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Regard critique · Justice sociale

Economie

SMart veut passer au modèle coopératif

Créée il y a 15 ans, la SMart a longtemps été aux avant-postes pour défendre les artistes et ceux qui exercent des activités périphériques. Actuellement présent dans 10 pays, le groupe entame une nouvelle mue. Son nouveau directeur, Sandrino Graceffa, envisage de transformer la SMart en «mutuelle de travail». Une première en Europe. Interview.

© Alexis Haulot

Créée il y a 15 ans, la SMart a longtemps été aux avant-postes pour défendre les artistes et ceux qui exercent des activités périphériques. Actuellement présent dans 10 pays, le groupe entame une nouvelle mue. Son nouveau directeur, Sandrino Graceffa, envisage de transformer la SMart en «mutuelle de travail». Une première en Europe. Interview.

En avril dernier, Sandrino Graceffa a pris la tête du groupe Smart, société mutuelle pour artistes créée en Belgique. Éducateur de rue dans la banlieue de Lille, il a d’abord mis sur pied Initiatives&Cité, un cluster de 20 entreprises d’économie sociale en France, avant de lancer SMartFr, la petite sœur de SMartBe. Aujourd’hui, SMartBe aura accompagné quelque 58.000 membres en Belgique et déploie ses services dans 10 pays européens. Après plusieurs «liftings» et un peu d’ingénierie sociale, le groupe envisage de se transformer en coopérative, «en étendant les services mutualisés à d’autres professions», précise Sandrino Graceffa, qui aime beaucoup le concept de l’entreprise partagée. Il se donne un an pour réaliser ce projet. Nous l’avons rencontré.

Dans quel contexte avez-vous repris le flambeau à la SMart?

Pierre Burnotte et Julek Jurowicz ont inventé un mode de structuration qui n’existait pas. Ils permettent à des gens de se développer en toute autonomie, mais dans un système mutualiste. Après avoir passé 15 ans à la tête du groupe, ils ont décidé de ne pas se retirer, mais de faire un pas de côté. En d’autres termes, ils ont décidé de ne plus assumer eux-mêmes les fonctions de direction du groupe, parce qu’ils considèrent que les nouveaux développements de la SMart nécessitent une nouvelle énergie et une nouvelle approche. Les deux fondateurs n’ont pas été évincés. Ils sont restés administrateurs et m’aident, au quotidien, sur le développement international et la gouvernance du projet.

Depuis 2010, vous accompagnez l’essaimage de SMart en Europe, au travers de son antenne française. Quel bilan tirez-vous du déploiement du modèle «SMart» à l’étranger?

Aujourd’hui, nous sommes présents dans 10 pays européens. De par son antériorité, la Belgique, qui compte en réalité 25.000 membres effectifs, reste en avance sur les autres développements. On compte environ 430 nouveaux membres par mois. Et si l’on prend l’ensemble des contrats prestés par nos membres, cela représente 3.300 équivalents temps pleins. En France, après trois ans et demi d’existence, on compte un peu plus de 5.000 membres, avec environ 130 nouveaux membres par mois. Nous y avons 10 antennes dans les plus grandes villes. Depuis un an, nous sommes aussi présents en Espagne, à Séville et à Barcelone. Avec un succès qui dépasse celui de la Belgique et de la France. Au bout de quelques mois d’activité, le chiffre d’affaires réalisé par nos membres en Espagne dépasse le million d’euros. Cela prouve l’adhésion des Européens à notre offre. Cela dit, le démarrage a été un peu plus laborieux en Suède.

Une présence dans 10 pays, c’est assez ambitieux… Ce déploiement ne risque-t-il pas de mettre en difficulté vos acquis?

Ce n’est pas facile d’essaimer un projet aussi compliqué que SMart, sans tomber dans les travers qu’on a toujours voulu éviter, à savoir la logique de franchise. Parce qu’on s’inscrit dans une autre forme de développement économique, plus liée aux territoires et à une gouvernance partagée. Nous sommes dans une logique de grappe d’entreprises et de cluster. Au-delà d’adapter nos outils à chaque pays, il s’agit de faire adhérer un collectif de personnes à notre démarche. En fait, ce déploiement nous a permis de prendre conscience que le développement de la SMart doit se faire sur le modèle des coopératives.

Chaque pays a ses particularités, notamment en termes de protection sociale. Le «statut d’artiste» français n’est pas comparable à l’allocation de chômage pour artistes en Belgique. Dès lors, comment le modèle «SMart» peut-il s’appliquer aux réalités des autres pays?

Nous avons une philosophie de caméléon: on s’adapte à ce qui existe et on se fond dans les couleurs du paysage réglementaire d’un pays. Notre préoccupation est juste de simplifier la vie des travailleurs qui sont confrontés à une complexité administrative déjà très forte en Belgique, mais encore plus incroyable en France. Si l’on fait un peu abstraction des particularités nationales et réglementaires, on s’aperçoit que partout en Europe, les gens qui cherchent à vivre de leur savoir-faire créatif rencontrent le même type de difficultés. Ils sont générateurs d’activité économique, mais n’ont pas toujours les compétences de gestion suffisantes. Ils recherchent une autonomie, mais souffrent, pour la plupart, du caractère discontinu de leurs projets, notamment dans les arts de la scène et l’audiovisuel. Ce qui est une vraie difficulté par rapport au côté binaire du statut salarié/subordonné ou indépendant. Dans des pays comme la Belgique et la France, la culture d’emploi des travailleurs créatifs est majoritairement basée sur le salariat. Mais ça l’est beaucoup moins en Allemagne ou aux Pays-Bas, où ces travailleurs ont, par nature, plutôt recours au travail indépendant. Mais, sans aucun parti pris idéologique, nous ne croyons plus en cette dualité-là.

Pourquoi?

Parce que les artistes et les créatifs sont en fait assez précurseurs de ce que sera l’organisation du travail et de l’emploi dans le futur. Ils aiment se montrer très individualistes sur certains aspects, mais reconnaissent un besoin permanent de créer des conditions collectives d’organisation du travail. Ils travaillent aussi souvent par projet, ce qui implique, par nature, une certaine discontinuité. Et tout cela rime souvent avec précarité.

Est-ce qu’aujourd’hui les artistes sont les membres majoritaires de la SMart?

Non, mais ils ne l’ont jamais été… En fait, le «statut d’artiste» belge – dans le sens de l’allocation de chômage – n’a jamais concerné que 10% de nos membres. Il n’y aurait pas de modèle économique pour SMart si nous ne devions prendre en compte que cette catégorie de travailleurs. Par contre, il y a énormément de gens qui exercent une activité artistique, dans des tas de conditions différentes, et qui n’ont pas cherché à avoir accès à ce statut. Tout dépend donc de la définition que l’on donne à l’artiste. Si c’est quelqu’un qui vit d’un acte de création ou de la création de l’esprit, et qui retire une rémunération de la vente d’une création ou de l’interprétation d’une œuvre, alors on s’aperçoit que ces mêmes personnes vivent aussi d’autres activités. En termes de volume d’activité, nous avons une part très importante dans la musique et les arts de la scène. Mais aussi, de plus en plus, dans les métiers liés au web, au graphisme et au design. Parmi ces professionnels, beaucoup utilisent un savoir-faire artistique. On retrouve la même démarche chez ceux qui offrent des prestations de services intellectuels: les formateurs, les traducteurs, les journalistes… Nous accompagnons la création et la gestion d’activités dans le domaine créatif au sens large, incluant toutes les personnes indispensables à la filière.

Dans ce cas, qu’est-ce qui pousse aujourd’hui la SMart à se redéfinir sur la base d’une société coopérative de production?

La coopérative s’est imposée comme une évidence en termes de mode de gouvernance. Les coopératives de production trouvent leur origine dans le mouvement ouvrier. Dès le milieu du XIXe siècle, elles ont permis à des travailleurs de se regrouper pour devenir copropriétaires de leur outil de travail. Par nature, les coopératives remettent en cause les bases du contrat social: à savoir la subordination contre la protection. Elles créent une brèche en permettant à des travailleurs ou porteurs de projet d’être à la fois salariés et entrepreneurs. Faut-il chaque fois créer une entreprise quand on a un projet à développer? Je pense qu’il n’est pas utile que chacun ait sa micro-entreprise. Il est peut-être préférable d’avoir une seule et même entreprise à partager. Ce que nous essayons de mettre en place, c’est une nouvelle forme d’organisation, unique en Europe: la «mutuelle de travail». C’est comme cela que nous nous voyons.

En termes pratiques, qu’est-ce que cela va changer pour vos membres?

Ils vont pouvoir bénéficier de la même gamme de services que ceux déjà accordés. Nous mutualisons déjà la responsabilité économique et celle de l’employeur. Nous offrons d’autres services comme un fonds de garantie qui permet des avances de rémunération et couvre les risques d’impayés. Mais la plupart de nos «services mutualisés» seront accentués, notamment sur le plan assurantiel, sur le plan de l’accompagnement à la gestion de l’activité. Il y aura aussi une meilleure prise en compte de l’évolution des parcours. Nous avons eu le défaut de vouloir accompagner tout le monde de la même manière… Or, il y a une différence entre un jeune qui sort de l’école d’art et qui va vendre sa première prestation et celui qui a des projets d’envergure qui font travailler une centaine de personnes. Nous n’allons donc pas seulement nous concentrer sur ce qui relève de l’émergence et de la précarité, mais aussi sur ce qui fonctionne.

Cela fera aussi partie des critères d’adhésion à la Scop?

J’insiste: nous n’allons jamais sélectionner nos membres sur la base du succès potentiel d’un projet. Notre philosophie est basée sur le droit à l’initiative pour tous. Même une personne qui, à 75 ans, décide de développer un projet artistique, aura sa place chez SMart.

 

Rafal Naczyk

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