Alter Échosr
Regard critique · Justice sociale

Petite enfance / Jeunesse

Neet, jeune désaffilié fort demandé

On parle de plus en plus des jeunes « sortis des radars sociaux ». Ces jeunes n’étant ni au CPAS, ni au chômage, ni à l’emploi, ni aux études, il est difficile d’évaluer leur nombre. Une chose est cependant certaine : les opérateurs de terrain ont bien du mal à leur mettre la main dessus.

>>> Vous désirez lire notre revue ? Envoyez un mail avec «AE 429/430 + adresse » à mmx@alter.be

On parle de plus en plus des jeunes «sortis des radars sociaux». Ces jeunes n’étant ni au CPAS, ni au chômage, ni à l’emploi, ni aux études, il est difficile d’évaluer leur nombre. Une chose est cependant certaine: les opérateurs de terrain ont bien du mal à leur mettre la main dessus.

À l’occasion de la découverte d’une énième planète extrasolaire – mais oui, vous savez, celles qui tournent autour d’une autre étoile que le soleil –, un scientifique détaillait une des techniques ayant permis de la trouver. Il s’agissait de détecter les perturbations occasionnées par la planète et sa force d’attraction sur le mouvement de l’étoile autour duquel elle gravite. Bien trop lointain pour être visible à l’œil nu, ce nouveau monde avait donc été détecté par déduction… Une technique que l’on doit aussi appliquer aujourd’hui à certains jeunes «sortis des radars sociaux». Exclus du chômage, non-inscrits au CPAS, pas aux études ou en formation, le nombre de ces «super-Neet’s» (voir encadré) est grandissant. Mais aussi extrêmement difficile à évaluer, vu qu’ils ne sont inscrits nulle part ou presque…

Les Neet’s

Le mot Neet’s est un acronyme de « Not in employment, education or training ». Il concerne les jeunes âgés de 15 à 29 ans ne se trouvant donc pas à l’emploi, à l’école ou en formation. Cette notion concerne beaucoup de monde. On peut être «Neet» et être inscrit auprès d’Actiris ou du Forem. Ou bien être totalement «désaffilié».

On en est alors réduit à tenter la déduction pour évaluer leur nombre. Il y a un peu plus d’un an, la Fédération wallonne des CPAS avait fait une sortie remarquée en procédant à un petit calcul. En janvier 2015, parmi les 12.080 personnes arrivées en fin de droit en Wallonie après la réforme des allocations d’insertion (voir encadré), 3.361 personnes avaient frappé aux portes des CPAS wallons pour obtenir un revenu d’intégration sociale. Soit une proportion de seulement 27,8%. Les autres? Sortis des radars…

Autre indice: dans un document intitulé «Perspectives de l’OCDE sur les compétences 2015. Les jeunes, les compétences et l’employabilité», l’OCDE tentait lui aussi il y a peu quelques chiffres. D’après l’organisation, «en 2013, 39 millions de jeunes âgés de 16 à 29 ans dans les pays de l’OCDE n’avaient pas d’emploi et ne suivaient ni études ni formation». Près de la moitié de ceux-ci – 20 millions de jeunes – ne seraient pas à la recherche d’un emploi. Ce qui fait dire à l’OCDE qu’«il est dès lors possible que ces jeunes aient disparu des écrans radars nationaux, que ce soient ceux du système éducatif, du système social ou des institutions du marché du travail».

Allocations d’insertion

En 2011, le gouvernement d’Elio Di Rupo (PS) a décidé de limiter les allocations d’insertion à trois ans. Une mesure entrée en vigueur le 1er janvier 2012. Les premières fins de droit sont donc intervenues le 1er janvier 2015. Notons que les allocations d’insertion permettent aux jeunes de bénéficier d’une allocation avant d’éventuellement ouvrir leur droit au chômage sur la base du travail.

Cachés dans la forêt

Les raisons de cette sortie des radars sont nombreuses. Il y a autant d’explications que d’auteurs réfléchissant à la question ou de situations particulières. Exclusions du chômage à la suite des politiques d’activation, violence symbolique de ces politiques, défiance vis-à-vis du «système», effets d’obstacle et mauvaise complémentarité entre les différents dispositifs d’aide, fonctionnement excluant du système éducatif, problèmes psychosociaux, rupture familiale, crise, sentiment qu’il n’y a plus rien à attendre de la société, choix délibéré de se mettre de côté temporairement ou définitivement, etc. Le résultat est cependant le même: pour les structures de terrain – notamment celles actives en insertion socioprofessionnelle –, mettre la main sur ces jeunes a tout de la quête du Saint-Graal, singulièrement aujourd’hui, depuis que l’Union européenne a fait des jeunes et des Neet’s un de ses chevaux de bataille. De nombreux opérateurs ont en effet remis des projets dans le cadre de la Garantie pour la jeunesse, lancée au niveau européen afin de lutter contre le chômage des jeunes. Ils ont reçu des financements. Or, «beaucoup de ceux ayant remis des projets n’arrivent pas à remplir leurs groupes de jeunes», explique Luca Ciccia, directeur de la mission locale de Saint-Gilles, à Bruxelles.

«Qui de meilleur que Robin pour aller dans la forêt de Sherwood?» Anne Cordier, coordinatrice de l’Interdire

Dans le sud du pays, huit Mire (Mission régionale pour l’emploi) de la province de Hainaut ont ainsi mis sur pied un projet nommé «Robin». Le nom n’est pas anodin, il fait référence à un terme de plus en plus utilisé pour parler de cette «disparition» des jeunes: la sherwoodisation. Cette appellation renvoie à la forêt de Sherwood de Robin des Bois où toutes les victimes du vilain shérif de Nottingham se retrouvaient. «Nous nous sommes dit: qui de meilleur que Robin pour aller dans la forêt de Sherwood?», plaisante Anne Cordier, coordinatrice de l’Intermire, qui regroupe l’ensemble des missions régionales. L’objectif du projet est clair: s’adresser aux fameux Neet’s et les accompagner vers l’emploi. Pourtant, la tâche n’est pas si aisée. «Un pan du projet a pour objectif d’aller chercher les jeunes dans leurs espaces de socialisation comme les maisons de jeunes, les espaces publics numériques, les clubs sportifs, etc. Et ce n’est pas facile, nous pensions obtenir plus de jeunes», explique Bernard Loverius, directeur de la Miresem, la mission régionale du sud de l’Entre-Sambre-et-Meuse. Du côté de la Mirev, la Mission régionale de Verviers – qui participe aussi à Robin –, on fait le même constat. «Je pensais bien que ces jeunes étaient éloignés de nous, mais pas tant que ça», constate Valérie Pierrot, directrice de la Mirev. Ici aussi, la Mire est passée par les lieux de socialisation. Le tout pour y déposer certains objets promotionnels. Après des débuts compliqués, les jeunes semblent tout doucement pointer le bout de leur nez. Mais la tâche reste ardue. Au point que Valérie Pierrot se demande si elle pourra accompagner le nombre de jeunes prévus.

«Ne faisons-nous pas fausse route?» Bernard Loverius, directeur de la Miresem

Pourtant, passer par des lieux de socialisation peut sembler une bonne idée. Pour beaucoup d’intervenants, certains jeunes sortis des radars gardent malgré tout encore contact avec des structures comme les maisons de jeunes ou les AMO (Services d’aide en milieu ouvert). «Entrer en contact avec des jeunes vraiment sortis des radars n’est parfois possible que s’ils ont maintenu un lien avec un certain tissu associatif», explique Sélénéa Bastin, conseillère emploi et référente jeune à la mission locale de Saint-Gilles.

Néanmoins, ces structures connaissent aussi des difficultés. À l’AMO Samarcande d’Etterbeek, on déclare s’occuper de quelques Neet’s, dont «deux totalement désaffiliés». La structure est censée prendre en charge des jeunes jusqu’à 18 ans au maximum. Mais, dans les faits, certains sont parfois plus âgés. «Ils continuent à venir nous voir parce qu’ils ne trouvent pas de structures équivalentes pour les plus de 18 ans», note Justine Masseaux, éducatrice. Voilà pourtant un bout de temps qu’elle n’a pas vu les deux jeunes filles totalement sorties des radars. Plus d’un an. C’est long. «Nous essayons de garder le contact, mais c’est compliqué, concède Justine Masseur. Ce sont des jeunes filles souffrant de problèmes psychologiques. Elles papillonnent beaucoup dans ce qu’on leur offre. L’une d’elles a d’ailleurs presque tout essayé: Solidarcité, les services d’aide à la jeunesse. L’accompagnement fonctionne à certains moments et puis tout d’un coup on n’a plus de nouvelles.»

Des services peu adaptés?

Cette difficulté d’entrer en contact interpelle beaucoup d’opérateurs, au point de remettre leurs pratiques en question. «Il y a de plus en plus de projets qui s’intéressent aux jeunes désaffiliés, aux Neet’s, et cela représente beaucoup d’argent, constate Bernard Loverius. Or je constate que tout le monde a beaucoup de mal à entrer en contact avec eux. Et à maintenir ce contact. Ne faisons-nous pas fausse route? Est-ce qu’il ne faudrait pas travailler plus sur les outils de mobilisation? Un des problèmes réside aussi dans le fait que les pouvoirs subsidiants nous répètent que nous ne sommes pas là pour faire de la mobilisation…»

«Quand ces jeunes ont rencontré des services, la réaction de ces derniers était rarement adaptée à leur réalité.» Anne-Marie Dieu, directrice de recherche à l’Observatoire de l’enfance, de la jeunesse et de l’aide à la jeunesse

Ce constat est également effectué par Anne-Marie Dieu, directrice de recherche à l’Observatoire de l’enfance, de la jeunesse et de l’aide à la jeunesse. Il y a peu, l’Observatoire a commandité une enquête qualitative (voir encadré) concernant «les plus perdus des Neet’s, les jeunes dégoûtés de tout», d’après Anne-Marie Dieu. Qui dresse un constat sans appel. «Quand ces jeunes ont rencontré des services, la réaction de ces derniers était rarement adaptée à leur réalité. On essayait de les faire entrer dans des cadres assez stricts alors qu’ils sont déstructurés et souvent dans une sorte de suractivité liée à leur survie. Ils sont en recherche de lieux pour dormir, de nourriture, de solutions pour ne pas perdre la garde de leurs enfants s’ils en ont…»

Dans ce contexte, il n’est pas compliqué de comprendre pourquoi l’approche de ce public insaisissable bloque. Les journées de jobcoaching, les rendez-vous, les examens d’entrée pour entrer en formation semblent constituer des outils bien trop «cadrés». «Ces jeunes sont en décrochage, ont déjà eu un mauvais rapport à l’école. Et les structures vont leur demander de faire tout de suite une formation», note Sélénéa Bastin. Avant de faire remarquer que beaucoup de jeunes en difficulté sont aussi en recherche d’immédiateté. «Si on leur donne un rendez-vous deux semaines plus tard, cela ne va pas fonctionner, on risque de les perdre.»

«Il faudrait quelque chose de moins institutionnalisé», Febisp

Face à cette situation, «il faudrait quelque chose de moins institutionnalisé, ce qui constituerait un changement par rapport à ce qui se fait en OISP en général», note-t-on à la Febisp, la Fédération bruxelloise des organismes d’insertion socioprofessionnelle. Le renforcement du «maillage» entre les différents opérateurs est également régulièrement cité comme piste de réflexion. «Ces jeunes sont souvent perdus, ne savent pas où se rendre quand ils ont envie de se remettre en selle, explique Anne-Marie Dieu. Il faut qu’ils frappent à la bonne porte… Et si ce n’est pas le cas, qu’ils se fassent bien orienter.»

Du côté de la mission locale de Saint-Josse, on a en tout cas décidé d’aller vers les jeunes. Depuis 2012, la mission dispose d’un «Guichet mobile de promotion de l’emploi», sous forme d’un bus. Ce bureau mobile permet à Marjorie Devaux, chargée du projet, d’aller notamment à la rencontre des jeunes. Le tout afin de les aider dans leur recherche d’emploi: «Nous sommes partis du constat que les jeunes ne poussaient pas les portes de la mission locale. Nous avons donc décidé d’aller vers eux. Si nous leur demandons de sortir de leur zone de confort, il faut que nous aussi nous le fassions.»

 

Quelques documents

Plusieurs enquêtes et recherches sont disponibles sur le site de l’Observatoire de l’enfance, de la jeunesse et de l’aide à la jeunesse. L’une d’elles est consacrée aux Neet’s – «Qu’ont à nous apprendre les Neet’s?» – et a été réalisée par l’asbl RTA. Une autre concerne le non-recours à l’offre d’enseignement et de formation des jeunes de 15-24 ans.

Notons également que le prochain rapport sur l’état de la pauvreté à Bruxelles, à paraître en 2017 – et publié par l’Observatoire de la santé et du social de la Région de Bruxelles-Capitale –, sera consacré à la sous-protection sociale.

En savoir plus

«Allocations d’insertion: il faudra étudier vite», Alter Échos n°399 du 25 mars 2015, Julien Winkel.

«Garantie pour la jeunesse: Bruxelles mise gros», Alter Échos n°393 du 17 novembre 2014, Julien Winkel.

Julien Winkel

Julien Winkel

Journaliste (emploi et formation)

Pssstt, visiteur, visiteuse du site d'Alter Échos !

Nous sommes heureux que vous soyez si nombreux à nous suivre sur le web. Nous avons fait le choix de mettre en accès gratuit une grande partie de nos contenus, notamment ceux en lien avec le Covid-19, pour le partage, pour l'intérêt qu'ils représentent pour la collectivité, et pour répondre à notre mission d'éducation permanente. Mais produire une information critique de qualité a un coût. Soutenez-nous ! Abonnez-vous ! Et parlez-en autour de vous.
Profitez de notre offre découverte 19€ pour 3 mois (accès web aux contenus/archives en ligne + édition papier)