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Pluie de plaintes sur Couvin

À Couvin 220 demandeurs d’asile, principalement des jeunes hommes afghans, sont hébergés dans un ancien internat pour filles. Le centre d’accueil, géré par la société Refugee Assist, a fait l’objet de nombreuses plaintes de la part de ses résidents. >Intéressé(e)s par cet article ? Découvrez nos offres d’abonnements sur https://www.alterechos.be/abonnements-alter-echos/

À Couvin, 220 demandeurs d’asile, principalement des jeunes hommes afghans, sont hébergés dans un ancien internat pour filles. Le centre d’accueil, géré par la société Refugee Assist, a fait l’objet de nombreuses plaintes de la part de ses résidents.

Bator (prénom d’emprunt), une grosse vingtaine d’années, est arrivé d’Afghanistan l’hiver dernier. Il a connu trois centres d’accueil en Belgique. «Je suis passé par deux autres centres de la Croix-Rouge, explique-t-il. J’y étais heureux, surtout dans le dernier où il y avait beaucoup d’activités, on prenait en compte nos besoins en santé et il y avait beaucoup de gentillesse. Ici, on ne nous aide pas, on ne nous respecte pas.» «The Hell Camp». C’est le nom choisi par Bator pour désigner le centre de Couvin où il réside aujourd’hui.

Des lits qui n’auraient pas été changés depuis quatre mois, des difficultés pour obtenir des tickets de déplacement, l’absence d’activités organisées pour les résidents, des chambres exiguës et un mobilier très sommaire, mais surtout une attitude «méprisante» à l’égard des demandeurs d’asile: «Quand on se plaint, se désole Bator, on nous répond: ‘Si vous n’êtes pas contents, retournez dans votre pays.»

«Certains comportements sont condamnables, inacceptables, peu humains, notamment au niveau des soins»

La liste de griefs dressée par le jeune Afghan à l’encontre de la direction du centre est longue. Des observateurs extérieurs, qui préfèrent rester anonymes, enrichissent le catalogue, y ajoutant des insuffisances dans la scolarisation des enfants, des problèmes de traduction ainsi qu’un manque de soutien psychologique. «Certains comportements sont condamnables, inacceptables, peu humains, notamment au niveau des soins», nous glisse-t-on aussi.

Christine Spaenjers, qui dirige le centre depuis le mois d’avril, reconnaît qu’il y a eu beaucoup de plaintes au début du projet. «Mais aujourd’hui, je suis vraiment contente parce qu’on a réussi, avec une équipe géniale, avec beaucoup d’énergie et de motivation, à répondre aux critères de Fedasil. Nous avons aussi une convention avec le groupe Accès (groupe de citoyens bénévoles qui s’est formé au moment de l’ouverture du centre, NDLR) qui prend en charge bénévolement des animations, des activités culturelles et sportives, des cours de français et de néerlandais… On a mis un bâtiment à la disposition de ce groupe et, dès la semaine prochaine, ils pourront utiliser un deuxième véhicule pour leurs activités.»

Des débuts chaotiques

La société Refugee Assist, qui gère le centre, a été constituée en décembre 2015 pour répondre à l’appel à projets lancé par Fedasil (l’été dernier, face à l’afflux de demandeurs d’asile sur le territoire, Fedasil a décidé d’externaliser au secteur privé la gestion de plus de 2.200 places d’accueil. Lire : «Marchandisation de l’accueil des demandeurs d’asile: stop ou encore?») et serait une émanation de la société immobilière Abssis. En 2016, Refugee Assist prend en charge l’ouverture de 335 places pour demandeurs d’asile en Wallonie (Couvin) et en Flandre. Le directeur de la SCRL, Peter De Roo, est un ancien du cabinet de Geert Bourgeois (N-VA).

À Couvin, c’est au moment de l’ouverture que la situation semble avoir été particulièrement «chaotique», avec des directions qui se sont fait «complètement dépasser». «Au début, il y avait des manquements à tous les niveaux», nous explique-t-on. Il est vrai que le centre a dû faire face à une ouverture très rapide avec l’arrivée d’environ 250 personnes en quatre jours, puis à plusieurs changements de direction en un laps de temps assez court (trois directeurs en quatre mois).

«Nous avons dû expliquer au directeur ce qu’était un assistant social.» Un travailleur social

Un travailleur social témoigne des débuts: «Très tôt il est apparu que l’équipe était insuffisante. Il y avait au début cinq éducateurs et une assistante sociale pour s’occuper de 260 réfugiés (en plus du pôle administratif, des gardiens de nuit et d’une infirmière). À titre de comparaison, le centre d’Oignies (centre géré par la Croix-Rouge, NDLR) fonctionne avec un peu plus de personnel pour environ 120 résidents. Les éducateurs et les AS devaient assumer le suivi complet des réfugiés. Il était impossible de s’occuper du travail administratif et encore moins des hors-serie individuels des résidents. Toute notre énergie et notre temps étaient réservés à nous occuper des tâches quotidiennes: la surveillance des repas, la distribution du nécessaire individuel, le règlement des problèmes pratiques, les tensions… Nous avons dû expliquer au directeur ce qu’était un assistant social. Des investissements ont aussi été réalisés pour ‘sécuriser’ le bâtiment, par exemple des chaînes aux fenêtres, alors que c’est un centre ouvert.» La situation est telle que des manifestations de résidents s’organisent. En cause notamment: des problèmes d’accès à l’eau et d’argent de poche des résidents qui aurait été «retenu comme caution».

Du côté de Fedasil, on confirme que la gestion de ce centre «est une expérience moins heureuse (que les autres), tant dans le monitorage que dans la relation». «Nous avons dû pousser pour que le cahier des charges soit exécuté», explicite Hervé Rigot, directeur régional de l’Agence fédérale, qui ajoute que, «aujourd’hui, grosso modo, cela fonctionne».

«La dernière directrice a de l’expérience dans le secteur (Christine Spaenjers a précédemment ouvert deux centres dans la province du Luxembourg, NDLR). Elle a amené de l’organisation, des descriptions de fonctions pour le personnel», concède une source extérieure. Mais le personnel demeurerait insuffisant, voire, dans certains cas, incompétent. «Il y a des personnes de bonne volonté, avec le cœur sur la main. Mais aussi d’autres beaucoup plus négligentes et inexpérimentées avec ce public. Il y a aussi une précarité d’emploi qui les fragilise. On constate clairement un effort pour limiter la masse salariale.»

Le centre de Couvin emploie aujourd’hui 21 personnes, dont trois assistants sociaux (et un quatrième poste vacant) et six éducateurs pour 220 résidents. À titre de comparaison, à Thy-le-Château (Senior Assist), 16 travailleurs sont salariés dans un centre pour 110 demandeurs d’asile.

«On sent bien qu’il y a là-derrière beaucoup d’intérêt marchand qui se manifeste, une volonté de rentabiliser un bâtiment, Bernard Theis, bénévole

«On sent bien qu’il y a là-derrière beaucoup d’intérêt marchand qui se manifeste, une volonté de rentabiliser un bâtiment, conclut Bernard Theis, bénévole dans le centre. D’ailleurs ils ne s’en cachent pas vraiment, les propriétaires du bâtiment souhaitent un retour sur investissement.»

Une allégation à laquelle la directrice du centre répond pourtant sans ambages: «On ne subit pas de pression financière. J’ai eu énormément de réunions avec la direction de Refugee Assist, ils viennent d’ailleurs de dégager un budget pour l’organisation d’activités culturelles pour nos résidents. Nous avons une convention jusqu’au 1er février 2017 et on espère toujours que l’on pourra continuer, raison pour laquelle nous essayons que le bâtiment soit tip top. La direction ne veut pas faire de bénéfices, un tel centre représente un coût important!»

En savoir plus

«Marchandisation de l’accueil des demandeurs d’asile: stop ou encore?», Alter Echos N°427, juillet 2016, Marinette Mormont

Marinette Mormont

Marinette Mormont

Journaliste (social, santé, logement)

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