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Regard critique · Justice sociale

Justice

Uneus, plus que de la police ?

À Saint-Gilles, Uneus ambitionne d’améliorer la qualité de vie du quartier à travers une approche « intégrale et intégrée » mobilisant la police, la commune, la justice et les habitants. La première étape du processus fut le déploiement de policiers sur une zone sensible de la commune. Avec des résultats chiffrés impressionnants. Mais, derrière les statistiques, le reste du programme se fait attendre.

À Saint-Gilles, Uneus ambitionne d’améliorer la qualité de vie du quartier à travers une approche «intégrale et intégrée» mobilisant la police, la commune, la justice et les habitants. La première étape du processus fut le déploiement de policiers sur une zone sensible de la commune. Avec des résultats chiffrés impressionnants. Mais derrière les statistiques, le reste du programme se fait attendre.

À l’heure du bilan, la commune de Saint-Gilles affiche son plaisir : la criminalité de rue a baissé de 43,34% depuis le lancement d’Uneus (Union pour un environnement urbain sécurisé). Trois équipes de huit policiers en plus arpentent le «bas» de Saint-Gilles (entre la gare du Midi et la Barrière). Cet effectif supplémentaire a été obtenu par le détachement volontaire (avec leurs missions) de policiers et par une intervention financière annuelle de 400 000 euros de la commune. Fait notable, les communes voisines Anderlecht et Forest n’enregistrent pas d’accroissement de faits délictueux sur leur territoire. Au contraire, les chiffres sont à la baisse. Il n’y aurait donc pas de déplacement des malfrats, repoussés en dehors des frontières saint-gilloises.

«Cette présence permet de donner des suites aux dossiers, explique le commissaire Filip Bombaert, qui dirige l’équipe Uneus. Elle permet de mener une enquête de quartier à la suite d’un délit, de recontacter le plaignant, lui soumettre des photos.» «Nous sommes des relais pour la commune, poursuit l’inspecteur Stéphane Szymusik. Si des riverains nous confient des problèmes de voirie, de poubelles ou de voisinage, nous faisons remonter l’information vers la commune.» Le pouvoir local a mis sur pied une plateforme rassemblant police, commune et parquet. Elle huile les relations entre justice, pouvoirs publics et acteurs de terrain. «Nous avons un magistrat de référence au parquet, il connaît les différents dossiers et peut nous aider rapidement. De son côté, il peut nous appeler pour des devoirs complémentaires liés à une enquête.»

Avec des policiers toujours affectés au même (petit) périmètre, les contrôles d’identité ne sont plus nécessaires : voyous et flics se (re)connaissent. D’un côté, les plaques minéralogiques des voitures banalisées sont gravées dans des bancs ou sur des murs. De l’autre, si un délinquant court suite à un larcin, pas besoin de le tracer. «On le connaît. Comme avec les ‘spotters’ au football, nous avons identifié la plupart des personnes ‘à problèmes’.»

Cette proximité ne transforme pas les policiers Uneus en agents de quartier. Les horaires ne sont pas les mêmes et la tâche administrative n’est pas de leur ressort : les équipes de police Uneus se concentrent sur la criminalité de rue. «Une des premières choses à réaliser était de restaurer la confiance entre la population et la police. On a contacté les commerçants, les riverains. Cela a mis du temps mais maintenant, les habitants n’hésitent pas à nous signaler des faits.»

L’avis est plus mitigé du côté du Comité de défense de Saint-Gilles (Codes). «Il y a un réseau associatif fort sur le terrain, rappelle Raphaël Vanden Bosch, coordinateur du Codes depuis dix ans. Ce réseau essaie d’améliorer la qualité de vie des Saint-Gillois. Nous ne sommes pas en dehors des enjeux d’Uneus. Or, si nous invitons systématiquement les policiers à participer à notre assemblée générale d’habitants, des agents de liaison Uneus sont venus au début à deux-trois reprises. Depuis, nous ne les voyons plus. Le processus paraît déjà essoufflé. Les réflexes policiers de repli sur soi semblent reprendre le dessus. On déplore ce manque de contacts.»

Raphaël Vanden Bosch reconnaît à la fois des avancées d’Uneus (la fin d’une intervention shérif chaque été place de Bethléem par exemple) et la difficulté du travail («il y a des quartiers où le policier à pied s’expose à des insultes, voire à de la violence physique»), mais il ne constate pas de réduction spectaculaire des délits. «Pour notre brocante, très vaste, nous avons engagé une équipe de sécurité de dix personnes pour gérer les éventuels débordements. Je ne suis pas dans les statistiques mais les faits de drogue ou la délinquance me semblent plutôt monter en puissance. Je reste très sceptique face à l’annonce de la moitié de délits en moins.»

La méthode?

Si l’importance des résultats policiers prête à débat, ils restent malgré tout tangibles. Le reste d’Uneus l’est beaucoup moins. Pourtant, le projet se veut intégral et intégré mobilisant les acteurs sur le territoire communal pour transcender les logiques sectorielles, corporatistes ou autre. Le défi est de taille. «Par exemple, faire travailler ensemble police et services sociaux est un travail en soi!», annonce Christine Andries, responsable communal du projet Uneus.

Le plan d’action vise à une amélioration de la qualité de vie. Pour y parvenir, commune, police et acteurs judiciaires composent une plate-forme et un comité de pilotage qui développent les objectifs stratégiques et opérationnels. Par la suite, «le comité de pilotage crée des groupes de travail en fonction des objectifs qu’il arrêtera pour l’aider dans la réalisation de sa mission générale et supervise les travaux de ceux-ci».

Dans la première phase, les acteurs de terrain (riverains, commerçants, association de quartiers, mouvements culturels, sportifs, etc.) ne sont pas conviés au diagnostic, à l’évaluation et aux indicateurs de la matière qui les concerne. N’arriveront-ils pas trop tard dans le processus? «En théorie, vous ne lancez un projet qui si la méthodologie et le diagnostic sont prêts, explique Christine Andries. Pour diverses raisons, Uneus a démarré avant et nous jonglons tout le temps avec la méthode. On avait deux options : soit établir un diagnostic pointu avec les acteurs de terrain et le risque que, cinq ans plus tard, on en discute toujours, soit le faire nous-mêmes. Avec notre expérience depuis 20 ans, des constats sont validés sur le délabrement des immeubles, la mauvaise communication entre acteurs, le taux de chômage chez les jeunes, etc. J’ai les bases pour mettre les gens autour de la table et affiner le constat.»

Directement à l’essentiel donc

Problème : Uneus a été lancé depuis le 1er janvier 2013 et, en un an et demi, pas un seul groupe de travail n’a été mis sur pied. Christine Andries avance des groupes de travail «officieux» réunis autour d’enjeux très spécifiques, comme les taxis clandestins rue de Mérode. Le tout avec une vision très ponctuelle, à court terme, sans indicateurs précis, sans évaluation prévue. Ces groupes de travail ressemblent plus à… des réunions qu’à des modifications structurelles. Le plan d’action Uneus évoque pourtant une approche plus méthodique : «Le plan de travail reprend les éléments utiles (moments, capacité, moyens,…) et les indicateurs de mesure pour leur évaluation.» Christine Andries avance «200 objectifs opérationnels et autant de groupes de travail». Uneus embrasserait ainsi toutes les missions de la commune (à savoir tous les aspects de la vie sur une entité géographique limitée). Uneus, nouvelle usine à gaz? «Non! Uneus est une nouvelle philosophie de travail, explique Christine Andries. Une fois les résultats obtenus, tout le monde l’aura comprise.»

Les forces engagées pour mener à bien l’ambitieux projet? Un universitaire temps plein. Le reste de l’équipe, volontaire, ajoute Uneus à ses tâches existantes. Il reste un an et demi (sur les trois prévus) à Uneus, programme «intégral et intégré», pour éviter de se désintégrer.

 

 

Olivier Bailly

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