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Regard critique · Justice sociale

Santé

Parcours urbains, parcours de soins

Maguelone Vignes, sociologue à l’Université Saint-Louis, étudie l’itinéraire de personnes séropositives à Bruxelles.

Maguelone Vignes, sociologue à l’Université Saint-Louis, étudie l’itinéraire de personnes séropositives à Bruxelles et à Rouen.

« Moi, c’est mon chemin, c’est le chemin de l’hôpital. » Claude, diagnostiqué depuis vingt ans, est l’un des nombreux patients rencontrés par Maguelone Vignes, sociologue à l’Université Saint-Louis, dans le cadre d’une thèse en cours sur les parcours urbains de soins de personnes séropositives. « Ce trajet vers l’hôpital était très particulier. (…) Parce que ce jour-là je me disais : ça y est, c’est le trajet régulier à faire », lui confie aussi Éric, diagnostiqué depuis deux ans.

Depuis la fin des années 90 et la mise sur le marché des antirétroviraux, le VIH/sida s’apparente de plus en plus à une maladie chronique. Être diagnostiqué séropositif aujourd’hui n’est plus synonyme d’une sentence de mort à court ou relativement moyen terme, mais plutôt de dépendance à la médecine. Si le sida provoque un vieillissement prématuré – les séropositifs développent souvent des maladies liées à l’âge en moyenne dix ou quinze ans plus tôt que les séronégatifs –, l’espérance de vie de ces patients s’est considérablement améliorée dans nos pays occidentaux. Comme d’autres personnes souffrant d’affections de longue durée, ils doivent donc apprendre à composer avec la maladie et les recours aux soins pour aménager leur vie sociale, professionnelle, leur emploi du temps, leurs déplacements.

Là où la plupart des études en matière de VIH et d’accès aux soins analysent les déterminants socio-économiques du public, la chercheuse a choisi une approche originale en s’intéressant à l’organisation spatiale des soins et services psycho-médico-sociaux dans la ville : « À travers son rapport à l’espace, qui se déploie et évolue en un parcours de soins fluctuant tout au long de la maladie chronique, peut s’appréhender la façon dont une personne se saisit de l’offre de soins à sa disposition… ou ne s’en saisit pas, ou pas comme on pourrait s’y attendre. »

Hospitalocentrisme

Suivre la trajectoire des patients séropositifs nous apprend que celle-ci ramène souvent vers l’hôpital de jour. Il faut dire que tout y est fait pour faciliter la prise en charge. Des institutions comme Érasme, l’AZ-VUB, Saint-Luc, le CHU Saint-Pierre ont mis en place des centres de référence sida portés par des équipes pluridisciplinaires composées d’infectiologues, d’infirmières, de psychologues, d’assistantes sociales, autour desquels gravitent une série d’autres spécialistes : diététiciens, kinés, pédiatres, etc. « Les patients ont conscience que leur dossier est informatisé et partagé par l’équipe. Quand ils sentent que la communication passe entre les praticiens, ils ont le sentiment que la prise en charge est meilleure », commente Maguelone Vignes.

La chercheuse a rencontré des patients du CHU Saint-Pierre, de l’hôpital d’Ixelles et d’Érasme. Chaque équipe, relève-t-elle, révèle une identité qui lui est propre. Les patients prennent plus ou moins conscience de ces fonctionnements au fur et à mesure de leur parcours et circulent entre ces lieux selon leurs attentes. Une hospitalisation pourra être l’occasion de tester une équipe médicale. Les groupes d’écoute et de paroles sont aussi le lieu pour s’échanger des informations qui éclairent une offre de soins souvent opaque sur les points qui intéressent les patients. « On sait que tel médecin a la réputation d’être gay-friendly ou de négocier plus facilement le traitement. Que tel pharmacien acceptera d’avancer les médicaments en attendant les documents de la mutuelle (NDLR le coût des médicaments se situe entre 800 et 1 000 euros par mois, entièrement remboursés par la mutuelle)… »

À l’heure où les politiques publiques incitent à recourir à la médecine de ville plutôt qu’à l’hôpital pour réduire les coûts des soins de santé en général, pour certains séropositifs, sortir de ce monde hospitalier dont ils connaissent les rouages, c’est aller vers l’inconnu, ne pas savoir comment l’on sera reçu, et parfois même, se voir refuser l’accès aux soins !

Médecine en plusieurs modes

Les trajets de soins sont aussi des trajectoires de vie. La chercheuse distingue plusieurs périodes dans le parcours d’une personne séropositive : « L’annonce du diagnostic constitue toujours une sorte de rite d’institution. Le tact ou non dont le médecin saura faire preuve peut influencer de façon déterminante la façon dont le patient assumera sa prise en charge médicale ensuite. » Malgré les perspectives thérapeutiques, la période qui suit reste une zone de turbulences, qui peut durer quelques semaines ou quelques années selon les cas. Vient ensuite la phase d’installation dans le diagnostic. Le patient apprend à composer avec cette affection devenue maladie chronique. Plus tard viendront les épisodes de maladies et l’éventuel vieillissement prématuré.

Un des enseignements de la thèse est de montrer que chaque période est caractérisée par différents « modes » d’organisation possibles. Lors de la phase d’installation dans le diagnostic, à titre d’exemple, la personne en « mode recherche » n’hésitera pas à changer de médecin tant qu’elle ne trouvera pas un thérapeute suffisamment à l’écoute de ses attentes. En « mode sécurisation », elle se rapprochera de son entourage, fréquentera un groupe de parole, adaptera son activité professionnelle… « On parle parfois de médecine à deux vitesses, je pense plutôt qu’on est devant des usages différenciés de la médecine », souligne Maguelone Vignes.

Un travail invisible

Un séropositif qui vit en ménage et sait qu’il peut compter sur son conjoint s’autorisera à vivre à une certaine distance de l’hôpital. Une personne isolée et lourdement malade devra éventuellement se résoudre à déménager à quelques pas de l’hôpital. Certains patients assumeront de passer par la grande porte du centre de référence sida où ils se font suivre. D’autres privilégieront la discrétion. À Rouen, où la sociologue s’est également rendue, une petite porte dérobée sur une rue discrète permet aux patients séropositifs de se rendre à leur rendez-vous médical sans traverser le reste du centre hospitalier.

Pour vivre avec cette affection désormais devenue maladie chronique, montre la thèse, les personnes séropositives mettent en place une série d’arrangements en fonction de leur situation, de leurs attentes et de l’évolution de leur maladie. Privilégier le réseau de son infectiologue pour s’assurer une coordination optimale des soins, miser sur un suivi global comprenant l’assistance sociale, préférer les services de proximité… « Aujourd’hui, on nous parle beaucoup de coordination de soins, de comment faire circuler le patient dans l’hôpital l’offre de soins… En mettant l’accent sur l’espace, on met en lumière le travail invisible réalisé par le patient, les techniques d’ajustement qu’il met en œuvre pour tirer son épingle du jeu, selon les périodes de la vie avec le VIH, selon ses expériences passées. »

Microdico :

Motilité

Pour sa thèse, la sociologue se réfère au concept de motilité. À l’origine, le terme est utilisé en biologie pour désigner l’aptitude à se mettre en mouvement. Wikipédia donne l’exemple de la motilité des spermatozoïdes ! Le concept a été développé en science sociale par Vincent Kaufman pour désigner la capacité, le potentiel, de se mouvoir.

Sandrine Warsztacki

Sandrine Warsztacki

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