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Regard critique · Justice sociale

Watermael-Boitsfort : la ville s’est installée au village

Watermael-Boitsfort est souvent décrite comme un village. Mais depuis 15 ans, la vie communautaire a fait place à la vie de communautés, qui ne se parlent pas forcément.

Watermael-Boitsfort est souvent décrite comme un village. Mythe ou réalité ? Depuis une quinzaine d’années, la commune a entamé sa métamorphose : la vie communautaire a fait place à la vie de communautés, qui ne se parlent pas forcément. La classe moyenne disparait au profit d’une dualisation socioéconomique grandissante des populations et des quartiers. La ville s’est installée au village.

A priori, tout le monde – ou presque – à Watermael-Boitsfort et ailleurs s’accorde à dire qu’elle est une commune calme où il fait bon vivre. Si l’on se base sur certaines données objectives, on ne peut que constater en effet en moyenne une qualité de vie des habitants largement supérieure à la moyenne bruxelloise : le taux d’activité global, le revenu imposable moyen et le pourcentage de jeunes aux études sont élevés ; le taux de chômage et le nombre de jeunes vivant dans un ménage sans revenus sont faibles.

Boitsfort-Bobo et Boitsfort-Populo

Mais tout cela, ce n’est bel et bien que le pouvoir magique de la moyenne statistique ! La réalité socioéconomique boitsfortoise s’inscrit en fait dans une très nette dualité avec, d’un côté, une population aisée – voire très aisée – et de l’autre, une population de plus en plus défavorisée. Cette dualité se marque aussi sur le plan territorial et sur celui de l’habitat avec, d’une part, les nouveaux propriétaires ou locataires des quartiers résidentiels – habituellement qualifiés de « communauté européenne » – et, d’autre part, la concentration de plus en plus forte de la population précarisée dans les cités sociales du Logis, de Floréal et de Ville et Forêt (le Dries). Ensemble, ces trois cités sociales représentent 18,1 % du bâti boitsfortois, soit le pourcentage le plus élevé en région bruxelloise.

Une enquête réalisée en 2011 par les autorités communales1 analyse les raisons de cette dualisation socioéconomique. La première est la régionalisation des politiques d’attribution des logements sociaux mise en place en 1997. Depuis lors, les locataires ayant une priorité d’accès à ces logements peuvent venir de n’importe quelle commune bruxelloise, à condition d’accumuler des « facteurs de précarité », ceux-ci étant considérés comme des critères d’attribution prioritaires. Les nouvelles dispositions favorisent non seulement les faibles revenus – en particulier les bénéficiaires d’allocations de chômage, de revenus d’intégration (CPAS) et d’allocations de handicapé –, mais aussi les familles nombreuses, les ménages monoparentaux (c’est le cas de 37,2 % des ménages avec enfants dans les cités de Watermael-Boitsfort), les personnes handicapées, les personnes ayant des problèmes psychiatriques, mais n’étant pas prises en charge par une institution, et les familles où un des membres a plus de 60 ans. De plus, les prix des logements sociaux augmentent lorsqu’un membre du ménage reçoit un revenu provenant d’un emploi.

Si l’on peut comprendre la logique de vouloir venir en aide aux plus démunis, il n’en reste pas moins qu’il est loin le temps où les cités-jardins boitsfortoises étaient destinées à une population composée essentiellement d’ouvriers et de petits fonctionnaires. Adieu la mixité sociale ! Il est loin aussi le temps où les locataires pouvaient transmettre leurs logements à leurs enfants. Adieu la mixité intergénérationnelle ! L’arrivée massive d’une population fragilisée depuis une quinzaine d’années suscite une crainte de ghettoïsation de ces quartiers et entraîne des problèmes bien réels, dont de nombreux conflits de voisinage. Adieu la mixité culturelle !

La classe moyenne : pas assez pauvre, pas assez riche !

Un autre phénomène expliquant cette dualisation entre quartiers riches et quartiers pauvres est l’arrivée importante de personnes d’origines africaine, maghrébine et subsaharienne parmi les habitants des cités. Comme ailleurs, la peur de l’étranger entraîne des réactions hostiles, xénophobes et racistes. A en croire les acteurs de terrain, elles sont et de plus en plus fréquentes.

Troisième élément d’explication : l’augmentation des prix de l’immobilier privé et l’arrivée d’une nouvelle population très aisée, souvent liée aux institutions européennes, mènent progressivement vers la disparition de la classe moyenne à Boitsfort. Entre des loyers inabordables et des critères d’attribution de logements sociaux très sélectifs, il n’y a quasiment plus de place pour cette classe moyenne. Elle se voit dès lors contrainte de déménager vers les communes avoisinantes, laissant la place à une population soit plus aisée, soit plus défavorisée. Ce phénomène participe aussi à une dualisation socioéconomique au sein de la commune et rend la peur de la ghettoïsation d’autant plus fondée.

Réinventer la sociabilité, la convivialité et la solidarité

A tout cela, s’ajoutent encore des craintes, objectives au non, liées à des facteurs présents dans les cités et aux abords de celles-ci, qui viennent renforcer le sentiment d’insécurité : les regroupements de jeunes, consommant parfois de l’alcool ou du cannabis et parfois accompagnés de chiens réputés dangereux ; des logements sociaux parfois en piteux état ; les entrées de grands immeubles ; les chemins non éclairés ; etc.

Entre le discours identitaire d’une commune calme et fleurie et celui d’une ghettoïsation progressive due à la présence des populations défavorisées des cités, c’est aussi à une dualisation et à une radicalisation des points de vue que l’on assiste. Les stéréotypes de tous bords ont la vie dure. Pourtant Boitsfort n’est pas Chicago. Mais elle n’est pas non plus Neuilly-sur-Seine ! Elle se doit juste de réinventer la sociabilité, la convivialité et la solidarité !

Radicalisation des discours

« Il y a une très chouette population, il y a une vraie qualité de la population, il y a une population qui fait que ça se passe bien et ce n’est ni la population bourgeoise d’Uccle, ni la population difficile de Schaerbeek. Ici, les gens sont « normaux », il y a une mixité, mais une mixité intéressante et c’est cet esprit-là qui passe des parents aux enfants et c’est quelque chose qui est resté jusqu’à présent. C’est l’intérêt pour l’environnement, c’est le respect des espaces verts, de la propreté… Il y a un esprit collectif… un sens du bien commun… » (Une habitante des Archiducs)

« Le manque de culture générale d’une certaine partie de population est méprisé avec violence. A Boitsfort, il faut avoir une bonne culture générale, il faut savoir un peu de tout, et il faut avoir un avis tranché, préférablement de gauche, sur tout. Selon les lieux, il faut tenir un certain type de discours et on ne peut pas raconter n’importe quoi. Il faut aller voir les films d’auteur… et on retrouve ça chez les jeunes aussi, ça passe avec beaucoup de succès des parents aux enfants. C’est comme ça qu’on reconnait ceux qui sont du lieu et ceux qui viennent d’ailleurs. Il faut avoir un abonnement au théâtre aussi, il faut aller au Centre Culturel. Voilà, il faut surtout être « culturel » à Boitsfort, et il ne faut pas être « mainstream » » (Une habitante du Coin du Balai).

1. « Watermael-Boitsfort – Diagnostic local de sécurité 2011 »

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