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Justice

Les militants sont-ils des «criminels» comme les autres?

Aujourd’hui, en Belgique, de plus en plus de lois et de sanctions administratives permettent d’incriminer des militants qui, par leur action, remettent en cause le système économique et politique. Découvrez la revue sous format papier & PDF pour 6€. Envoyez un mail avec «AE 420 + votre adresse » à mmx@alter.be

Légende: Le militantisme, un crime?

Aujourd’hui, en Belgique, de plus en en plus de lois et de sanctions administratives permettent d’incriminer des militants qui, par leur action, remettent en cause le système économique et politique.

 

Cet article a été publié dans Alter Échos n°420 du 23 mars 2016

Le 18 mars, la FGTB organisait un grand meeting pour dénoncer les astreintes juridiques au droit de grève ou à celui de manifester. C’est que l’atmosphère législative est de plus en plus pesante, avec des restrictions toujours plus nombreuses ces dernières années.

Ainsi, une grève générale dans le secteur de l’énergie ou des dégradations commises lors d’une manifestation comme de faucher des OGM pourraient être considérées théoriquement par la justice comme des actes terroristes. En effet, la loi du 19 décembre 2003 – articles 137 à 141ter du Code pénal belge – autorise des poursuites au nom de la lutte contre le terrorisme pour des actes qui visent à exercer une contrainte sur une autorité publique, un acteur économique du pays ou une organisation internationale. Dans le contexte actuel, entre état d’urgence et coup d’éclat permanent, ce dispositif légal continue bel et bien d’inquiéter avocats, syndicats ou associations.

600% d’augmentation

«Depuis la mise en place de ces lois en 2003, une série de dispositions continuent de porter les gènes d’une dérive possible. Par exemple, la loi sur le renseignement, dont la délimitation du champ d’action reste trop vague, pourrait légitimer des actions à l’égard de mouvements sociaux, notamment ceux qui porteraient atteinte aux secteurs économiques du pays», rappelle Manu Lambert à la Ligue des droits de l’homme (LDH).

« le parquet fédéral a ouvert 313 dossiers pour terrorisme en 2015, contre 195 en 2014. Sur les trois dernières années, il y a une augmentation de 600%. », l’avocat Olivier Stein du cabinet Progress Lawyers Network

«Ces nouvelles mesures, comme la possible extension de la garde à vue de 24 à 72 heures, inquiètent toujours plus, dès lors qu’on a eu des exemples d’application des mesures ‘antiterrorisme’ depuis plusieurs années, explique l’avocat Olivier Stein du cabinet Progress Lawyers Network. Ainsi, le parquet fédéral a ouvert 313 dossiers pour terrorisme en 2015, contre 195 en 2014. Sur les trois dernières années, il y a une augmentation de 600%. J’ai beaucoup de mal à imaginer, et j’en ai même la certitude, que cela ne concerne que des islamistes. Force est de constater que des principes de liberté fondamentale sont en jeu. Il y a aussi un acharnement du parquet sur certains militants.»

«Au nom de la lutte antiterroriste, tout à fait louable, il y a la légalisation d’une série de pratiques et de procédures de fichage, de surveillance et d’écoute de militants qui étaient encore illégales il y a dix ans. Elles sont utilisées par les services policiers et le parquet fédéral pour toute une série d’affaires qui ne concernent pas le terrorisme, déplore Sébastien Robeet, conseiller juridique à la CSC. Cela pose un certain nombre de questions, surtout quand on sait que seules 91 recherches sur les 3.721 observées en 2013 concernaient directement des affaires de terrorisme.»

Le Code pénal belge contient des articles permettant d’incriminer des actes militants, à l’instar d’actions de soutien aux migrants sans papiers ou d’agriculteurs en colère.

Par ailleurs, si ces dispositions antiterroristes ont de quoi faire craindre pour l’action militante, elles ne sont pas les seules à être invoquées pour limiter l’exercice de manifester librement. Le Code pénal belge contient des articles permettant d’incriminer des actes militants, à l’instar d’actions de soutien aux migrants sans papiers ou d’agriculteurs en colère. Ce fut le cas en novembre 2013. Deux procès en appel se sont déroulés à Bruxelles contre des proches de collectifs de soutien aux migrants sans papiers, le NoBorder et le Comité d’actions et de soutien aux sans-papiers (CAS). Chacune de ces actions était pacifique mais les militants furent condamnés pour rébellion. Plus récemment, un agriculteur, originaire de l’Entre-Sambre-et-Meuse, a été condamné à un an de prison avec sursis pour les mêmes motifs, à la suite de son interpellation lors d’une manifestation dans le quartier européen.

Même si elles concernent d’autres mouvements, les syndicats restent attentifs à ces condamnations. «Il y a toute une judiciarisation de l’action sociale, ce qui fait que des piquets de grève peuvent désormais être cassés par des juges. Cela va croissant, même si c’est contraire au droit international», rappelle Sébastien Robeet (CSC). Même constat à la FGTB: «Si les actions collectives ne sont pas attaquées sous l’angle d’actes terroristes, elles le sont sous d’autres formes. Les exemples sont légion: intimidation des grévistes, actions en justice pour faire lever les piquets de grève sous astreinte au nom de la liberté d’entreprendre et le droit de propriété, poursuites pénales pour des infractions de droit commun comme des dégradations, des entraves à la circulation, pour rébellion, actions en responsabilité contre les grévistes et les syndicats», explique Minervina Bayon, responsable de la communication au syndicat socialiste: «C’est une forte tendance à la hausse, à l’instar de la plainte déposée par le Centre hospitalier chrétien à Liège contre le blocage d’autoroute ou de la récente demande d’indemnisation de la police de Bruxelles contre une manifestation de la Confédération européenne des syndicats.»

Restriction de fait

Ajoutez à cela les sanctions administratives communales (SAC), et tout cela a un effet direct sur les actions militantes en cours. «Cela a un effet inhibiteur sur les actions à venir. Par peur d’être confrontés à la police, d’avoir une sanction administrative, on s’empêche de manifester ou d’organiser des actions plus spontanées. Il y a un effet dissuasif, punitif plus permanent et important qu’auparavant, d’autant que ces sanctions ne sont pas données de façon indépendante, mais sous forme d’une justice de shérif puisque chaque bourgmestre est à la manœuvre en ce qui concerne ces sanctions», poursuit Sébastien Robeet (CSC), et ce, dans une ambiance actuelle où les débats politiques autour de la personnalité juridique des syndicats vont bon train et montrent une volonté de criminaliser, de rendre responsables les syndicats et, à travers eux, leurs militants. Deux députés Open Vld ont récemment déposé une proposition de loi dans ce sens[1].

«On est dans une époque où la contestation politique devient difficile et de plus en plus découragée, conclut Manu Lambert, Ligue des Droits de l’Homme

Ces quelques exemples démontrent la tendance du pouvoir en place à réprimer le militantisme politique par des incriminations très classiques issues du Code pénal (dégradations, coups et blessures, rébellion, faux et usage de faux…), d’autres plus administratives ou politiques. «De cette manière, les détenteurs du pouvoir inspirent la peur aux militants qui réfléchiront à deux fois avant d’aller manifester, explique l’avocat Olivier Ste
in. Il faut bien se dire que le dispositif répressif épouse les formes du mouvement social, en isolant ceux qui seraient les plus emportés, en pouvant, le cas échéant, les qualifier de terroristes, et va ramener dans le troupeau ceux qui se seraient égarés dans une manifestation une fois ou deux par le biais des SAC.»

«On est dans une époque où la contestation politique devient difficile et de plus en plus découragée, conclut Manu Lambert, même si, dans le discours politique, il n’y a pas de remise en cause officielle de la manifestation, du droit de rassemblement, du droit de grève. Dans les faits, et à côté des SAC, il existe plusieurs types de restrictions qui se sont imposées ces dernières années. Ce fut le cas récemment à Charleroi et à Anvers avec un mouvement propalestinien qui voulait manifester, l’autorité communale a refusé la possibilité de manifester et a demandé à voir les slogans pour exercer une forme de contrôle sur cette manifestation.» Ce qui estillégal.

 

«SAC : vers une justice spectacle?», Alter Échos n°416, février 2016, Julie Luong.

 

 

En savoir plus

[1] La personnalité juridique aurait pour but entre autres d’obliger les syndicats à révéler les montants qu’il y a dans leurs caisses de grève.

Pierre Jassogne

Pierre Jassogne

Journaliste (social, justice)

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