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Marchés publics: un pas de plus contre le dumping social?

Le gouvernement wallon a créé de nouveaux outils anti­dumping dans le cadre des marchés publics de travaux, dispositifs qui pourront être utilisés par les pouvoirs adjudicateurs dans leurs appels d’offres. Une progression considérable en matière de lutte contre le dumping social?

Le gouvernement wallon a créé de nouveaux outils anti­dumping dans le cadre des marchés publics de travaux, dispositifs qui pourront être utilisés par les pouvoirs adjudicateurs dans leurs appels d’offres. Une progression considérable en matière de lutte contre le dumping social?

Droits sociaux diminués, salaires baissés, retraites repoussées. La pratique du dumping social est encore bien présente en Belgique et mine principalement le secteur de la construction. «La situation est catastrophique», s’inquiète Adrien Dawans, directeur de la Chambre de la construction de Liège (CCL). Cette pratique économique, source de concurrence déloyale, génère des inégalités entre salariés. Certains travailleurs étrangers œuvrent sur des chantiers dans des conditions salariales et sociales en dessous des exigences du pays dans lequel les travaux sont réalisés. «Les travailleurs détachés peuvent être payés jusqu’à quatre fois moins que les travailleurs belges, on atteint parfois 4 euros de l’heure alors qu’ils devraient être payés 15 euros», proteste Adrien Dawans. Cette situation est également préjudiciable aux entreprises et travailleurs belges. Le rapport annuel 2015 de la Banque nationale de Belgique rappelle que si 90.000 travailleurs détachés étaient identifiés en 2007, ils étaient 216.000 en 2014. Toujours selon le rapport, «entre 2012 et 2014, période durant laquelle la croissance du nombre de travailleurs détachés a été la plus forte, le nombre de salariés recensés dans la construction a reculé de 11.300 unités. Outre les travailleurs détachés, un glissement s’est opéré de l’emploi salarié vers l’emploi indépendant, qui a continué de progresser, de 4.400 unités».

Le gouvernement wallon semble mesurer l’importance de la situation. «Il faut stopper l’hémorragie», clame Christophe Lacroix, ministre régional de la fonction publique. À l’initiative de ce dernier, trois nouveaux outils ont été approuvés par le gouvernement wallon et mis en œuvre, début mai, afin de lutter contre le dumping.

Le rapport annuel 2015 de la Banque nationale de Belgique rappelle que si 90.000 travailleurs détachés étaient identifiés en 2007, ils étaient 216.000 en 2014.

Amorcer une évolution

Ces nouveaux dispositifs prévoient tout d’abord des extraits de clauses à inscrire dans le cahier des charges. Lesquels? Une limitation à deux niveaux de sous-traitance verticale, l’interdiction de loger sur le chantier ou encore des exigences liées à la langue. Ensuite, le maître d’ouvrage public qui lance un appel d’offres devra s’engager à vérifier divers points, tels que les prix anormalement bas, vérifier que les soumissionnaires sont en ordre au niveau de leurs obligations sociales et fiscales ou encore que les sous-traitants répondent aux critères de sélection qualitative. Enfin, tous les entrepreneurs qui participent au marché devront signer une déclaration reprenant les principales dispositions à respecter en matière de conditions de travail, de rémunération et d’emploi, ils se verront notamment obligés de «fournir un logement et une nourriture convenable» aux travailleurs qui ne peuvent rentrer quotidiennement chez eux ou de sous-traiter une partie des travaux si certains de leurs travailleurs sont en chômage temporaire.

«Il faudrait un arrêté du gouvernement pour imposer obligatoirement à toutes les entités l’intégration des outils de lutte contre le dumping social dans tous les cahiers des charges.», Adrien Dawans, directeur de la Chambre de la construction de Liège (CCL)

La Confédération de la construction wallonne (CCW) salue l’initiative. Chaque commune avait tendance à créer sa propre charte, explique Nathalie Bergeret, directrice de la communication de la CCW. «On avait constaté que certaines étaient à la limite sur le plan légal. De plus, les entreprises risquaient d’être confrontées à toute une série d’exigences différentes.» Or, il n’y a maintenant qu’une seule et unique charte. Mais pour Nathalie Bergeret, cela ne suffira pas à régler le problème du dumping social. «Il faut qu’il y ait un faisceau de mesures à tous les niveaux de pouvoir, européen, fédéral et régional», insiste-t-elle en précisant que le gouvernement wallon a fait ce qu’il pouvait dans les limites de ses compétences. Natacha Vinckenbosch, attachée au Département du développement durable de l’administration régionale wallonne, confirme ces propos et ajoute qu’en parallèle, «il est essentiel que les maîtres d’ouvrage publics réalisent que lutter contre le dumping social, c’est accepter de payer le prix juste pour les travaux commandés et garantir des conditions de travail décentes aux travailleurs».

Un progrès… facultatif

«C’est un bon début puisqu’il y a une prise de conscience de la part du politique», estime Adrien Dawans. Mais loin d’être suffisant pour le directeur de l’association liégeoise qui regrette le caractère facultatif des nouveaux outils disponibles: «C’est tout à fait laissé à la discrétion du pouvoir adjudicateur d’inclure ces clauses ou non. Il faudrait un arrêté du gouvernement pour imposer obligatoirement à toutes les entités l’intégration des outils de lutte contre le dumping social dans tous les cahiers des charges.»

« Je suis persuadé qu’il n’y aura pas lieu de les contraindre à utiliser les outils que nous avons développés », Christophe Lacroix

Le cabinet de Christophe Lacroix assure que ces outils seront bel et bien utilisés dans tous les cahiers des charges des marchés publics passés par l’administration régionale wallonne. Reste à sensibiliser… tous les autres pouvoirs adjudicateurs publics (communes, provinces…). «Il est de notre devoir de les responsabiliser mais, en ce qui concerne les communes par exemple, beaucoup sont demandeuses de ce type d’outils. Je suis dès lors persuadé qu’il n’y aura pas lieu de les contraindre à utiliser les outils que nous avons développés», suppose le ministre wallon. La Confédération de la construction wallonne mesure, elle, toute l’importance de «communiquer, informer, montrer l’intérêt et l’utilité» de ces outils auprès des autres pouvoirs. Pour l’administration régionale, Natacha Vinckenbosch souligne l’intérêt de s’appuyer sur un engagement volontaire des acteurs: «Les outils sont facultatifs, en particulier parce qu’ils font appel à un engagement des pouvoirs adjudicateurs. Imposer des exigences dans les cahiers des charges sans vérifier qu’elles sont respectées n’apportera pas les résultats attendus. L’utilisation généralisée de ces outils par un engagement volontaire amènera davantage de résultats.»

Afin d’assurer la mise en place des outils et de les étendre au maximum, le cabinet de Christophe Lacroix organisera des formations à l’intention des pouvoirs adjudicateurs. Par ailleurs, un groupe de travail, associant des représentants de l’administration régionale, d’une province et de deux communes, va être mis en place pour évaluer les outils sur la base des retours d’expérience de terrain et les adapter le cas échéant.

Le dossier n’est pas encore refermé puisque d’autres réflexions sur la problématique sont en cours, selon le cabinet Lacroix. Retenons le souhait de consolider davantage les contrôles en matière de respect de la réglementation et d’étudier la faisabilité de la création d’un label «Entreprise sans dumping social». Entre-temps, les acteurs de terrain, conscients des actions multiples qu’il reste à mener pour lutter contre ce fléau économique, poursuivent leur lutte.

 

En savoir plus

«Dumping social: bataille européenne autour d’un formulaire», Alter Échos n°403, Cédric Vallet, mai 2015.

Nastassja Rankovic

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