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Regard critique · Justice sociale

Environnement/territoire

Les hectares biologiques expropriés

La terre fait l’objet de multiples convoitises et la garder dans le giron agricole n’est pas chose aisée. Cas emblématique de la bataille du sol: la ferme de la Barrière à Jodoigne. Elle risque d’être amputée de 18 hectares de cultures biologiques, ces terres étant requises pour le développement d’un zoning d’activités économiques. La résistance s’organise.

04-08-2015
D'un côté, Nicolas, le traiteur, de l'autre, Nadine et Pierre, les fermiers. ©Olivier Bailly / Agence Alter

La terre fait l’objet de multiples convoitises et la garder dans le giron agricole n’est pas chose aisée. Cas emblématique de la bataille du sol: la ferme de la Barrière à Jodoigne. Elle risque d’être amputée de 18 hectares de cultures biologiques, ces terres étant requises pour le développement d’un zoning d’activités économiques. La résistance s’organise.

Un peu de com bien balancée, un soupçon de caricature et la ferme de la Barrière pourrait devenir le symbole de la résistance bio face à l’envahisseur industriel fan de béton.

Cette ferme en lisière de Jodoigne est celle Nadine et Pierre, les parents de Nicolas. Nadine elle-même l’a reçue de ses parents, éleveurs de vaches. Dans les années soixante, Jodoigne vivait au rythme de la tournée de lait et des livres de beurre sur le seuil de la porte. La ferme connut jusqu’à 90 têtes de bétail mais toutes furent coupées fin 98, le temps de la vache folle. Depuis, Nadine et Pierre se sont tournés vers l’agriculture bio, la vente directe aux particuliers et même un magasin de vêtements grande taille.

Mais il n’y a pas que le tissu qui a pris de l’ampleur avec le temps. En 1976, la ferme de la Barrière se retrouva en lisière d’un… zoning industriel. «Une erreur de désignation du terrain à l’époque», assure Pierre. La ferme bio a pour voisins une station de mazout, la caserne des pompiers, un négociant automobile ou… une marbrerie funéraire.

La cohabitation aujourd’hui fait tache. Et d’autant plus avec le projet d’agrandissement du zoning industriel (actuellement d’une superficie de 33,40 ha). «Depuis le 11 mai 2015, je ne dors plus», raconte Nadine. Ce jour-là, une information publique sur les changements d’ici 20 ans de Jodoigne a été donnée. 32,70 hectares de zones agricoles devenaient une «zone d’activité économique mixte» à la demande de l’intercommunale du Brabant wallon (IBW). Celle-ci est chargée par la Région wallonne de trouver un zoning d’activités économiques dans le Brabant est. On ne peut pas dire que le béton anéantit toute la région. Les trois quarts des terres sont en zone agricole. Mais voilà. C’est sur la ferme de la Barrière que cela tombe puisque parmi les 33 hectares requis, on compte 18 de la propriété de Pierre et Nadine, 18 hectares occupés en plein champ, par des salades, haricots, pommes de terre, carottes, du fenouil, du persil et autres légumes bio. Une expropriation d’intérêt public. On leur retire leur gagne-légumes de la bouche. «Avec le bio et la permaculture, il y a moyen d’être plus efficace que sur une grande culture, avance Pierre. Il y a moins de rendement mais nous pouvons planter plus. Et toute l’année. L’hiver, en plein champ, est une période productive.»

Ponce Pilate à Jodoigne

«C’est la ferme de mes parents», répète Nadine. «Ils nous disent qu’eux emploieraient 400 personnes par hectare, nous c’est trois. Bon, on peut monter à cinq…», tente-t-elle dans un calcul désespéré. Le constat est d’autant plus douloureux que le fils Nicolas, 25 ans, de retour d’une escapade parisienne dans la restauration gastronomique, avait décidé d’assurer la relève et de s’investir dans la ferme. Son plan n’était pas de rejoindre son père dans les sillons, mais de développer des arbres fruitiers à l’arrière de la ferme, de lancer un commerce de traiteur (plats à emporter et banquets) tout en proposant des produits dérivés (pain, glaces aux fruits, etc.) Cassis, framboises, mûres, cerises, pommes, pêches et prunes sont au rendez-vous.

Ses parents et lui ont investi 50.000 euros dans la ferme et 45.000 dans le matériel nécessaire pour lancer sa petite entreprise. Il cuisine avec les légumes et fruits de la ferme. Il envisage d’élever des volailles en plein air et de les nourrir avec 2,5 hectares de céréales. Autant dire que son projet tombe à l’eau avec l’expropriation des terres.

«Il y a pourtant d’autres solutions pour élargir le zoning, assure Pierre. La route ici est déjà saturée. Les pompiers partant du zoning sont coincés dans le trafic. Ils feraient mieux de faire une ouverture de l’autre côté du zoning.» Et de ponctuer: «Ici, c’est une majorité libérale. Ils n’en ont rien à cirer du bio.»

L’échevin Valéry Kalut (Union communale, apparentée MR) tempère le constat… «Moi, j’ai toujours entendu qu’un jour on ferait un zoning là.» Et de reconnaître que la Ville a reçu un document en ce sens en… 2014. «On n’a pas donné l’information aux agriculteurs. Pourquoi le faire? Je n’avais pas plus d’informations qu’un trait sur une carte. Pour moi, les limites de la zone peuvent encore bouger. Elles ne sont pas du tout fixes. La Région wallonne cherche depuis quelques années des zones pour développer des parcs d’activités dans l’est du Brabant wallon. Plusieurs agriculteurs sont concernés et la commune ne peut pas changer ce type d’informations dans le schéma de structure communal (SSC). Nous devons reprendre tout ce qui est connu mais cette décision s’est faite sans concertation avec la Ville. Et aujourd’hui, sans une solution de mobilité pour Jodoigne, sans une voie de contournement, nous y sommes opposés.»

L’argument passe mal du côté de la ferme de la Barrière. À la consultation publique, seuls trois élus de l’opposition n’ont pas voté le SSC. Pierre s’est senti crucifié. «On ne devrait pas paniquer, mais une fois l’acte posé, le politique se dédouane et nous laisse le problème entier! Le vote à la commune, c’était du Ponce Pilate. Toujours des paroles, mais qui va nous aider?»

Trois ans

«Le fait que ce soit des terres ‘bio’ pourrait être pris en compte en termes de valorisation, peut-être aussi pour une modification du plan, rassure Valéry Kalut. On n’en est pas encore à l’étude de faisabilité. Le temps que la Région wallonne change l’affectation du sol, cela prendra des années. Le temps que l’expropriation soit effective, cela prendra encore quelques années. Et tant que le contournement de la ville ne sera pas organisé, Jodoigne mettra son veto. Moi échevin, je ne connaîtrai pas ce zoning.» Et pour cerner la projection temporelle, M. Kalut a la quarantaine plutôt jeune.

Du côté du cabinet Di Antonio (Aménagement du territoire), aucun dossier n’a été encore rentré. Phase d’élaboration, plan d’incidence environnementale, nouvelle enquête publique, validation par le fonctionnaire délégué, par le ministre et autres péripéties sont au programme. De quoi regarder pousser le fenouil tranquille? Pas vraiment. Une enquête publique démarre du 15 septembre au 15 octobre 2015.

Sans se prononcer sur ce dossier spécifique, on précise au cabinet Di Antonio que la procédure dure en moyenne trois ans. Mais dès que la procédure de révision du plan de secteur est entamée, celle de l’expropriation (et du périmètre de reconnaissance économique) peut être lancée, sans attendre la modification au plan de secteur. Selon le site de l’intercommunale du Brabant wallon (IBW) qui gère le dossier, un budget de 1,85 million d’euros a déjà été attribué en 2015 par le gouvernement wallon pour l’acquisition des terrains. Trois ans, c’est donc court.

Trois ans, c’est aussi le laps de temps nécessaire aux arbres fruitiers plantés par Nicolas pour donner leur pleine mesure. Cette durée sera suffisante pour que la résistance s’organise. La FWA a envoyé un expert. Une mobilisation s’organise entre le 15 septembre et le 15 octobre. Un groupement de clients a lancé une pétition sur internet. «Nos clients sont formidables, explique Nadine. Nous, on n’a pas le temps pour tout ça, et on n’est pas informaticiens.» Non. Ils sont agriculteurs. Et c’est déjà pas mal comme cela…

 

En savoir plus

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Olivier Bailly

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