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Petite enfance / Jeunesse

Raids antidrogue à l’école: vers une clarification des rôles?

Les interventions policières à l’école préoccupent le monde associatif. Surtout lorsqu’elles s’accompagnent de chiens et de fouilles lors d’opérations antidrogue. Si ces raids semblent rares côté francophone, ils existent toujours et soulignent l’ambiguïté du rôle de la police à l’école.

Dans le réseau libre comme dans les autres, la drogue n’est pas acceptée à l’école.

Les interventions policières à l’école préoccupent le monde associatif. Surtout lorsqu’elles s’accompagnent de chiens et de fouilles lors d’opérations antidrogue. Si ces raids semblent rares côté francophone, ils existent toujours et soulignent l’ambiguïté du rôle de la police à l’école.

Vingt policiers pénètrent dans une école accompagnés de «chiens renifleurs». Ils procèdent à des fouilles. Font passer les élèves un à un et les retiennent dans leur salle de classe. L’objet de cette agitation: la recherche d’un peu de cannabis ou d’autres drogues, que pourraient posséder les élèves.

Cette scène a eu lieu en 2013 au centre scolaire du Sacré-Cœur de Linthout. Une opération «antidrogue» parmi d’autres qui suscita émotions et critiques de la part tant des parents d’élèves que du monde associatif et du délégué général aux Droits de l’enfant. Ce dernier monta au créneau, estimant que la police n’avait pas vraiment sa place dans les écoles, plus spécifiquement pour de telles opérations «stigmatisantes, humiliantes et dégradantes».

Qu’advient-il de ces fouilles «antidrogue» à l’école?

De son côté, le directeur de l’école, Christophe Raquet, assumait son geste. «La drogue n’a pas sa place à l’école, écrivait-il dans La Libre Belgique. Nous devions faire quelque chose.» Cette intervention policière n’était pas un cas isolé. Les associations citent encore les chiffres obtenus à l’époque auprès du ministre de l’Intérieur. Cent cinquante-sept opérations antidrogue avaient été comptabilisées en 2012 contre 34 en 2007.

Aujourd’hui, la Coordination des ONG pour les droits de l’enfant (CODE) remet le couvert en publiant une note sous forme de question: «Drogue à l’école: la police a-t-elle sa place en classe?»

Trois ans après les débats publics, les questions au Parlement, les tribunes dans les journaux, qu’advient-il de ces fouilles «antidrogue» à l’école? Posent-elles toujours autant problème?

La police au rôle ambigu

PLP 41. Cet acronyme explique en grande partie pourquoi le nombre d’interventions policières à l’école a augmenté à partir de 2007 (avant de diminuer à partir de 2013).

C’est à cette époque que le ministre de l’Intérieur, Patrick Dewael, adopte dans la foulée de l’assassinat de Joe Van Holsbeeck une circulaire sur les relations entre police et écoles. Un point de contact «écoles» doit être nommé dans chaque zone de police. Les liens entre ces deux institutions doivent être renforcés afin de lutter contre la délinquance juvénile.

On charge la police de missions de sensibilisation qui s’ajoutent aux missions traditionnelles de répression. «Sur le terrain, il existe une confusion des rôles et des genres, constate Mélissa Chebieb. La police est appelée pour de la prévention et procède à cette occasion à des contrôles, à la demande des directions.»

En attendant une hypothétique modification de la circulaire PLP 41, c’est du côté de l’enseignement en Fédération Wallonie-Bruxelles que les yeux des responsables associatifs se tournent. «Nous aimerions qu’une circulaire mette les points sur les i au niveau des directions d’école, leur rappelant ce qu’elles peuvent faire ou pas», nous apprend Antoine Boucher. Une concertation devrait débuter sous peu avec le cabinet de la ministre de l’Enseignement Marie-Martine Schyns.

La difficile mesure du phénomène

Les opérations antidrogue à l’école sont-elles en nette diminution? Plusieurs éléments le laissent penser.

Les services et associations qui recevaient des appels de parents d’élèves outrés par ces interventions policières n’ont plus de tels contacts aujourd’hui. C’est le cas chez Infor-drogues et au service droit des jeunes qui ne reçoivent plus d’appels à ce sujet depuis presque deux ans.

Côté écoles, le réseau de l’enseignement catholique, le Segec, affirme ne pas avoir connaissance de cas récents. Idem au Cpeons, le réseau des établissements publics communaux et provinciaux.

La police elle-même semble plutôt froide quant à ce type d’interventions. Prenons l’exemple de la zone de police d’Uccle-Watermael-Boitsfort-Auderghem. Le Comité permanent de contrôle des services de police (Comité P) constatait dans son rapport «La politique policière en matière de drogue en milieu scolaire» que cette zone faisait partie, en 2012, des six zones de police qui utilisaient le plus les chiens renifleurs de drogue à l’école.

«Il est rare qu’un directeur d’école fasse appel à la police pour un problème de toxicomanie, car cela génère de la mauvaise publicité pour son école.» Stéphanie Hugo, commissaire et porte-parole de la zone d’Uccle-Watermael-Boitsfort-Auderghem

Aujourd’hui, Stéphanie Hugo, commissaire et porte-parole de la zone, ne se souvient pas de cas récents: «Il est rare qu’un directeur d’école fasse appel à la police pour un problème de toxicomanie, car cela génère de la mauvaise publicité pour son école.» Et puis les temps ont changé. «Il y a d’autres priorités maintenant, ajoute-t-elle, d’autres sensibilités de la part des directions d’école, notamment au sujet du radicalisme.» Les contrôles liés à la possession ou au trafic de stupéfiants n’ont pas pour autant disparu dans le sud et l’est de Bruxelles. «Mais, ajoute la commissaire, ils ont lieu à la sortie des écoles où nous menons des opérations ciblées contre le trafic de stupéfiants, le racket, voire la consommation d’alcool.»

Johny Bouquet, en charge de la communication de la Commission permanente des polices locales, pense aussi que les grosses opérations antidrogue avec rétention en salle de classe, chiens et dispositif policier mastoc sont «devenues exceptionnelles». L’intervention au Sacré-Cœur de Linthout et le raffut qui l’avait suivie ont changé la donne: «Cette opération avait été un choc pour les élèves qui se sont épanchés auprès de leurs parents. Ceux-ci avaient réagi, car ils n’avaient pas été prévenus du contrôle. C’est d’ailleurs une de nos conclusions: les parents devraient être mieux informés.» Le policier voit bien que ces interventions ne suscitent pas l’enthousiasme de tous les élus: «Pour intervenir, il faut un large consensus. Et beaucoup d’autorités sont réticentes à ce type d’opérations.» D’ailleurs, Johny Bouquet estime que, «si cela se fait beaucoup moins qu’avant, c’est à cause du choc psychologique que les enfants subissent». Un choc psychologique qui, de surcroît, n’aboutit pas à grand-chose. On estime que ces interventions se soldent par des micro-«saisies» d’environ deux grammes en moyenne. «Dans les écoles, il s’agit de petites quantités saisies, confirme Johny Bouquet. Mais il ne faut pas se leurrer. Les dealers fréquentent les abords des écoles. C’est là, à la sortie, que les policiers interviennent le plus souvent.»

En 2015, 767 procès-verbaux ont été rédigés lors de ces opérations dans les écoles, dont 502 pour détention et 168 pour commerce de drogue.

Toutefois, ces constats quasi unanimes sont nuancés par les rares chiffres que la police fédérale a bien voulu communiquer. En 2015, 767 procès-verbaux ont été rédigés lors de ces opérations dans les écoles, dont 502 pour détention et 168 pour commerce de drogue. Un chiffre en baisse par rapport à 2014 – avec 919 procès-verbaux – et 2013, point culminant des constatations, avec 1.023 procès-verbaux.

L’activité policière à l’école est donc bien réelle. Si l’on en croit le rapport de 2013 du Comité P, c’est surtout en Flandre qu’ont lieu ces interventions. Mais la Fédération Wallonie-Bruxelles n’est pas exempte du phénomène. Christian de Coninck, porte-parole de la police de Bruxelles, nous explique que «dans le cadre d’actions préventives, à la demande de directions d’école, la police procède à des contrôles avec un chien. Cela a lieu environ cinq ou six fois par an». Ces contrôles sont menés avec des «chiens actifs» qui, contrairement aux chiens «passifs», ne peuvent pas renifler des personnes mais sont autorisés à flairer les locaux – donc ici, les salles de classe. «Les contrôles sont discrets, explique le commissaire. Lorsqu’un chien désigne une place, on contrôle ensuite l’élève qui s’assoit à cette place. S’il est en possession de drogue, il sera convoqué au commissariat.» Et quand on évoque un éventuel «traumatisme», la réponse se fait cinglante: «Si on est en possession de drogue dans une école, je ne pense pas qu’on soit traumatisé par un chien.»

L’école, un sanctuaire très relatif

La CODE le rappelle dans sa note sur les opérations antidrogue: l’école est un lieu privé. À ce titre, la police ne peut y pénétrer que lorsqu’elle est en possession d’un mandat ou lorsqu’elle y est invitée par le directeur de l’établissement.

Lorsque la police est appelée à l’école par un directeur, celle-ci ne peut pas tout faire. Selon les associations, les fouilles – appelées ici fouilles judiciaires – ne sont autorisées que lorsque la police «dispose d’indices sérieux avant la fouille et non venir la justifier a posteriori, comme l’écrivaient la Ligue des droits de l’homme et Infor-drogues dans leur brochure «Les fouilles antidrogue dans les écoles, il est urgent d’arrêter».

Du côté policier, on estime que le simple fait qu’un chien «renifle les élèves […] ne constitue pas une fouille […]. Une réaction positive du chien est toutefois une indication qui peut justifier une fouille judiciaire», comme on pouvait le lire dans le rapport du Comité P.

«Il y a certes des divergences d’interprétation, concède Antoine Boucher, du service Infor-drogues. Mais lorsqu’on fouille toute une classe alors que la direction est censée savoir qui trafique ou qui pose problème, cela prouve qu’on cherche à montrer les biceps et à traumatiser les élèves pour les dissuader. Ce qui est une grosse erreur en termes de prévention, car cela ne leur enlèvera pas l’envie de fumer des joints.»

«[…) Lorsqu’on fouille toute une classe alors que la direction est censée savoir qui trafique ou qui pose problème, cela prouve qu’on cherche à montrer les biceps et à traumatiser les élèves pour les dissuader.» Antoine Boucher, Infor-drogues

Pour les associations, ces raids antidrogue causent surtout un dégât collatéral, à savoir «rompre la relation de confiance entre directions, voire entre enseignants et élèves, relation pourtant primordiale lorsqu’on parle d’assuétudes», comme le pointe Fanny, de la CODE. Et puis le reniflage, la fouille, la restriction de liberté dans une salle de classe peuvent traumatiser les élèves, stigmatiser ceux qui sont contrôlés «positifs». Selon Fanny Heinrich, des interventions policières à l’école ne devraient avoir lieu que dans des «cas exceptionnels». Elle met classiquement en avant «la communication et la prévention».

Suite aux interventions policières au sein d’écoles bruxelloises et relayées par les médias, le délégué général aux Droits de l’enfant avait contacté le Centre bruxellois de promotion de la santé (CBPS) pour organiser des liens entre les acteurs associatifs concernés par ces questions et qu’ils se muent en forces de propositions.

Le premier chantier cette «concertation-réflexion école/police» s’est attelée a été de «clarifier le cadre légal complexe de ces interventions policières». La concertation a publié une brochure à destination des directeurs d’école, car ce sont eux qui ont tout en main pour trouver des réponses autres que répressives. Ces brochures ont permis de «rappeler que l’on peut prévenir en amont et mobiliser des ressources internes et externes», comme l’explique Mélissa Chebieb, du CBPS. Ces ressources allant du centre psycho-médico-social (CPMS) aux points d’appui aux écoles de l’enseignement secondaire en matière de prévention des assuétudes ou aux centres locaux de promotion de la santé en Wallonie.

 

 

Cédric Vallet

Cédric Vallet

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