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Santé

Réforme en santé mentale: le péril jeune

Dans la droite ligne de la réforme des soins en santé mentale, dite réforme 107, la nouvelle politique à destination spécifique des enfants et adolescents mise sur une meilleure transversalité et une harmonisation des soins. Crucial à un âge où tout se joue et où rien n’est joué.

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Dans la droite ligne de la réforme des soins en santé mentale, dite réforme 107, la nouvelle politique à destination spécifique des enfants et adolescents mise sur une meilleure transversalité et une harmonisation des soins. Crucial à un âge où tout se joue et où rien n’est joué.

Continuité des soins, décloisonnement des acteurs, priorité donnée à l’ambulatoire et au maintien dans le milieu de vie: les lignes de force de la réforme 107 des soins en santé mentale, lancée en 2010, ont fait le pari d’une désinstitutionnalisation de la psychiatrie au profit d’une prise en charge intégrée. Une réforme aux enjeux sociétaux et structurels, avec la fermeture de nombreux lits d’hospitalisation classique au profit d’alternatives telles que les équipes mobiles, qui interviennent directement au domicile de l’«usager». Fin mars 2015, la Conférence interministérielle santé publique ouvrait un nouveau chapitre en approuvant le «Guide vers une nouvelle politique de santé mentale pour enfants et adolescents». Suite logique et nouveau défi du 107. «La vision est la même: travailler non pas en silo mais en complémentarité, mettre de côté les visions institutionnelles, partir des expertises du terrain et des besoins des usagers. Avec cette différence que nous nous sommes précisément servis de l’expérience adulte pour adopter dès le début une vision très transversale des choses», commente Bernard Jacob, coordinateur du projet au niveau fédéral.

Confidentialité et liberté thérapeutique: les craintes des SSM

L’implémentation de cette nouvelle politique devrait courir jusqu’à 2020. Le temps pour chacun des 11 réseaux (correspondant aux 10 provinces ainsi qu’à la Région de Bruxelles-Capitale) d’adopter, sous la houlette d’un coordinateur, de nouvelles manières de travailler ensemble. Bien sûr, le secteur des 0-18 ans possède depuis longtemps une forte culture du travail en réseau. «Le simple fait de devoir travailler non seulement avec les enfants mais avec leurs parents incitait déjà à ce type d’approche», note Marie Lambert, responsable de projet au Crésam (Centre de référence en santé mentale). La politique actuelle entend quant à elle élargir le spectre à des acteurs très divers: milieu scolaire, ONE, PMS, Aide à la jeunesse, etc. Des collaborations renforcées censées favoriser une détection plus précoce des problèmes, mais aussi une plus grande continuité dans le parcours de vie. «Il n’est pas question de placer tout de suite les enfants dans des filières. Nous sommes face à un public en évolution, bien plus encore que chez les adultes», commente Bernard Jacob.

«La vision: travailler en complémentarité, mettre de côté les visions institutionnelles, partir des expertises du terrain et des besoins des usagers.» Bernard Jacob, coordinateur du projet au niveau fédéral

Du côté des SSM (services de santé mentale), pour qui les moins de 18 ans représentent quelque 40% des nouveaux consultants, avec une surreprésentation des 6-12 ans , la multiplication de ces passerelles intersectorielles n’est pas sans susciter certaines réticences, comme le rapporte le Crésam, qui consulte en ce moment ses services sur l’impact pressenti de cette nouvelle politique. «Les SSM sont très sensibles à la notion de confidentialité. Aujourd’hui, ils se considèrent comme un lieu à part, où l’on peut venir déposer beaucoup de choses, pour ne pas dire tout. À partir au moment où l’on décide de mettre tous les acteurs autour de la table, quelles sont les informations qu’on peut transmettre sans contrevenir au secret professionnel? D’autant que les corps de métiers inclus dans la concertation, par exemple les enseignants, ne sont pas tous tenus aux mêmes règles éthiques», explique Pascal Minotte, responsable de projet au Crésam. Mais les réticences tiennent aussi à la peur d’être pris dans une grande machine où les règles l’emporteraient sur la liberté thérapeutique. «Il y a une crainte autour de la formalisation des réseaux: les SSM travaillent déjà en réseau mais ce sont des liens informels. D’autres SSM reconnaissent que la formalisation permet un cadre à l’intérieur duquel on peut être créatif. Ce qui est certain, c’est qu’il y a là un questionnement identitaire: peut-on rester ces lieux préservés où les thérapeutes jouissent d’une grande liberté?», résume Marie Lambert. «Il y a des réticences, reconnaît Bernard Jacob. Mais aussi une envie d’évoluer, de travailler ensemble.»

Des troubles de l’attachement au TDAH

Car si la nouvelle politique suscite d’inévitables craintes, elle laisse espérer l’émergence de nouvelles solutions pour des situations depuis longtemps problématiques, par exemple l’offre de soins pour les enfants avec un double diagnostic (déficit intellectuel et problèmes de santé mentale). «L’espoir majeur, c’est de pouvoir trouver pour chaque patient les solutions les plus adaptées, explique Aurélie Doyen, coordinatrice de la réforme pour le Hainaut. Dans certaines villes, les délais pour une consultation en pédopsychiatrie vont jusqu’à quatre mois. En Hainaut, les listes d’attente pour avoir une place en résidentiel restent elles aussi excessivement longues», explique-t-elle. Si la nouvelle politique rappelle en effet que «dans la mesure du possible, il est capital que le patient soit traité dans son propre environnement», elle devrait logiquement permettre de libérer des places en institution pour les jeunes qui en ont le plus besoin. Un subtil jeu de chaises musicales où personne n’est censé être éliminé.

«Il y a une crainte autour de la formalisation des réseaux. Il y a là un questionnement identitaire: peut-on rester ces lieux préservés où les thérapeutes jouissent d’une grande liberté?» Marie Lambert, Crésam

Bien que la nouvelle politique soit basée sur un programme de consultation et d’intervention «global», certaines actions à l’intention de publics cibles spécifiques ont été définies. Parmi ces publics, on compte les adolescents judiciarisés présentant une problématique psychiatrique ou les jeunes présentant une problématique d’assuétude. De même que, à l’autre bout du spectre, les nourrissons et les tout-petits pour lesquels la collaboration avec les sages-femmes et les services de néonatalogie/pédiatrie semble essentielle. Les recherches autour des «troubles de l’attachement» démontrent en effet la nécessité d’intervenir précocement auprès des parents – et spécifiquement des mères – qui éprouvent des difficultés relationnelles avec leur nouveau-né, parfois en raison de la préexistence de problèmes psychiques. «Les troubles de l’attachement sont un point d’attention particulier au sein d’un public considéré à risque. Mais n’oublions pas que ce sont des problèmes que l’on retrouve aussi dans la population générale. Il ne faut donc pas stigmatiser les parents», précise Bernard Jacob. Exercice d’autant plus délicat que la nouvelle approche entend porter une attention accrue au «contexte socio-économique», identifié par la littérature comme un facteur influençant l’apparition et l’évolution des problèmes de santé mentale. Mentionnons encore que, sur la base d’un avis du Conseil supérieur de la santé, alerté par la consommation croissante de psychostimulants, des trajectoires devront être définies pour le diagnostic et le traitement du trouble du déficit de l’attention avec ou sans hyperactivité (TDAH). Outre la nécessité de lutter contre une surmédication due à un surdiagnostic de ce trouble, des «programmes d’entraînement aux aptitudes parentales» sont entre autres encouragés pour accompagner la prise en charge. Un cas emblématique des enjeux spécifiques de la santé mentale des 0-18 ans dans laquelle l’entourage, bien plus encore que pour les adultes, semble aussi bien du côté des causes que des solutions.

Julie Luong

Julie Luong

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