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Regard critique · Justice sociale

L’accompagnement post-institutionnel (API) des mineurs

Si le placement des jeunes en IPPJ ou en centre fermé n’est qu’une parenthèse, il n’est pas question de les laisser livrés à eux-mêmes une foisla peine terminée.

18-10-2012 Alter Échos n° 347

Si le placement des jeunes en IPPJ ou en centre fermé n’est qu’une parenthèse, espérée par tous comme la plus courte possible, il n’est pas questionde les laisser livrés à eux-mêmes une fois la peine terminée. Etablir un nouveau projet de vie reste le meilleur garant d’un avenir plus apaisé.

Les services d’accompagnement post-institutionnel des mineurs (API) ont été généralisés dans toutes les IPPJ en 2002. L’Aide à la Jeunesse amis au point tout un système permettant à des dizaines de jeunes de faire un travail sur eux, de se projeter dans l’avenir avec l’aide de divers organismes, de travailler enétroite collaboration avec la famille, mais aussi les établissements scolaires afin de casser la spirale du décrochage et de collaborer avec tous les services existants del’Aide à la jeunesse.

L’IPPJ de Wauthier-Braine1 fut parmi les premières à prendre conscience de la nécessité de mettre sur pied un suivi pour les jeunes, dès 1991.Didier Delbart, directeur : « Nous avions ici, jusqu’en 2010, 42 mineurs en hébergement et le nombre d’éducateurs ne permettait pas que tous ces jeunesbénéficient de cette offre. Il y a toute une dynamique à mettre en place pour étudier quel jeune est le plus réceptif. Il s’agit d’un travail en liaisonavec toutes les équipes pluridisciplinaires des services d’hébergement qui, par leur action éducative et psycho-sociale, identifient les besoins des jeunes et des familles.La durée du séjour a son importance dans la mise en place d’un accompagnement. Il se fait que nous avons des services de séjours à très court termen’excédant pas 15 jours et qui ne conviennent pas pour un tel projet. Mais un API peut déjà être envisagé lors d’un séjour de 40 jours. Cependant,la plupart des jeunes suivis proviennent des sections d’éducation qui permettent une observation à plus long terme. Tous les aspects du suivi se doivent d’êtretraités simultanément : projet de vie, hébergement, loisirs, études… doivent s’intégrer dans une structure bien organisée. »

Quelques chiffres

Selon le rapport statistique intégré de 2010 des Institutions publiques de Protection de la Jeunesse (IPPJ) et Centre fédéral fermé, on remarque que dans le cadredes mesures d’accompagnement post-institutionnel (API), un pourcentage important d’accompagnements se poursuit après la durée d’un an (15 %), même s’il estmoindre que les années précédentes. Le milieu de vie lors de l’API reste conforme aux mesures préconisées, à savoir un retour en famille pour permettreà celle-ci de s’impliquer au maximum dans le projet de vie décidé avec le jeune. Ainsi, en 2010, 24,5 % des jeunes ont vécu leur API chez leurs parents, 27,3 % chezleur mère et, tout de même, 16,1 % en IPPJ. 4,2 % l’ont vécu en centre fédéral et 6,3 % en institution privée d’Aide à la Jeunesse.

www.aidealajeunesse.cfwb.be

Monsieur Coppée dirige le service des API à Wauthier-Braine. « Notre priorité réside dans le suivi scolaire. Nous sommes 11 éducateurs dont trois ontune formation d’enseignant. En amont, le travail de l’équipe PMS a permis de ficeler un projet et de trouver une orientation scolaire adéquate. Lorsque nous sommesinvités à prendre le relais, nous avons déjà une petite idée de ce qui conviendrait le mieux. A nous de peaufiner la vision des choses pour que le jeune deviennepreneur et acteur de son projet. Il n’y a aucune garantie de succès mais chaque API concerne un jeune se trouvant dans un système scolaire intégré à sonprojet. Bien sûr, nombre de ceux que nous suivons s’avèrent instables. Lors d’une rupture ou d’un renvoi, d’une démotivation ou d’undécouragement, nous nous devons de penser à une autre orientation. »

Le goût des choses

La première ordonnance d’un API est de six mois, renouvelable une fois. Un rapport est remis au Juge de la Jeunesse toutes les six semaines, comprenant plusieurs rubriques : rapportavec les éducateurs, suivi scolaire (qu’il se passe en internat ou en famille), relation avec la famille qui tient un rôle déterminant, relations interpersonnelles (amis,bandes urbaines…), santé physique et mentale avec un suivi thérapeutique. « Il s’agit donc d’un projet global où nous intervenons sur de nombreux planspour que cet accompagnement ait du sens. L’éducateur qui suit le jeune en API met sur pied diverses activités, que ce soit pour lui redonner goût au sport, à laculture… Il a donc un an pour l’orienter, si besoin est, vers d’autres asbl ou personnes qui pourront à leur tour prendre le relais. C’est sans doute l’un desaspects les plus plaisants du programme : essayer de motiver et d’intéresser le jeune à tel ou tel domaine, de lui donner le goût des choses. Ce peut être un stageADEPS, un travail dans une asbl d’alphabétisation, des activités de quartier. Ce qui est important, c’est que nous travaillons en collaboration avec les autreséducateurs de l’IPPJ. Il peut arriver qu’un jeune en API connaisse des difficultés et revienne séjourner 15 jours afin de rediscuter de sa situation.Concrètement, nous suivons 20 jeunes issus du centre fermé de Saint-Hubert et 24 issus d’IPPJ, la différence étant que les jeunes de Saint-Hubert ont commis desdélits plus graves : s’ils avaient été majeurs, ils auraient écopé de 5 à 10 ans de prison. »

Si une ébauche de suivi post-institutionnel s’est mise en place en ’91 à Wauthier-Braine, le désir d’instaurer un tel service était déjàancré dans les esprits en 1980 à l’IPPJ de Jumet2. Jean-Pierre Blairon, directeur : « Nous faisons office de précurseur, avec comme appellation àl’époque de « tutelle en milieu ouvert ». L’idée était déjà de permettre à un jeune de sortir du circuit institutionnel pour seréinsérer dans sa famille. Aujourd’hui, les séjours les plus longs en IPPJ sont de sept à huit mois, à l’époque ils allaient de un à deuxans. La dimension est désormais autre puisque le désir est vraiment de sortir le jeune le plus vite possible du circuit institutionnel. A Jumet, notre philosophie a toujoursété la scolarité et nous travaillons avec un panel d’une cinquantaine d’écoles dans la région de Charleroi. Nous voulons une réinsertion par lebiais d’une scolarité normale. Tous les jeunes qui sont susceptibles de passer en API sont déjà scolarisés en extérieur, et notamment da
ns une écoleoù ils pourront poursuivre leur accompagnement après l’IPPJ. Nous avons 16 places en API, huit pour les IPPJ et huit pour Saint-Hubert. Nous pouvons tout à fait recevoir unjeune de l’IPPJ de Fraipont ou de Wauthier-Braine, selon les modalités géographiques. »

A chacun sa chance

Pour Jean-Pierre Blairon, pas de doute possible, l’API ne se travaille qu’au cas par cas. Et il arrive qu’à Jumet, on suive aussi des jeunes filles issues de l’IPPJde Saint-Servais3 : « Je trouve normal qu’il y ait cet échange entre Jumet et Saint-Servais, comme j’ai tenu à instaurer une mixité du personnel, cequi est le cas dorénavant partout. Chaque jeune a sa personnalité, quel que soit le délit commis, et ils ont tous le droit qu’on leur donne une chance de seréinsérer rapidement. Les retours sont positifs car nous collaborons étroitement avec les familles, l’environnement scolaire, éducatif ou semi-professionnel, maiscela reste un exercice très difficile car le jeune doit apprendre à se responsabiliser et à connaître ses limites. L’API ne peut vraiment marcher de la manièrela plus optimale que si la famille est présente et nous regardons autant la motivation du jeune que le degré de participation possible des parents. Il n’y a pas d’API enautonomie à Jumet, il faut que le jeune soit dans sa famille, proche ou éloignée. Mais rien ne nous empêche de l’aider à trouver, plus tard, son autonomie. En30 ans, je n’ai jamais eu le sentiment que la délinquance s’était aggravée, elle s’est sans doute rajeunie. Des échos, nous en avons tant que nousprenons le jeune en charge. Une fois qu’il a quitté le giron institutionnel et la sphère de l’API, nous n’en avons plus. Il arrive que des jeunes, entrés dansle secteur social ou professionnel, viennent me voir et me raconter leurs parcours, mais c’est rare. Comme c’est du cas par cas, je regrette parfois la durée trop courte del’API. Un an n’est pas toujours suffisant pour suivre au mieux le jeune et il arrive, même si ce n’est pas prévu, qu’il reste un an et demi. »

Une réinsertion en réseau

Chaque IPPJ travaille avec différentes associations et organismes susceptibles d’aider le jeune en difficulté à se réinsérer dans la vie. Construire unprojet de vie, c’est en effet à cela que s’attellent quantité d’institutions agréées à établir un Projet pédagogique particulier(PPP).

A l’image de ce que réalise La Pommeraie4 à Faulx-les-Tombes qui offre à ses pensionnaires différentes activités à travers son projet« L’Appui ». Celui-ci propose des accompagnements éducatifs, que ce soit dans les familles ou en logement autonome. Il s’agit de concrétiser le projetinitialisé en IPPJ en accord avec le Juge de la Jeunesse. Un entretien d’accueil est organisé à La Pommeraie entre le jeune et ses référents du centre et uneconvention est signée entre tous les intervenants pour établir les divers objectifs. Il est également envisageable de mettre sur pied, outre le retour en famille, desactivités sportives ou de travail bénévole susceptibles d’aider le jeune à reprendre pied. Le suivi post-institutionnel instauré par La Pommeraies’adresse à des jeunes, filles et garçons, entre 12 et 20 ans confiés par le Tribunal de la Jeunesse.

Fabienne Jeanson travaille à l’asbl Le Toboggan5, à Mons, depuis 23 ans et la dirige depuis huit ans. N’accueillant que des filles en grande détresse,cette structure est un interlocuteur privilégié de l’IPPJ de Saint-Servais, seule IPPJ en Communauté française à s’occuper de jeunes filles. «Nous avons en effet un protocole de collaboration avec Saint-Servais et cela va dans les deux sens. Ils peuvent s’adresser à nous dans le cadre d’un accompagnementpost-institutionnel comme nous pouvons aller vers eux dans le cas d’une réponse urgente à une situation problématique rencontrée par une de nos jeunes. Le Tobogganest avant tout un lieu de vie qui accueille bien souvent des jeunes dont plus personne ne veut. Et parce que nous sommes un lieu de vie, nous pouvons aider à un projet de réinsertion.Nous avons toujours eu de bons rapports et une réelle complicité avec les IPPJ, c’est plutôt avec certains juges de la Jeunesse que cela coince. Nous adresser une jeunefille simplement parce qu’on lui a promis qu’elle n’irait pas à Saint-Servais n’a pas de sens ! Il faut établir des positions éducativescohérentes. »

Photo : © La Pommeraie
A La Pommeraie, à Faulx-les-Tombes, jeunes et éducateurs en marche vers un projet éducatif

1. IPPJ de Wauthier-Braine :
– adresse : Avenue des Boignees, 13, 1440 Wauthier-Braine
– tél. : 02 367 85 00
2. IPPJ de Jumet :
– adresse : rue de l’Institut, 85, 6040 Jumet
– tél. : 071 34 01 06
3. IPPJ de Saint-Servais :
– adresse : rue de Bricgniot, 196, 5002 Saint-Servais
– tél. : 081 73 18 10
4. La Pommeraie :
– adresse : rue de Gesves, 10 à 5340 Faulx-les-Tombes
– tél. : 081 57 07 46
– site : www.pommeraie.be
5. Le Toboggan :
– adresse : route d’Obourg, 16 à 7000 Mons
– tél. : 065 36 11 49
– site : www.asbl-le-toboggan.be

Gilda Benjamin

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