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Regard critique · Justice sociale

Logement

La crise des logements vides : chancre immobilier, chancre social

La Wallonie et Bruxelles comptent comptent beaucoup de logements vides. Face à cette problématique, les communes ont un rôle à jouer

18-10-2012 Alter Échos n° 347

En Wallonie comme à Bruxelles, les deux régions compteraient chacune entre 15 000 et 30 000 logements vides. Face à cette problématique, les communes ont un rôleprimordial à jouer pour lutter contre ces logements inoccupés. On constate cependant peu d’avancée sur le terrain de la « chasse » aux immeubles vides.Malgré cela, certaines communes ont décidé de lutter contre ce problème et sont devenues pionnières en la matière.

7720 logements inoccupés en 2009 en région wallonne. C’est le nombre de bâtiments vides répertoriés par les communes du sud du pays. Un chiffre bienen-deçà de la réalité et sous-évalué de l’aveu-même du cabinet du ministre du Logement Jean-Marc Nollet (Ecolo) puisqu’on on estime le nombre delogements vides en Wallonie entre 15 000 et 30 000. Du coup, les communes wallonnes ont été rappelées à l’ordre pour actualiser leurs estimations comme le prévoitl’article 190 du Code wallon du logement et de l’habitat durable qui leur impose aux communes de tenir un inventaire des logements inoccupés, mais aussi d’adopter un règlement detaxation des immeubles inhabités.

Car si l’arsenal législatif est d’abord du ressort de la région, les communes ont dans leurs mains la mise en œuvre de la « chasse » aux immeublesinoccupés. Jusqu’ici, 62 communes wallonnes n’ont pas encore fait ce recensement. Pourtant, si toutes les communes ne sont pas proactives en matière de lutte contre les logements vides,on peut mettre quelques villes en évidence. C’est le cas de Namur où le CPAS pratique depuis 2008, avec l’ensemble des acteurs du logement, ce qu’on appelle la« réquisition douce ». Une procédure prévue dans le code wallon du logement qui prévoit une phase « amiable » avec lepropriétaire et une instance publique pour négocier la prise en gestion du logement inoccupé. « Dès qu’on constate qu’un bâtiment est inoccupé, onprend contact avec le propriétaire par courrier. En gros, on lui dit : faites ce que vous voulez, mais faites quelque chose de votre bien, location, rénovation ou prise en gestion parune agence immobilière sociale. S’il ne répond pas ou s’il ne réagit pas, la procédure continue et peut aller jusqu’à une procédure en justice depaix », explique Philippe Defeyt, président du CPAS de Namur.

Sur 150 dossiers traités depuis le lancement de cette politique, près de 90 bâtiments ont été remis sur le marché, et le CPAS de Namur1 n’adû mener que deux procédures en justice de paix contre des propriétaires. « Il faut être réaliste, ce n’est pas le courrier que l’on envoie qui pousse lepropriétaire à réagir. Mais il faut admettre que depuis quatre ans à Namur, il y a une réelle volonté politique de lutter contre les logementsinoccupés, en étant positivement insistant vis-à-vis des propriétaires. Dans ce cadre, nous avons mis en place un groupe de liaison logement qui réunit tous lesacteurs publics s’occupant du logement. Sans ce consensus, je ne sais pas si nous serions arrivés à de tels résultats. Notre but n’est pas la gestion des bâtiments par nosservices, mais bien de remettre des logements sur le marché car cela fait baisser la pression immobilière et permet d’éviter la présence de chancres sur leterritoire », continue Philippe Defeyt.

Le système namurois de la « réquisition douce » a fait des émules. Il est à l’essai à Charleroi. Là-aussi, les premiersrésultats sont encourageants. En 2010, 749 logements inoccupés ont été recensés, soit cinq fois plus qu’à Namur. À partir de ce recensement, le CPASde Charleroi2 a ciblé 98 logements sur base de différents critères comme les arrêtés d’inhabilité ou la pression de la demande immobilière.« En aucun cas, il ne s’agit d’une chasse à l’égard des propriétaires. On préférera toujours une réaction positive à la mise en demeure. Ladifficulté, c’est d’abord d’avoir un contact physique avec les propriétaires, puis de susciter l’intérêt chez eux pour mettre leur bien en gestion publique. Celanécessite un travail d’accompagnement pour leur expliquer les aides qu’ils peuvent recevoir, les avantages qu’il y a à mettre son bien en gestion auprès d’une agenceimmobilière sociale. C’est un travail qui demande du temps parce qu’il faut convaincre. Et puis la réhabilitation d’un logement demande énormément de temps. Ce sont deslongues procédures pour introduire un permis d’urbanisme, faire appel à un architecte… », précise Karine Lafaille, coordinatrice de la cellule logement au CPAS deCharleroi. Actuellement, et grâce à ce travail, quatre logements sont pris en gestion par une agence immobilière sociale.

Du rôle des AIS

L’occasion de rappeler le rôle important joué par les agences immobilières sociales (AIS) dans la lutte contre les logements vides. C’est un opérateurprivilégié pour les pouvoirs publics comme intermédiaire entre des propriétaires et des locataires aux revenus modestes et précaires. Aux propriétaires,l’AIS garantit le paiement régulier des loyers, l’absence de tout vide locatif ou encore l’exonération du précompte immobilier. Pour les locataires, elle organise unaccompagnement social centré autour de l’habitat (fréquence de paiement de loyer, utilisation adéquate de l’énergie…).

En Wallonie, il existe 28 agences immobilières sociales couvrant près de 75% du territoire de la région dans des contextes sociaux, économiques ou politiquestrès diversifiés. Ces agences prennent en gestion publique environ 4000 logements. Mais dans les faits, les AIS restent trop souvent négligées par certaines communes.« Si notre rôle est reconnu par la région dans la lutte contre les logements vides, certaines communes sont sur la réserve et ne communiquent pas avec les AIS,notamment à propos du recensement des immeubles inoccupés. Vous savez, en faisant des taxes ou en procédant à la réquisition des logements vides, les communes ontpeur de vexer les propriétaires. Pourtant, elles jouent aussi un rôle essentiel pour ceux qui attendent un logement », admet Robert Noirhomme, président de l’AISNord-Luxembourg3. « Un autre aspect, c’est qu’il faut créer une dynamique de confiance vis-à-vis des propriétaires de biens repris dans les inventaires deslogements vides. En aucun cas, l’action de l’AIS ne doit pas être perçue comme une agression », poursuit-il.

Car l’objectif premier d’une agence immobilière sociale, c’est de négocier des loyers supportables pour les locataires dans un logement décent et de contribuer à desnoyaux d’habitat favorables à la mixité sociale. À Verviers, par exemple, où la V
ille a décidé de tripler le montant de sa taxe communale (de 50 à 150€ par mètre de façade), le pouvoir communal a décidé d’associer l’AIS à cette démarche pour informer les propriétaires concernés par cettetaxation, notamment sur les possibilités de primes et de recours à une gestion par l’agence immobilière sociale. « C’est avant tout une collaboration entre notreagence et le propriétaire concerné. Il faut qu’il y ait une envie, qu’on lui laisse le choix, c’est très important. D’ailleurs, de plus en plus propriétaires viennent nousvoir parce que la taxation est élevée à Verviers, et donc ils prennent contact avec nous sous peine de rembourser des sommes très importantes. À chaque fois, onessaie de voir si on peut apporter au propriétaire une solution pour son bien, soit un accès à des aides, soit un prêt à taux zéro. Mais il faut savoir quec’est un travail au cas par cas, soit parce que des propriétés sont en très mauvais état, soit parce que les propriétaires sont rétifs à mettre leurbien en location ou n’ont pas les reins solides pour rénover leur bien. C’est donc à nous de créer ce lien social entre le propriétaire et l’agence, puis entre lepropriétaire et des locataires », insiste Jean-Michel Rausch, président de l’AIS de Verviers4.

Des dynamiques existent pour lutter contre les logements vides en Wallonie. Elles restent peu développées pour répondre à tous les besoins. Mais, outre laproblématique des logements inoccupés, l’objectif premier de la Région wallonne, c’est de faire entrer, face à une offre publique de logements insuffisante, de plus enplus de logements pris en charge par une gestion publique au travers des communes ou des agences immobilières sociales qui jouent, on l’a vu, un rôle de premier plan dans la crise dulogement.

Et à Bruxelles ?

Comme en Wallonie, on estime à 30 000 le nombre de logements vides à Bruxelles. Mais comme dans le sud du pays, les chiffres diffèrent selon les études. Par exemple,selon l’Intercommunale bruxelloise de distribution d’eau (IBDE), on avançait pour 2006 13 251 logements vides, consommant moins de 5m³ d’eau. De son côté, la revue BrusselsStudies estimait le nombre d’immeubles inoccupés en 2009 entre 15 000 et 30 000, soit 80 % de logements privés. Comme en Wallonie, il existe un mécanisme proche de la« réquisition douce », à savoir le « droit de gestion publique ». Une procédure qui permet une phase amiable de deux mois durantlaquelle l’opérateur public fait une offre de prise en gestion au propriétaire. Mais ce mécanisme a été peu utilisé, notamment parce que les logementsnécessitaient de trop lourdes rénovations, et donc des fonds trop importants.

Malgré cela, en 2009, la région de Bruxelles-Capitale a adopté une amende contre les propriétaires des logements vides. Désormais, maintenir inoccupé unimmeuble ou une partie de bâtiment constitue une infraction administrative. Le montant de l’amende encourue s’élève à 500 € par mètre courant de façade,multiplié par le nombre de niveaux inoccupés et le nombre d’années d’inoccupation. En 2012, une cellule régionale « logement vide » fut aussi mise enplace. Ses missions : repérer les logements suspectés d’inoccupation, constater l’infraction et en avertir le propriétaire par l’envoi d’un courrier d’avertissement etl’imposition éventuelle d’une amende. En outre, il faut souligner le rôle joué par le milieu associatif dans la lutte contre les logements vides. Ainsi, à Anderlecht, lesÉquipes Populaires5 ont fait de cette lutte un enjeu clé de leurs actions. « Nos groupes recherchent les logements vides en pointant certains quartiers oùla vacance immobilière est étendue. On a établi un questionnaire pour élargir l’inventaire à d’autres quartiers, mais aussi à d’autres communes. On regardes’il y a un nom sur la sonnette, une boîte aux lettres, si les fenêtres ou les portes sont obstruées, si les vitres sont cassées. On continue à s’informer sur lelogement inoccupé sur base de témoignages des voisins, et on cherche des renseignements complémentaires pour caractériser l’immeuble et interpeller lacommune », explique Sami Allaghi, animateur régional. Grâce à cette action, une cartographie des logements vides a pu être mise à jour sur base du travailcollecté par les bénévoles.

Photo : ©Agence Alter/Pierre Jassogne

1. CPAS de Namur :
– tél.: 081 33 70 11
– courriel : info@cpasnamur.be
– site www.cpasnamur.be
2. CPAS de Charleroi :
– tél.: 071 23 30 23
– courriel : info@cpascharleroi.be
– site : www.cpascharleroi.be
3. AIS Verviers :
– tél.: 087 32 53 90
– couriel : ais@verviers.be
4. AIS Nord-Luxembourg
– tél.: 084 45 76 74
– courriel : ais-nordluxembourg@skynet.be
– site : www.ais-nordlux.be
5. Équipes Populaires
– tél.: 081 73 40 86
– courriel : secretariat@equipespopulaires.be
– site : www.equipespopulaires.be

Pierre Jassogne

Pierre Jassogne

Journaliste (social, justice)

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