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Petite enfance / Jeunesse

Liliane Baudart revient sur cinq ans à la tête de l’Aide à la jeunesse

Après cinq ans de bons et loyaux services, Liliane Baudart, directrice générale de l’Aide à la jeunesse, s’apprête à terminer son mandat. L’occasion de revenir sur certains des sujets « chauds » qui ont jalonné ces dernières années. Où l’on apprend que la directrice générale se verrait bien rempiler pour cinq ans de plus.

©Federation Wallonie-Bruxelles - Jean Poucet

Après cinq ans de bons et loyaux services, Liliane Baudart, directrice générale de l’Aide à la jeunesse, s’apprête à terminer son mandat. L’occasion de revenir sur certains des sujets «chauds» qui ont jalonné ces dernières années. Où l’on apprend que la directrice générale se verrait bien rempiler pour cinq ans de plus.

Alter Échos : Vous arrivez au terme de votre mandat de cinq ans à la tête de la direction générale de l’Aide à la jeunesse. S’il était un point positif et un point négatif qu’il fallait retenir, quels seraient ces points?

Liliane Baudart : Je suis heureuse des avancées concernant la politique d’harmonisation des pratiques et des procédures dans les services publics, particulièrement dans les services d’aide à la jeunesse et les services de protection judiciaire. Bien sûr, tout n’est pas gagné, mais l’enjeu de l’égalité de traitement des enfants ou des jeunes où qu’ils résident, quel que soit leur arrondissement judiciaire, est important. Cette harmonisation se fait avec la participation active des conseillers, des directeurs et de membres de l’administration. J’ai cherché à traduire les meilleures pratiques et procédures dans une circulaire administrative, qui est en vigueur depuis deux ans. J’ai chargé Pierre Hannecart, inspecteur des SAJ/SPJ, d’accompagner la mise en œuvre de cette circulaire. Il a fait le tour des services en posant des questions relatives à son application et a formulé des recommandations. Aujourd’hui, nous sommes dans une deuxième phase de cette implémentation visant à identifier les difficultés. Il y en a encore beaucoup. Dans ce contexte, il est très important d’être attentif aux conditions de travail.

A.É. : Le sujet des conditions de travail a été particulièrement «chaud» cette année, avec une grève au sein des services d’aide à la jeunesse (SAJ) et services de protection judiciaire (SPJ)…

L.B. : Oui, et c’est là que la question de l’harmonisation n’est pas si simple. Il faut tenir compte des moyens dont disposent les services. On pourrait par exemple exiger que toute personne qui s’adresse au SAJ reçoive un accusé de réception… sauf quand il y a une personne malade et que personne n’est là pour la remplacer. Permettre de meilleures conditions de travail et doter les services d’agents en suffisance figuraient parmi mes objectifs en 2009. Pour différentes raisons, cela n’a pas été possible. Il a fallu un mouvement de grève pour que la ministre de l’Aide à la jeunesse, puis le gouvernement, accepte qu’il y ait une réflexion sur les normes dans les SAJ et SPJ (afin d’avoir un nombre d’agents fixé en fonction du nombre de dossiers, NDLR). C’est quasiment le seul secteur à ne pas bénéficier de normes. Il faut dire que le secteur est difficile, quand on y reste, c’est qu’on est passionné. Le personnel des SAJ et SPJ s’est toujours centré sur les familles et les enfants, et ne s’est pas mobilisé syndicalement pendant vingt ans. À la différence des IPPJ qui ont obtenu beaucoup de choses.

De nouvelles structures pour les jeunes «incasables»?

« Il reste des jeunes sur le carreau car il n’y a pas de structure adaptée. »

A.É. : Parmi vos «faits d’armes», vous évoquez souvent les partenariats avec d’autres secteurs. Est-ce un thème important pour vous?

L.B. : Oui, c’est un autre point positif de ces dernières années que j’aimerais souligner. Nous avons mené des avancées importantes pour favoriser et développer des partenariats. Cela s’est traduit par de nombreuses négociations qui ont parfois donné lieu à des protocoles de collaboration. Ensuite, il faut savoir les faire vivre, les mettre en place, organiser des formations. Cela prend du temps. Prenons l’exemple du protocole de collaboration entre la DGAJ et l’Agence wallonne pour l’intégration des personnes handicapées (Awiph) qui a donné naissance à des groupes de travail. L’un d’eux s’appelle «Un Jardin pour tous». Il concerne ces jeunes qui n’étaient «dans le jardin de personne», donc entre les secteurs, et qu’on se remballait d’un côté à l’autre…

A.É. : Il semblerait qu’on se les remballe toujours…

L.B. : Mais non! Grâce à «Un Jardin pour tous», les travailleurs, les opérateurs de terrain ont souvent trouvé des solutions. Simplement en se parlant. Voilà un protocole que nous avons directement élargi au secteur de la santé mentale. Mais ça ne suffit pas. Il reste effectivement des jeunes sur le carreau car il n’y a pas de structures adaptées à leurs problématiques complexes qui nécessitent l’intervention conjuguée de plusieurs secteurs. On peut d’ores et déjà dire qu’il faudrait créer des structures pour ces jeunes et favoriser le maintien d’un lien, pour le jeune, quoi qu’il se passe. Il faut développer des tripartites, des prises en charge conjointes entre le secteur de la santé mentale, du handicap et de l’aide à la jeunesse. Il n’y a pas à l’heure actuelle un décret ou un accord de coopération qui permette d’organiser cette transversalité et de mutualiser les moyens entre trois champs, même quand les opérateurs de terrain et les administrations le proposent.

A.É. : À propos de cette «structure». Le bruit court qu’il pourrait s’agir d’une nouvelle institution publique type «IPPJ», mais pour ces jeunes dits «incasables».

L.B. : Je ne vois pas pourquoi cela devrait être obligatoirement une structure publique, mais pourquoi pas. En tout cas, elle devra s’adresser aux mineurs en danger. Il faut surtout éviter ce qui se passe actuellement où il faut attendre qu’un jeune ait commis une infraction pour qu’enfin il soit pris en charge. Ce qui est sûr, c’est que, pour ce type de situation, ce ne doit pas être uniquement le secteur de l’aide à la jeunesse qui subsidie.

Les «capacités réservées» : une révolution?

A.É. : Dans un article récent d’«Alter Échos», des autorités mandantes évoquaient un «tri» effectué par certains services agréés au détriment des jeunes les plus difficiles. Qu’en pensez-vous?

L.B. : J’ai beaucoup d’estime pour le travail fourni par beaucoup de services agréés qui acceptent des demandes difficiles, complexes. Mais la demande est tellement supérieure à l’offre que forcément les places sont prises par des jeunes présentant parfois des problématiques moins complexes. C’est un enjeu qui touche à l’inconditionnalité de la prise en charge. Il faut qu’un enfant puisse être pris en charge. Mais il ne faut pas que cela fasse exploser le service agréé qui accueillerait un énième enfant aux difficultés de comportement. Les mandants et les services agréés sont interdépendants. C’est en jouant de manière positive cette interdépendance qu’on réussit la mission d’aider un gosse à dépasser ses difficultés. Un autre enjeu est celui de l’hyperspécialisation des services agréés. Peut-être faudrait-il revoir un certain nombre de projets pédagogiques pour les adapter à la réalité des jeunes, mais toujours en étroite collaboration avec les services.

A.É. : Pouvez-vous nous parler des fameuses «capacités réservées» (l’attribution d’un certain nombre de places réservées aux différentes autorités mandantes d’un arrondissement dans des services agréés. Ce nouveau système a été adopté par le gouvernement en mai 2014)? C’est un sujet qui suscite parfois des crispations. Pour vous, s’agit-il d’une bonne idée?

L.B. : Je trouve que c’est très courageux de la part de la ministre d’avoir lancé cette réflexion. C’est vrai qu’il y a eu énormément d’interpellations au sujet des capacités réservées. Ce que l’on peut dire, c’est que les capacités réservées révolutionnent culturellement tout le secteur. Des deux côtés, autorités mandantes comme services agréés, certains sont satisfaits de ce système. Car il devrait permettre de sortir de la loi de la jungle concernant l’attribution de places. Les conseillers et les directeurs de l’Aide à la jeunesse devront gérer au mieux leurs capacités, les places d’accueil qui leur sont attribuées, ce qui devrait leur permettre d’anticiper. Cela responsabilise tout le monde. Mais cela ne veut pas dire que les mandants ne doivent plus se concerter avec les services agréés pour discuter des situations. Bien sûr, sur le terrain, des ajustements seront nécessaires, car c’est toute une organisation à mettre en œuvre. Mais attention, il y a deux projets qui se complètent. Celui sur les capacités réservées et l’arrêté relatif à la programmation (dont le but est d’évaluer les besoins de prises en charge dans les différents types de services par arrondissement, avec pour idée d’effectuer un «rattrapage», NDLR).

A.É. : Vous parlez de l’arrêté de programmation. L’idée est d’effectuer une évaluation des besoins en services dans chaque arrondissement. Mais pour que le rattrapage ait lieu, il faudra des moyens. Quand on voit que l’on prévoit de sérieuses coupes dans le budget de l’enseignement. On peut se dire que cet arrêté ne sera pas appliqué avant longtemps…

L.B. : Quand il y aura des moyens supplémentaires, la ou le ministre devra tenir compte de cet arrêté de programmation. Je pense qu’il faut se battre pour avoir des moyens supplémentaires. On parle ici de choix de société. Le secteur de l’aide à la jeunesse, notamment en son volet prévention, doit être renforcé. Renforcer l’aide à la jeunesse peut éviter des placements, des crises, des hospitalisations, et même de la prison. J’en suis intimement convaincue.

A.É. : Vous parlez de la prévention. Elle est toujours qualifiée de «parent pauvre de l’aide à la jeunesse»; c’est toujours le cas, n’est-ce pas?

L.B. : Lorsque je parle de prévention, je parle des services d’aide en milieu ouvert bien sûr. Ils sont la première ligne de nos services spécialisés. Mais je parle aussi des sections de prévention générale, des conseils d’arrondissement de l’Aide à la jeunesse. La prévention a été un peu renforcée, mais à l’heure actuelle elle ne représente que 8% du budget de l’Aide à la jeunesse. Ce n’est pas assez. Dans la prévention, j’inclus également la politique de partenariat, par exemple le protocole de collaboration avec les CPAS : en effet, c’est avec les CPAS que l’on doit affronter la pauvreté des enfants, les problèmes socioéconomiques. Nous ne devons pas nous opposer mais conjuguer nos efforts, c’est important.

A.É. : Lorsqu’on voit l’augmentation spectaculaire du nombre de demandes adressées à l’Aide à la jeunesse (+52% de 2000 à 2010), peut-on uniquement l’imputer à la précarité? Ou peut-on aussi se dire que la mission de l’Aide à la jeunesse n’est plus vraiment «complémentaire et subsidiaire»? Bref que la première ligne, dont les CPAS, ne fait pas son travail… et ce malgré les protocoles d’accord.

L.B. : À Namur, l’équipe du service de l’Aide à la jeunesse a pris son bâton de pèlerin pour partir à la rencontre des CPAS de leur arrondissement, pour faire vivre le protocole d’accord. Malgré leur surcharge de travail, la conseillère de l’Aide à la jeunesse trouve que cela en vaut la peine. La relation avec les CPAS dépend de chaque service, elle varie en fonction des arrondissements. Dans certains arrondissements, une véritable politique de collaboration et de prévention a été mise en place. Une administration publique doit soutenir les initiatives de terrain, pour développer ces collaborations. Quant à l’organisation des missions de première ligne… c’est un vaste débat. J’ai pris connaissance des récentes évolutions en Flandre. Afin de ne pas embouteiller l’aide spécialisée, ils ont réorganisé l’aide générale de première ligne autour d’un «guichet unique», pour qu’elle soit plus cohérente, mieux articulée. C’est une démarche très intéressante. Serait-on prêt en Fédération Wallonie-Bruxelles à suivre cette voie?

A.É. : Pensez-vous qu’on doive faire de même côté francophone?

L.B. : Si on va vers des restrictions budgétaires, on se doit d’être cohérents et responsables vis-à-vis des familles et des jeunes fragilisés. Lorsque des parents sollicitent une aide et sont renvoyés à gauche, à droite, c’est insupportable. On ne peut pas se permettre d’avoir des batailles de territoires. Ni avec les CPAS, ni avec d’autres institutions de première ligne, comme les centres psycho-médico-sociaux (CPMS), ni même avec l’école.

A.É. : Est-ce que de simples collaborations avec des secteurs connexes peuvent suffire?

L.B. : Je suis pour développer des articulations entre le champ scolaire et l’aide à la jeunesse par exemple. Quand on intègre des enfants en difficulté après un décrochage, il faut surtout des dispositifs particuliers pour les accueillir, il faut tout mettre en œuvre pour qu’ils soient moins souvent exclus et pour qu’il y ait des articulations de prise en charge. Cela prend du temps et il faut le prendre. L’idée est d’éviter que l’aide à la jeunesse se retrouve avec ces jeunes sur les bras lorsque c’est trop tard. Un décret intersectoriel existe désormais entre l’aide à la jeunesse et l’enseignement. J’y suis favorable même si je comprends certaines interpellations le qualifiant «d’usine à gaz».

Et la communautarisation dans tout ça?…

« Pour les jeunes dessaisis, le juge de la jeunesse a estimé que le secteur de l’aide à la jeunesse ne pouvait plus rien leur apporter… »

A.É. : Au sujet des mineurs ayant commis un fait qualifié «infraction». On sait que le rapport du groupe de travail qui a planché sur la communautarisation vient d’être finalement remis. Pouvez-vous nous donner quelques indications sur les changements à venir? Est-ce que le centre fédéral fermé de Saint-Hubert va devenir une IPPJ?

L.B. : Vous venez trop tôt. Le centre fédéral fermé va devenir un centre fermé communautaire. Le ministère va devoir gérer ce centre comprenant trois sections éducation, relevant de l’Aide à la jeunesse, une section «jeunes dessaisis» qui relèvera de la future administration générale des maisons de justice et de l’aide aux justiciables.

A.É. : Les jeunes dessaisis ne vont pas basculer sous la «tutelle» de l’Aide à la jeunesse?

L.B. : Le gouvernement actuel n’a pas supprimé le mécanisme du dessaisissement. Pour ces jeunes, même s’ils sont mineurs, le juge de la jeunesse a estimé que le secteur de l’aide à la jeunesse ne pouvait plus rien leur apporter…

A.É. : Et vous êtes d’accord avec ça?

L.B. : Je n’ai pas à être d’accord ou pas, c’est le législateur qui n’a pas modifié ce mécanisme. Tant qu’il n’est pas modifié, je ne suis pas compétente. Le futur gouvernement va devoir adopter un décret pour les jeunes dessaisis. Il pourra tout revoir à cette occasion. Les trois sections éducation du centre de Saint-Hubert pourraient être transformées en section fermée d’une IPPJ. Mais différents travaux et recherches concluent plutôt à la nécessité d’augmenter le nombre de places en régime ouvert. Dans ce contexte, je suis favorable à la suppression de la loi du 1er mars 2002 relative au placement provisoire de mineurs ayant commis un fait qualifié «infraction».

A.É. : Votre mandat arrive à son terme. Allez-vous être candidate à votre propre succession dans ce qui va désormais devenir l’administration générale de l’Aide à la jeunesse?

L.B. : Je vais me porter candidate. Il faudrait bien deux mandats pour mener à terme une série de travaux. J’aimerais travailler davantage avec les services agréés lors de ce second mandat pour améliorer la prise en charge des jeunes.

 

Cédric Vallet

Cédric Vallet

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