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Regard critique · Justice sociale

Logement

Le logement social bruxellois en pleine restructuration

À Bruxelles, le nombre de sociétés immobilières de service public (SISP) a été réduit de moitié. Des regroupements ont été effectués et il n’y a désormais plus que 16 sociétés pour gérer les 39.369 logements sociaux que compte la capitale. La première phase de cette restructuration vient de s’achever. En principe, sans perte d’emplois. Mais de nombreuses questions se posent, tant pour les locataires que pour les travailleurs de terrain.

(c)Flickr/Fabonthemoon

À Bruxelles, le nombre de sociétés immobilières de service public a été réduit de moitié. Des regroupements ont été effectués et il n’y a désormais plus que 16 sociétés pour gérer les 39.369 logements sociaux que compte la capitale. La première phase de cette restructuration vient de s’achever. En principe, sans perte d’emplois. Mais de nombreuses questions se posent, tant pour les locataires que pour les travailleurs de terrain.

Le logement social bruxellois est en plein chantier. Du moins, institutionnel. Début mars, la ministre du Logement, Céline Fremault, a annoncé qu’une nouvelle étape avait été franchie dans le processus de rationalisation du secteur. Le nombre de sociétés immobilières de service public (SISP), qui gèrent 39.369 logements sociaux à Bruxelles, est réduit de moitié, passant de 33 à 16. L’objectif: améliorer la gouvernance et l’efficacité du secteur, en visant notamment une harmonisation des pratiques. «La fusion permettra aux petites et moyennes SISP de bénéficier du support technique et logistique de leurs partenaires», indique-t-on du côté du cabinet. Cette réforme a débuté sous la dernière législature, avec une ordonnance votée en juillet 2013. Elle découle de la sixième réforme de l’État et même, semblerait-il, d’une exigence des néerlandophones, comme l’a évoqué le député Alain Maron lors d’une séance d’interpellation à la Chambre, en janvier dernier.

Des agréments limités

Pour procéder à cette restructuration, la Région a utilisé un levier administratif: la diminution du nombre d’agréments octroyés par la Société du logement de la Région de Bruxelles-Capitale (SLRB), la limite étant fixée à seize. L’avenir de certaines SISP passait donc obligatoirement par un regroupement, tandis que d’autres pouvaient solliciter individuellement un renouvellement de leur agrément.

Sur quels critères? Dans le Code du logement, les indications sont assez vagues: «Les projets doivent veiller au maintien et au développement des logements sociaux à Bruxelles et viser une répartition homogène.» Sont aussi citées «la qualité du projet de gestion du demandeur d’agrément et sa capacité à réaliser durablement ses missions d’intérêt général». Le gouvernement n’avait pas imposé de lignes directrices très précises, laissant les regroupements se faire à l’initiative des SISP, «afin de respecter leur connaissance du métier et du terrain». Il leur a laissé le «champ libre» jusqu’à 18 mois après l’entrée en vigueur de l’ordonnance.

Il faudrait une enquête approfondie pour accéder aux coulisses des négociations qui ont eu lieu durant cette période. Mais il semble que la proximité géographique, les affinités politiques et/ou institutionnelles soient entrées en ligne de compte. La taille du parc de logement a également joué un rôle. Si le gouvernement n’avait pas fixé de nombre minimal de logements par société, la ministre a toutefois concédé que «l’idéal était que les SISP disposent d’un parc plus important de logements».

Le Foyer molenbeekois, avec ses 3.280 logements, continue ainsi à faire cavalier seul. Le Foyer forestois, lui, a fusionné avec le Foyer saint-gillois, pour créer une nouvelle entité baptisée «Foyer du Sud», qui possède à présent un parc de 1.900 logements. Notons également la création d’une «Alliance bruxelloise coopérative» qui réunit Kapelleveld, Cobralo, Les Locataires réunis, les Foyers collectifs et Messidor. Ou encore Evercity, qui associe Ieder Zijn Huis et Germinal. Faute d’avoir trouvé un partenaire, les Habitations à bon marché de Saint-Josse restent seules, alors que la société gère un petit parc de 800 logements.

Perte d’emplois

Tout ce processus a été accompagné de près par la SLRB et a bénéficié de l’appui d’experts, notamment d’un cabinet juridique spécialisé en droit des sociétés. Car, complexité de cette réforme, les structures juridiques des SISP sont très variées; il y a des sociétés anonymes et des sociétés commerciales à responsabilité limitée. Et parmi ces dernières, certaines sont des coopératives de locataires. Chaque opération de regroupement avait donc ses particularités et ses difficultés, note la ministre Fremault. La Région avait débloqué une enveloppe de 600.000 euros pour couvrir les dépenses liées aux fusions.

Du côté des travailleurs des SISP, cette restructuration a évidemment suscité des craintes concernant le maintien des emplois. Des garanties ont été données par un protocole signé en décembre 2013 par la Région bruxelloise, les SISP et les organisations syndicales. Il prévoit «une interdiction de licencier le personnel en raison du transfert d’employeur, la fusion ne constituant pas un motif de licenciement, tant pour l’ancien que pour le nouvel employeur». Le cabinet Fremault assure que ce protocole fait l’objet d’un suivi attentif.

Sur le terrain

Du côté des locataires, il semble que l’information ait circulé de manière variable. Les sociétés coopératives étaient évidemment mieux outillées puisque leur structure, par nature, permet une plus grande participation. Certains conseils consultatifs de locataires (CoCoLo) ont aussi été associés au processus. «Les retours que j’ai eus indiquent que ça s’est bien passé», rapporte Rémy Renson, de la Fédération bruxelloise de l’union pour le logement (Fébul). Mais toutes les SISP n’ont pas ce dispositif. La fusion ne met pas en question l’existence des 11 CoCoLo en activité actuellement, mais elle a des conséquences, puisque certains représentent aujourd’hui, de facto, un nombre plus important de locataires. Ces derniers sont parfois établis sur des sites différents et ne connaissent pas nécessairement leur existence. «Cela pose un problème de représentativité», note Rémy Renson.

Carine Gutierrez, qui dirige les projets de cohésion sociale pour l’asbl Habitat et Rénovation, a vu les effets de cette réforme sur le travail quotidien. L’association intervient sur le site du Bempt, à Forest, qui dépend maintenant du Foyer du Sud, ainsi que sur les sites Querelle, Potiers Vautour et Rempart des moines, propriétés du Foyer bruxellois. «Nos partenaires habituels au sein des SISP étaient moins disponibles, car davantage sollicités par des réunions. On avait des contacts par téléphone ou e-mails au lieu de passer le temps de midi ensemble.» Pour les locataires, le processus est resté assez lointain. «Tant que cela ne concerne pas leur vie quotidienne, ils ont du mal à se projeter dans les enjeux institutionnels», constate Carine Gutierrez. La situation évolue cependant. «À Bempt, ils commencent à se poser des questions à cause du déménagement. Avec la fusion, les services sociaux seront concentrés à Saint-Gilles, tandis que les services techniques resteront à Forest. Les habitants perdent un lien de proximité. Ils se demandent où ils devront aller pour le suivi, les plaintes. On verra comment on va remédier à cet éloignement.»

Carine Guttierez s’interroge aussi sur l’avenir des projets de rénovation. «Le Foyer bruxellois fusionne avec Lorebru et Sorelo lui cède une partie de son patrimoine. L’objectif est de créer une grosse société de logement sur la commune de Bruxelles. Est-ce que cela va changer la liste des priorités pour les chantiers?» Elle pointe les gros problèmes de salubrité, par exemple à Rempart des moines, où les logements sont pleins d’humidité. Quant aux projets de cohésion sociale, ils vont être confrontés à l’augmentation des périmètres géographiques des SISP, ce qui signifie qu’ils vont peut-être devoir s’adresser à un public plus important.

La première phase de cette réforme a donc abouti, conformément au calendrier fixé lors de la précédente législature. Mais il reste beaucoup de questions à éclaircir concernant la phase opérationnelle. Le Rassemblement bruxellois pour le droit à l’habitat espère ainsi que ces réorganisations, qui demandent beaucoup de temps et d’énergie, ne se feront pas au détriment de la construction et de la rénovation (1). Rappelons que, en 2013, il y avait plus de 40.000 personnes en attente d’un logement social à Bruxelles.

1. Le Rassemblement bruxellois pour le droit à l’habitat vient de sortir un numéro sur la production de logements sociaux à Bruxelles; http://www.rbdh-bbrow.be.

Amélie Mouton

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