Alter Échosr
Regard critique · Justice sociale

Une journée avec les « invisibles » de Serbie

Sans papier d’identité = sans droit. Reportage avec Praxis qui vient en aide à ces Roms « invisibles »

29-03-2013 Alter Échos n° 357

Certains Roms sont particulièrement vulnérables. Il s’agit des « invisibles de la légalité ». Sans aucun document, ils n’ont accès à aucun droit. Leur situation devrait s’améliorer… lentement. Avec l’aide de l’association Praxis. Reportage

Filip et Djordje ne perdent jamais patience. Ils réalisent un travail de fourmi. Avec leur camionnette, ces deux juristes de l’association Praxis sillonnent Belgrade et ses petits villages roms en plus ou moins en bon état. En compagnie de Jelim, leur « contact » dans la communauté rom, ils aident les membres de cette minorité à résoudre leurs problèmes de documentation. Et ils sont légion. « Pendant la guerre, beaucoup de Roms se sont déplacés. Beaucoup n’ont plus aucune trace de leur identité », raconte Djordje. A tel point qu’on estime à plusieurs milliers le nombre de ces « invisibles » de la légalité qui existent sans véritablement exister. Beaucoup sont originaires du Kosovo. D’autres sont Serbes, de Belgrade ou d’ailleurs. Une population que le Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR) considère comme « particulièrement vulnérable ».

A chaque domicile, un problème. Non loin de l’aéroport, dans une maison en dur de la « nouvelle Belgrade », au toit percé de multiples trous, Nouria exhibe sa carte d’identité périmée. Elle aimerait renouveler ce document, mais c’est impossible sans certificat de nationalité, évaporé dans les décombres de son village d’origine, au Kosovo. « Il y a une preuve de nationalité, donc le cas n’est pas trop compliqué. Il n’empêche, obtenir un certificat de nationalité peut prendre des mois », explique Djordje. A quelques encablures de la demeure de Nouria, une famille tente de subsister dans une maison à l’abandon dont la construction n’a jamais été terminée. Un jeune enfant joue devant un monticule de bouteilles en plastique d’où provient une fumée toxique. « Ici, la résidence n’a jamais été enregistrée, donc il n’y a pas de canalisation, pas de tout-à-l’égout, pas d’électricité », explique Filip. L’équipe de Praxis collecte les données, tente de comprendre les méandres administratifs dans lesquels ces familles s’égarent. Puis ils les reçoivent dans leurs locaux du centre de Belgrade et entament avec eux des procédures.

« S’attaquer au cœur du problème »

Du HCR aux ONG locales, en passant par la Commission européenne, on l’affirme, « il faut s’attaquer au cœur du problème ». C’est-à-dire à l’extrême pauvreté dans laquelle vivent les Roms.

L’Union européenne via son programme pour l’élargissement a, depuis 2007, dépensé 50 millions d’euros pour des programmes touchant les Roms en Serbie. Goran Basic, le médiateur de la République serbe constate que « l’argent investi ces dix dernières années n’a pas atteint directement les Roms ».

En conséquence, il est temps d’agir. Selon Goran Basic : « La Serbie a adopté plusieurs lois pour un meilleur accès à l’éducation et au logement. Contre les discriminations. Mais les lois ne sont pas appliquées. Les gouvernements locaux n’ont pas toujours envie d’appliquer ces lois. Et il y a un manque d’argent. » Du coup, il faudrait des investissements ciblés, nous dit le médiateur : « Les mesures prises ces derniers mois (de contrôles à la sortie du territoire) auront pour effet d’augmenter les difficultés dans la région. Ce qu’il faut, ce sont des investissements de l’Union européenne avec des objectifs bien spécifiques et en assurant un contrôle de l’allocation de ces fonds. »

« Plusieurs milliers de personnes jamais enregistrées »

Depuis peu, les choses ont bougé pour les personnes sans documentation. Le gouvernement a affiché sa volonté d’en finir avec ce problème « d’ici 2015 ». Si la plupart des observateurs soulignent le caractère irréaliste de l’objectif, ils ne nient pas qu’il existe une « volonté politique de résoudre ce problème ».

Un enjeu majeur que nous explique Ivanka Kostic, directrice de l’association : « Pour avoir accès aux droits de base – santé, accès au marché de l’emploi, éducation, logement –, vous avez besoin d’une carte d’identité. Pour obtenir cette carte d’identité, il vous faut produire trois documents : un certificat de naissance, un certificat de nationalité et l’enregistrement de votre résidence principale. Plusieurs milliers de personnes n’ont jamais été enregistrées. D’autres n’ont pas de preuve de citoyenneté. Quant à la résidence principale, les campements informels n’étaient pas reconnus comme une résidence. » Un problème incrusté dans la société serbe. Outre les milliers de personnes déplacées pendant la guerre dont les documents ont été détruits, il y a aussi de très nombreux Roms de Serbie qui ne sont pas enregistrés. Pour une simple raison : « Sans carte d’identité, on ne peut pas enregistrer ses enfants. Donc le problème se répète et se reproduit. »

Les choses changent peu à peu. Une personne qui vit dans l’un des nombreux bidonvilles de Belgrade peut désormais s’enregistrer au service social le plus proche. Quant aux personnes qui ne possèdent aucun document, ils peuvent espérer s’en procurer grâce à l’adoption d’une nouvelle loi que nous explique Goran Basic, le médiateur de la République serbe : « N’importe quelle personne qui vient avec deux témoins devant une cour peut enregistrer son lieu et sa date de naissance, lui donnant accès à un certificat de naissance. » L’objectif est donc clair : l’enregistrement universel. Mais cela prendra du temps. Car en voulant faire sortir de l’ombre ces « invisibles » on risque de révéler l’ampleur du phénomène. « Il est vrai que nous produisons de plus en plus de personnes invisibles », admet Ivanka Kostic.

Asile : démêler le vrai du faux (réfugié)

Les autorités serbes, belges et européennes les appellent souvent les « faux demandeurs d’asile ». Pour d’autres, il serait temps de nuancer le propos. C’est ce qu’affirme Mélita Sunjic, du HCR : « La plupart de ces demandeurs d’asile roms ne sont pas des réfugiés au sens de la Convention de Genève. Mais certains d’entre eux obtiennent l’asile. Rappelons qu’il s’agit de la minorité la plus discriminée en Europe. Simplement fermer les portes et fermer les yeux n’est pas bon. »

En Belgique, en 2012, ils ont été 5,4 % de demandeurs d’asile serbes à être reconnus comme réfugiés. « Un taux qui n’est pas négligeable pour un pays considéré comme « sûr » par la Belgique », affirme Ruben Wissing, du Comité belge d’aide aux réfugiés (CBAR) (pour rappel la Serbie est considérée par la Belgique, depuis juin 2012, comme un pays d’origine sûr. La procédure d’asile est donc plus rapide et donne moins de droits aux demandeurs).

En Serbie, les Roms subissent des discriminations à tous les niveaux. Mais ça ne suffit pas pour être reconnu réfugié. Pour Geertrui Daem, elle aussi du CBAR, « les instances d’asile peuvent par exemple admettre qu’il existe des attaques subies par les Roms, mais affirment qu’il existe une protection des autorités. Dans les faits il n’y a pas toujours de protection de la police. Il peut même y avoir du racisme de la police. » Dans une décision du 12 septembre 2011, c’est le Conseil du contentieux des étrangers qui avertissait : « Une prudence particulière s’impose aux instances d’asile saisies d’une demande émanant de ressortissants serbes d’origine rom. »

Pour le Ciré, c’est la politique du pays d’origine sûr qui pose problème. Caroline Intrand, chargée des questions européennes, nous fait part de son mécontentement : « Avec la liste des pays sûrs, on présuppose qu’il n’y a pas de violations des droits. Il y a une erreur là-dedans, car beaucoup vivent des discriminations cumulées, dans un climat de violence anti-Roms. »

« Avec le soutien du Fonds pour le journalisme en Fédération Wallonie-Bruxelles ».

Cédric Vallet

Cédric Vallet

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