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Regard critique · Justice sociale

Emploi/formation

«Je le fais parce que je n’ai pas le choix»

Trois témoignages de travailleurs saisonniers. Il décrivent une réalité difficile où les conditions de travail fluctuent en fonction des employeurs. Tous, d’une même voix tiennent à l’affirmer : « La cueillette n’est pas un choix »

Trois témoignages de travailleurs saisonniers. Ils décrivent une réalité difficile où les conditions de travail fluctuent en fonction des employeurs. Tous, d’une même voix, tiennent à l’affirmer: «La cueillette n’est pas un choix.»

Mohamed: «J’ai travaillé dans la cueillette des fraises au printemps, des pommes et des poires en automne. À chaque fois près de Tongres. Il y a plein de petites choses qui posent problème, surtout pendant la cueillette de fraises. On te paye en espèces à la fin du dernier jour de cueillette. Il y avait toujours une partie du travail qui était déclarée. Tu déclares sept heures et, en fait, tu en fais plus, surtout pour les fraises.

Le patron était un Indien qui louait un terrain. Il y avait beaucoup d’Indiens qui travaillaient avec leurs femmes et leurs enfants. Parfois il fallait attendre que le patron ait vendu ses fraises pour être payé. Le travail commençait à 6 heures du matin, il n’y avait pas vraiment d’heure pour terminer. On était payé par caisse et pas par heure. C’était deux euros la caisse. Pour remplir deux caisses et demie, ça prend une heure… mais attention, plus le temps passe, plus ça prend du temps de les remplir.

Tout ça n’était pas très réglo. Tu travailles avec ta caisse pour te faire ta journée. Si tu fais une pause, les autres prennent les fraises que tu aurais voulues. C’est une compétition. Et il faut bien dire que c’est un travail très très dur physiquement. Tu te déplaces sur les genoux, toute la journée, après, la peau part. On met des éponges sur les genoux. C’est un travail qui fait mal physiquement. Les pommes et les poires, tu les transportes toute la journée, ça fait mal au dos. C’est sûr que si quelqu’un trouve un autre boulot, il le fera.»

Camara: «Dans les vergers tu ne peux pas trouver un vrai Belge. C’est la première fois que je cueille des fruits. Je le fais parce que je n’ai pas le choix. Je viens de Guinée-Conakry et je suis arrivé en Belgique en 2008. On m’a régularisé, j’ai une carte de séjour d’un an. J’ai cherché du travail, je n’ai trouvé que la cueillette. J’ai fait les poires et je vais commencer les pommes. On devait commencer bientôt mais la dame (la patronne) a appelé, elles ne sont pas mûres, c’est fatigant ces changements. La patronne est Flamande, mais c’est un Indien qui nous gère. Les Indiens ont droit à deux pauses, nous, une seule. On est payé 7 euros de l’heure. Ce n’est pas le bon prix. Je commence à 7 heures du matin, et selon les papiers je travaille 36 heures. Mais je ne peux pas dire combien je travaille d’heures.»

Guy et Faustin (rencontrés ensemble à Liège): «Nous travaillons souvent à Borgloon, dans la cueillette de pommes ou de poires. Si nous cueillons, c’est parce que nous ne trouvons pas d’emploi. Cette année, avec le blocus de la Russie, la récolte des poires n’a duré que cinq jours; ça nous fait moins d’argent. Quant aux salaires, dans la cueillette, il n’y a pas de prix fixe. Cela dépend des patrons. D’ailleurs, beaucoup de choses dépendent des patrons. Parfois certains travailleurs sont payés au kilo. C’est comme pour le nombre d’heures de travail. Pour les cerises, on faisait plus de 10 heures par jour. C’est un travail difficile, physiquement et moralement. Surtout quand il y a un patron qui crie. Avant, il y avait une pause de 15 minutes le matin, aujourd’hui ça n’existe presque plus. Et il y a plus de pression. On doit cueillir plus avec de plus petites équipes. C’est un peu fatigant, car tu passes toute la journée avec ta caisse, une sorte de panse de kangourou. Ce travail fait mal au dos et aux pieds (Faustin a plus de 50 ans). Ça ne rapporte pas beaucoup d’argent, mais on accepte ça, car il y a une pression des organismes sociaux. J’ai plus de 50 ans et me faire engueuler par une jeune fille assistante sociale de 30 ans c’est difficile. Alors on le fait pour montrer qu’on est capable de travailler. Avant c’était du dépannage, maintenant c’est devenu un travail.»

 

Cédric Vallet

Cédric Vallet

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