minoritaire, relativise Jelle Boone, chargé de communication chez Médecins du monde. C’est surtout dans les médias que l’on en parle. D’ailleurs, nous avons reçu de nombreux appels de journalistes, essentiellement anglais. Pour avoir été à Calais, je peux vous affirmer que la Belgique est loin d’être une nouvelle étape vers l’Angleterre.»

Sur place, le bourgmestre, Renaat Landuyt, s’étonne même de notre appel. «Actuellement, Zeebrugge n’est pas un passage pour les réfugiés. Il n’y a ici aucun problème.» En se promenant dans les rues de Zeebrugge, le calme règne partout. En apparence du moins. «Il y a des migrants en transit, mais la situation n’est en rien comparable avec Calais. Ici, la situation est presque invisible», nous précise Tine Wyns, porte-parole du CAW Noord-West-Vlaanderen, un centre d’action sociale. «Nous constatons une légère augmentation de migrants accueillis qui sont en transit dans la région, soit pour rejoindre l’Angleterre, soit pour aller à Calais. L’an dernier, à la même période, nous accueillions entre deux et cinq personnes par jour. Cette année, c’est entre 15 à 20 personnes chaque jour.» Toutefois, tient à préciser Tine Wyns, ces chiffres sont beaucoup plus faibles qu’en 2013 où le centre d’action sociale a reçu parfois jusqu’à 80 personnes par jour. «Ces personnes sont généralement de passage à Ostende avant de se rendre à Zeebrugge pour tenter leur chance vers l’Angleterre. Ils restent quelques jours dans notre centre, souvent pour se reposer, prendre un repas, se laver ou se soigner. Notre mission, c’est de leur offrir toute l’aide dont ils ont besoin.»

Un problème récurrent

L’arrivée massive «est une image déformée de la situation réelle des migrants qui est rendue par certains médias actuellement», dénonce Frank Demeester, procureur du Roi en Flandre occidentale. «Cependant, il faut l’admettre: la traite des êtres humains est un problème récurrent dans notre région puisqu’il est présent depuis plus de vingt ans et que nous avons quelques points chauds concernant le transit des migrants, de passage en Flandre occidentale. Mais avec la crise actuelle, cela n’a pas encore conduit à une hausse spectaculaire du phénomène.»

Quant au port de Zeebrugge, le procureur Demeester n’y va pas par quatre chemins: «depuis des années, ce port maritime a été une cible pour les passeurs. Nous avons toujours eu des sans-papiers arrivant à Zeebrugge, et cela n’a pas changé. Nous demandons à nos agents présents sur place d’être attentifs à certaines situations comme l’usage de faux documents, le contrôle des cargaisons ou des coffres des véhicules. Mais nous ne constatons aucune augmentation significative ces derniers mois.»

« (…) les réfugiés viennent de France, ils passent par nos parkings et retournent de nouveau aux ports maritimes français. Le tout en étant exploités par les passeurs pour des milliers d’euros. » Frank Demeester, procureur

Outre les ports, l’autre point «chaud»: c’est l’autoroute, et tout particulièrement l’aire de Jabbeke, sur l’E40. Un lieu souvent évoqué d’ailleurs par les médias. «Les migrants arrivent directement des camps de réfugiés français. Ils sont amenés par les passeurs qui les font monter dans des camions à l’arrêt sur cette aire de repos pour faire passer les réfugiés en Grande-Bretagne», précise Frank Demeester. Mais ces camions vont en France! «Oui, ils vont à Calais ou Coquelles, l’entrée du tunnel sous la Manche. Donc, c’est une boucle sans fin: les réfugiés viennent de France, ils passent par nos parkings, et retournent de nouveau aux ports maritimes français. Le tout en étant exploités par les passeurs pour des milliers d’euros. Entre 1.500 et 3.000 euros pour tenter de passer en Grande-Bretagne.»

À côté de Jabbeke, la région de Furnes, près de la frontière française, apparaît aussi comme un lieu privilégié pour les passeurs. «Les camions font souvent le plein avant de se rendre en France, et qui dit camion, dit aussi passeurs qui peuvent faire monter des réfugiés dans la cargaison du véhicule.»

Huit cents migrants en transit

En ce qui concerne les chiffres, le parquet préfère rester dans les grandes lignes. «En 2015, au moins 800 migrants en transit ont été dénombrés, ce qui fait que le phénomène toucherait plus la Flandre occidentale que le reste du pays», ajoute Frank Demeester.

Quant aux actions menées, on est loin de l’état d’alerte évoqué dans la presse. «Bien évidemment, nous demandons à tous nos agents de tenir particulièrement à l’œil cette situation, souligne le procureur. L’objectif est de capturer ces trafiquants qui gagnent beaucoup d’argent sur la misère des réfugiés. Pour la justice, seuls les passeurs sont considérés comme des criminels.»

 

 

Nos ports, une zone de non-droit?

Si Zeebrugge apparaît comme un lieu possible pour les migrants afin de tenter leur chance en Angleterre, le port belge est aussi un point d’arrivée pour plusieurs passagers clandestins qui tentent de débarquer dans notre pays. «Cependant, la réalité est statistiquement microscopique en comparaison avec les situations grecques ou italiennes», précise Mathieu Beys, juriste et collaborateur pour Myria, le nouveau centre fédéral Migration. «D’après ce qu’on a pu constater, la tendance du nombre de passagers clandestins enregistrés serait à la baisse.» Une des explications possibles selon Mathieu Beys, c’est que des mesures de sécurité ont été prises dans les ports d’origine. «Ce qui est important à noter, c’est que c’est un phénomène qui touche aussi des mineurs étrangers non accompagnés (Mena).» Sur cette problématique, il y a un vrai défi en ce qui concerne la protection des droits de
l’enfant, «d’autant qu’il existe une tension permanente entre la lutte contre l’immigration illégale et les droits fondamentaux des étrangers», rappelle le juriste. Tout le problème repose entre autres sur l’information de ces personnes quand il y a un refus de les voir débarqués dans nos ports, notamment en ce qui concerne le recours et l’accès à un avocat. «Juridiquement, les grands ports belges sont considérés comme une frontière extérieure de l’espace Schengen. Si les autorités se focalisent sur le strict contrôle des frontières, on peut aboutir à la mise en danger des droits fondamentaux de ces passagers clandestins. Aujourd’hui, on a hélas le sentiment que ce qui se passe dans nos ports est peu visible, avec le risque que se développent des zones de non-droit, d’où l’intérêt de mettre le projecteur sur ces lieux-là.»

 

(1) «Migrants: the Belgian Link», The Sunday Times, 16 août 2015.

(2) «Migrants: les tours de passe-passe des passeurs», Libération, 17 août 2015.

Aller plus loin

«L’afflux massif de migrants en Europe est à relativiser», rencontre avec Olivier Clochard, géographe, membre du réseau Migreurop, Manon Legrand, juin 2015.

«Ces naufrages ne sont pas une fatalité», interview de François Crépeau, par Cédric Vallet, Alter Échos n°369, novembre 2013.

«Philippe de Bruyckere : d’abord sauver des vies», par Cédric Vallet, Alter Échos, n°402, mai 2015.

Focales n°5, mai 2014: «Réinstallation des réfugiés: les premiers pas d’un programme belge».

En savoir plus

(1) «Migrants: the Belgian Link», The Sunday Times, 16 août 2015.

(2) «Migrants: les tours de passe-passe des passeurs», Libération, 17 août 2015.

Pierre Jassogne

Pierre Jassogne

Journaliste (social, justice)

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