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Regard critique · Justice sociale

Santé

Remboursement des soins: place au citoyen?

Rembourser le traitement d’une maladie plutôt que d’une autre. Le citoyen a-t-il voix au chapitre pour répondre à cette question? Des expériences participatives menées récemment suggèrent que oui.
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Le Labocitoyen s'est inspiré de la «conférence citoyenne», une procédure délibérative se donnant pour objectif de faire participer les citoyens au débat public. © Frank Toussaint

Rembourser le traitement d’une maladie plutôt que d’une autre. Le citoyen a-t-il voix au chapitre pour répondre à cette question? Des expériences participatives menées récemment suggèrent que oui.

Le budget de la Sécurité sociale n’est pas extensible. Constamment, des choix sont réalisés pour accepter ou non le remboursement d’un médicament, d’une prestation médicale et pour fixer le taux de ces remboursements. Les discussions se déroulent au sein de l’Inami, dans toute une série de commissions. Une mécanique assez complexe qui repose sur plusieurs acteurs: les prestataires de soins (ou leurs syndicats), les mutuelles, l’Inami et le ministre. Ce dernier ayant le dernier mot: «Au bout du compte, c’est le gouvernement qui décide», précise le docteur Jacques De Tœuf, président de l’Absym. Jusqu’ici, les citoyens (patients ou non) sont représentés par les mutuelles. Pas de participation directe au programme.

«Qu’une organisation de patients ait son mot à dire sur une politique de santé, oui, commente le docteur De Tœuf. Nous avons tout intérêt à sortir de notre tour d’ivoire. Mais si c’est pour s’entendre dire ‘Il faut soigner cette personne qui a deux mois d’espérance de vie avec un traitement qui coûte très cher et, en contrepartie, devoir fermer des lits dans un hôpital pédiatrique’, il y a des limites à l’exercice. Tout le monde vient avec ses émotions, c’est délicat.»

L’exemple frôle la caricature. Mais la difficulté de l’exercice est manifeste. Un groupe de citoyens s’est pourtant prêté au jeu, dans le cadre de consultations menées à l’initiative de l’Inami, du centre fédéral d’Expertise des soins de santé (KCE) et de la Fondation Roi Baudouin (FRB). «À force de discuter entre experts, explique Christian Léonard, l’un des directeurs du KCE, on peut avoir le sentiment qu’on détient la vérité. On voulait aller au-delà, parce que le citoyen-patient a aussi une expertise. Une expertise humaine.» «L’avantage c’est que les citoyens ont une vue plus large que les experts, argumente Tinne Vandesande, de la FRB. Il y a plus de 160 commissions de remboursement à l’Inami. Les experts pensent dans le système, contrairement aux citoyens dont la réflexion part de la société.»

«Les experts pensent dans le système, contrairement aux citoyens dont la réflexion part de la société.» Tinne Vandesande, Fondation Roi Baudouin

Plusieurs dispositifs participatifs ont été mis en place afin de «déterminer les préférences des citoyens en matière de remboursement des soins». Le premier, une enquête quantitative menée par le KCE(1). Celle-ci entendait mesurer l’importance relative (ou le poids) des critères utilisés pour évaluer les demandes de remboursements de nouvelles interventions en santé. Elle constitue une étape dans la construction d’un outil d’aide à la décision qui devrait permettre à cette dernière d’être «reproductible, transparente et en phase avec les préférences de la société».

Le Labocitoyen © Frank Toussaint

Le Labocitoyen © Frank Toussaint

Seconde initiative, basée sur une méthode délibérative: le Labocitoyen, organisé en 2015 par la FRB(2). La «conférence citoyenne», expérimentée dans bon nombre de pays depuis les années 80 (le Danemark étant le pionnier en la matière), a servi de modèle à la méthode. Trente-deux citoyens, préalablement informés sur le sujet, ont eu la liberté de construire leur argumentation en se concertant entre eux et en dialoguant avec des experts, au cours de trois week-ends, afin d’établir des critères généraux de remboursement des soins. (Il ne s’agissait pas de se prononcer sur le remboursement de traitements en particulier, mais plutôt de travailler sur des «valeurs».)

Le citoyen lambda est-il capable de se prononcer sur une problématique aussi complexe pouvant comporter des aspects techniques et/ou éthiques importants? «Ce n’est pas simple, c’est vrai, explique Christian Léonard. Mais il y a quelque chose de paternaliste à penser que le citoyen n’est pas capable de comprendre ou de s’exprimer sur ce type de question. Je crois en leur capacité s’ils ont reçu la bonne information et sont questionnés de manière adéquate.»

«Il y a quelque chose de paternaliste à penser que le citoyen n’est pas capable de comprendre ou de s’exprimer sur ce type de question.» Christian Léonard, KCE

Le questionnaire du KCE a été testé et retesté. Il consistait en fait en plusieurs questionnaires comportant des scénarios différents, qui ont été recoupés via des techniques statistiques sophistiquées. Envoyé à 20.000 personnes représentatives de la société belge, le questionnaire a obtenu un taux de réponse de 21% (4.288 participants).

Il reste que l’enquête du KCE a délibérément choisi d’éviter certaines questions délicates. Celle touchant à la responsabilisation par exemple. Une personne dont on pense qu’elle est responsable de son état de santé, typiquement un fumeur ou un diabétique, doit-elle être moins remboursée qu’une autre?

Une autre enquête menée auparavant par la VUB (3) avait mis en lumière des résultats inquiétants sur le sujet: jusqu’à 35-40% des répondants se montraient favorables à la responsabilisation individuelle. «Je déplore la manière dont ils avaient posé la question. Celle-ci induisait la réponse, commente Christian Léonard. C’est quelque chose de très compliqué à expliquer de manière neutre. Plus fondamentalement, la responsabilité individuelle est liée à la notion de liberté individuelle. Or tout le monde connaît le poids du gradient socioculturel sur la santé. Comment faire la différence entre ce qui relève d’un vrai choix et ce qui relève du contexte de vie (notamment du milieu socio-économique)?» Face à la complexité de la question, le KCE l’a laissée de côté.

Le Labocitoyen © Frank Toussaint
Le Labocitoyen © Frank Toussaint

Avec sa méthode délibérative, le Labocitoyen a de son côté donné lieu à un discours très solidaire. «La méthode de la conférence citoyenne est particulièrement adaptée aux problématiques complexes pour lesquelles il n’y a pas de solution à court terme, où il y a des questions éthiques par exemple, explique Tinne Vandesande, de la FRB. Car elle permet de développer un parcours d’apprentissage, de faire un trajet pour mieux comprendre.»

Toujours est-il que nous voici confrontés à trois méthodes, pour des résultats tantôt similaires, tantôt différents. «L’enquête a sa valeur, continue Tinne Vandesande. Mais ce n’est pas suffisant. En conférence citoyenne, le citoyen peut donner un avis plus éclairé, plus équilibré.» Cette méthode permettrait d’affiner les manques, les imprécisions des enquêtes quantitatives. Il reste que, dans l’une comme dans l’autre, le risque d’instrumentalisation guette.

Qualité de vie, solidarité, prévention

Jusqu’ici, les critères utilisés par l’Inami pour décider du remboursement de soins ou de médicaments étaient centrés sur l’efficacité, l’efficience et le coût. Le Labocitoyen a montré que les citoyens accordaient davantage d’importance à la qualité de vie, beaucoup plus qu’à la prolongation de la vie. Deux autres conclusions ont émergé. La première, l’importance de la solidarité: l’âge ne peut pas être un critère d’exclusion; pas question, non plus, de parler de responsabilisation. Enfin, c’est l’exigence de davantage de prévention qui a été mise en avant. Un élément qui, s’il devait être pris en compte, exigerait un véritable changement (shift) du système de l’assurance-maladie, organisé autour du remboursement de soins et de médicaments, et non sur celui d’actes préventifs.

Les choix des citoyens vont-ils être incorporés dans les rouages de la machine décisionnelle du remboursement des soins et des médicaments? Dans le cas de l’enquête du KCE, cela semble assez clair. Les résultats de l’enquête sont une des facettes dans la construction d’un instrument d’aide à la décision. «Il y a vraiment une volonté de l’Inami de tenir compte des préférences des citoyens. Si le citoyen est plus impliqué dans les décisions, et voit que cela a des effets, il sera plus actif au niveau de la chose publique, de la chose politique», commente aussi Christian Léonard, sans doute un brin optimiste.

Quant au Labocitoyen, le directeur de l’Inami Ri De Ridder s’est montré «impressionné» par les résultats. «L’Inami n’a pas de vision claire sur les valeurs qui sous-tendent sa gestion. L’accès aux soins, la qualité des soins… sont reconnus par les experts mais ne sont pas communiqués au public, explique Tinne Vandesande. Le Labocitoyen peut alimenter ces discussions.» Doit-on en conclure un succès de la démocratie participative face à la bureaucratie des experts? L’avenir jugera. En attendant, tous consentent à la complémentarité des deux approches.

1. «Comment prendre en compte les préférences des citoyens dans la décision de rembourser un nouveau traitement», dans Reflets et Perspectives, LIII, 2014/4, Irina Cleemput et alii.

2. Zoom sur le Labocitoyen: Les orientations des citoyens pour rembourser les soins de santé, FRB, juin 2015.

3. «Vos soins de santé. Votre avis compte!», Enquête réalisée pour le compte de l’Institut national d’assurance maladie-invalidité (INAMI) à l’occasion de son cinquantième anniversaire, Mark Elchardus et Petrus Te Braak (VUB), 2014.

Marinette Mormont

Marinette Mormont

Journaliste (social, santé, logement)

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