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Regard critique · Justice sociale

Une IPPJ à Bruxelles ? La concertation s’annonce animée…

La ministre de l’Aide à la jeunesse, Evelyne Huytebroeck, souhaite créer une IPPJ à Bruxelles.

La ministre de l’Aide à la jeunesse, Evelyne Huytebroeck, souhaite créer une IPPJ à Bruxelles. Pas de place supplémentaire, mais un transfert d’une partie des capacités de l’IPPJ de Fraipont vers la capitale. Après moult remous et une menace de grève, on s’oriente vers une phase d’étude et de concertation.

Le chiffre interpelle : 43 % des jeunes placés en IPPJ sont Bruxellois alors qu’aucune structure ne les accueille dans la région. D’où cette proposition de la ministre. Après avoir répondu aux inquiétudes du personnel de Fraipont, elle compte réunir autour de la table tous les acteurs sociaux pour réfléchir à la faisabilité de ce projet. « J’en ai eu l’idée il y a six mois après trois ans comme ministre de l’Aide à la jeunesse, j’ai rencontré beaucoup de gens, que ce soit des travailleurs sociaux ou des juges, et pris connaissance de certains chiffres. Nombreux sont ceux qui s’avouent étonnés qu’il n’y ait pas d’IPPJ à Bruxelles. Si on veut une véritable réinsertion de ces jeunes, il faut faire en sorte qu’ils soient le plus proche possible de leur milieu de vie. Cette réflexion nous a d’ailleurs poussés à instaurer, il y a un an et demi, les SAMIO (Sections d’Accompagnement, de Mobilisation Intensifs et d’Observation, alternative au placement en IPPJ). Un lien avec la famille, le milieu scolaire et social est primordial pendant et après l’IPPJ. Le premier objectif de notre démarche reste avant tout pédagogique, faire se déplacer juges, avocats et familles loin de chez eux n’est tout de même pas l’idéal ! Il fallait donc entamer une réflexion sur l’offre de prise en charge en IPPJ, mais avec quelques principes de base : budgétaire et de capacité. Pas de coûts supplémentaires et pas de places en plus. »

L’annonce a fortement ébranlé le personnel de Fraipont qui a vite fait part de son désaccord : « Je comprends bien sûr les inquiétudes de Fraipont, mais j’espérais qu’ils me rejoignent sur le projet pédagogique en question. Il n’y aura pas de diminution de l’emploi, mais il y aura une réorganisation et des déplacements possibles, adoptés en concertation et au cas par cas. La qualité du travail fourni n’est évidemment pas remise en cause. Il se fait que nous devons y mener des travaux de rénovation, et réfléchir à la teneur de ces travaux s’il y a une diminution de sections. Il y aura donc d’abord des travaux d’urgence et puis une concertation par rapport à une réorganisation. »

Est-il envisageable qu’à la fin des réflexions, un centre fermé ne soit pas la seule solution idéale pour Bruxelles ? « Je tiens à mener une concertation constructive et ouverte. Personne ne peut nier la spécificité bruxelloise et l’intérêt des jeunes et de leur famille à se rapprocher de la capitale. Nous arrivons à un moment nécessaire de réflexion après le constat que j’ai posé. Les possibilités sont tout à fait ouvertes, les conclusions s’établiront en fonction des discussions. J’espère terminer les concertations d’ici juillet, pour annoncer un avis en septembre. »

Lors de cette concertation, il sera discuté du choix de l’endroit. Pour le moment, aucun bâtiment précis n’a été retenu. Un choix qui ne manquera pas de faire grincer des dents dans le voisinage, ce dont on est conscient au cabinet d’Evelyne Huytebroeck, où on reconnait l’obligation de discuter avec instances communales et de quartier.

Centre fermé ou ouvert ?

Les centres fermés, le Service Droit des Jeunes n’en veut pas. Alors une IPPJ à Bruxelles… Christelle Trifaux, directrice, réagit : « Nous nous sommes toujours opposés catégoriquement à l’enfermement des jeunes qui nuit aux relations sociales plutôt que de les restaurer. Par rapport à la proposition de madame Huytebroeck, je ne sais pas s’il s’agit de places à régime éducatif fermé ou ouvert, ce qui me pose question. Le nombre de places en institution fermée a augmenté ces dix dernières années. Si la ministre désire une institution à Bruxelles, il faut revoir la prise en charge dans son ensemble et renforcer les possibilités d’accueil et d’accompagnement en amont et en aval. Ces jeunes vivent un parcours extrêmement chaotique et en manque de repères, ils peuvent ressentir un sentiment d’abandon total, notamment de la part de la société tout entière. En rentrant en IPPJ, ils ont le statut de jeune délinquant et beaucoup de difficultés à se réinsérer par la suite, tant au niveau de leur quartier que de leur école ou de leur famille. Il est important de travailler sur la question des réseaux, dans le domaine privé ou public, pour éviter que ces jeunes se retrouvent sur une voie de garage. Nous sommes disponibles pour participer à la concertation, car je vous avoue qu’ici au Service, sur Bruxelles, nous rencontrons très peu de jeunes sortis d’IPPJ. Les jeunes Bruxellois placés à Fraipont ou à Wauthier-Braine sont-ils bien informés quant à leurs droits ? Où aboutissent-ils en sortant ? Alors oui, peut-être qu’une IPPJ à Bruxelles permettra que nous leur organisions un meilleur accompagnement. Mais nous sommes opposés à l’enfermement et je reste dans l’expectative. A Bruxelles, il faut un projet pédagogique qui lui est propre. »

Les juges de la Jeunesse bruxellois en attente

Ils font partie de ceux qui dénoncent, depuis longtemps, l’absurdité de longs déplacements pour rencontrer les jeunes placés : eux, la famille, les avocats… Michèle Meganck1, juge de la jeunesse à Bruxelles, connaît bien le sujet : « J’ai été étonnée par l’annonce de ce projet d’IPPJ à Bruxelles, mais il s’agit d’un étonnement positif. Les chiffres sont là, une majorité des jeunes placés est bruxelloise. Parfois, il est bon que le jeune soit éloigné pour effectuer un travail sur lui, mais l’éloignement peut nuire à son travail de retour. La préparation post-IPPJ ne se fait pas de la même manière par une équipe connaissant le réseau local et une autre connaissant la réalité de Bruxelles. Pour un jeune Bruxellois, une réinsertion ne doit pas se préparer en province. Il est important aussi que les familles ne se sentent pas dépossédées de l’autorité qu’ils peuvent encore exercer. A distance, tout le monde se situe hors réalité. De même pour retrouver un job ou reprendre des études, il est plus facile de prendre le tram que de se taper une journée de route… J’ose imaginer que nous, juges de la Jeunesse, ferons partie de la concertation ainsi que les délégués du service de protection judiciaire puisque nous sommes ceux qui travaillons en première ligne avec ces jeunes. Le placement d’un jeune lui sera toujours désagréable, qu’il soit à Bruxelles ou à Wauthier-Braine. Mais en termes de résultat, l’éloignement pèse vraiment. Si on fait une IPPJ à Bruxelles, j’espère que les travailleurs connaîtront vraiment bien le réseau bruxellois qui est très complexe et touffu, il faut pouvoir le maîtriser pour effectuer un travail correct. On le voit d’ailleurs avec les SAMIO, la proximité joue beaucoup. L’élément négatif ? Se demander s’il existe un risque de fugue accru chez des jeunes placés près de chez eux à Bruxelles. Mais c’est juste une hypothèse. »

1. Michèle Meganck, Juge de la Jeunesse :
– adresse : Bâtiment Portalis, rue des Quatre-Bras, 2-4 à 1000 Bruxelles
– site : www.aidealajeunesse.cfwb.be

Gilda Benjamin

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