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Regard critique · Justice sociale

Logement

Housing First : une clef contre le sans-abrisme

Nicolas Bernard, professeur de droit aux Facultés universitaires Saint-Louis, vante les vertus du Housing First, un modèle d’aide aux sans-abri qui met la priorité sur lelogement.

18-10-2012 Alter Échos n° 347

Faut-il être autonome pour accéder au logement ou est-ce le logement qui rend autonome ? Nicolas Bernard, professeur de droit aux Facultés universitaires Saint-Louis, vante lesvertus du Housing First, un modèle d’aide aux sans-abri qui met la priorité sur le logement.

A.E. : D’où vient le Housing First et en quoi se distingue-t-il du modèle actuel ?

N.B. : « C’est un paradigme qui nous vient des Etats-Unis. Il s’enracine dans le constat qu’il existe une frange de sans-abri chroniques, pour lesquels les solutions traditionnellespeinent à trouver leurs effets. Ce qui est à la fois dur pour les pouvoirs publics, mais aussi pour le sans-abri qui se retrouve en situation d’échec permanent. Il fallait doncessayer quelque chose de différent. Dans le modèle actuel, dit  » en escalier « , le sans-abri doit négocier une série de situations de logementsintermédiaires. En schématisant : de la rue à l’abri de nuit, de l’abri de nuit à des foyers collectifs, des foyers collectifs à des formes d’habitatsaccompagnés… Et n’accède à l’étape suivante qu’après avoir fait ses preuves dans la précédente. Le logement en bonne et due forme représentele Graal. Malheureusement, beaucoup de sans-abri restent bloqués aux étages inférieurs. Et la première marche est parfois trop haute. Tout système qui introduit unesélection introduit forcément une exclusion. L’idée était donc de renverser la logique, de régler d’abord la question du logement, avant de s’attaquer àd’autres problématiques, comme les assuétudes. Et, surprise, les résultats en terme de maintien dans le domicile sont bien meilleurs que dans le système de foyersintermédiaires. Par ailleurs, cela s’avère moins coûteux pour la collectivité d’aider un sans-abri à assumer son logement plutôt que de subsidier unesérie d’hôpitaux psychiatriques, de foyers, d’hébergements, d’asiles de nuit. »

A.E. : Que devient l’accompagnement ?

N.B. : « Il serait suicidaire de jeter les sans-abri dans leur logement sans accompagnement ! Le Housing First va de pair avec un accompagnement très poussé pourvérifier la bonne appropriation des lieux par l’occupant. En revanche, la nature de l’accompagnement est amenée à changer. On est dans un accompagnement qui est lié aulogement et plus à la personne. Dans le système en escalier, l’accompagnement vise à rendre le sans-abri plus présentable. Il doit se laver, arrêter de boire. Dansle Housing First, il s’agit plutôt de l’aider à gérer son électricité, payer son loyer à temps. On lui propose un objectif concret plutôt que de luidire « fais ceci, fais cela » ».

A.E. : Et que deviennent les anciennes structures ?

N.B. : « Il ne faut pas assimiler le Housing First à un désinvestissement total des structures d’hébergement plus légères. C’est un outil qui doit sedévelopper en parallèle. Le Housing First ne veut pas dire que l’on abandonne le reste. Ni que l’on abandonne les sans-abri à eux-mêmes. C’est pourquoi, onpréfère parler aujourd’hui de Housing Plus. Bien sûr, certains peuvent craindre que les budgets investis dans le Housing First le soient au détriment des structurestraditionnelles. Nous sommes dans un jeu à somme nulle. C’est la crise et, à budget inchangé, quand on lance une nouvelle action, on court toujours le risque de remettre en causeune action existante. »

A.E. : En mettant en avant le droit au logement, va-t-on à contre-sens des tendances actuelles en terme de responsabilisation individuelle ?

N.B. : « Dans le schéma en escalier, le bénéficiaire doit montrer qu’il s’améliore. Le Housing First rompt avec cette logique du mérite. Le logementest un droit fondamental qui n’a pas à se gagner. La société a le devoir de permettre aux gens de se loger avant de leur réclamer quoi que ce soit. Le Housing First vaaussi à l’encontre de la logique de contractualisation, très prégnante aujourd’hui, qui voudrait qu’un droit social ne se donne pas sans contrepartie. »

A.E. : Ce modèle est-il réaliste en pleine crise du logement ?

N.B.. : « Idéalement, le sans-abri devrait avoir la liberté de choisir un bien dans le parc privé. Ce qui permet de les disséminer dans le tissu urbain, deles « invisibiliser ». Mais l’accompagnement n’est pas toujours facile à faire accepter au propriétaire, qui n’a pas forcément envie qu’une foule de services sociaux viennentmettre le nez dans son bien, voir si les lieux sont aux normes. Dans un premier temps, il devra vraisemblablement être mis en œuvre dans des logements publics. »

A.E. : Quel regard portez-vous sur le Housing First en tant que docteur en Droit ?

N.B. : «  Sur le plan des idées, le Housing First doit s’accompagner d’un contrat de bail normal. Les structures de logements intermédiaires n’empruntent pas leurarchitecture au droit du bail et sont donc moins protectrices du locataire. Avec comme conséquence que la personne ne peut pas se projeter dans l’avenir. Dans le modèle en escalier, lesans-abri peut se dire « j’ai un logement marginal, parce que je suis marginal ». On ne peut pas dire que le logement sert à émanciper la personne et, d’un autrecôté, ne pas lui donner la clef de cette autonomie, à savoir un contrat classique. Le droit accompagne cette démarche au niveau du statut de la relation juridique. ABruxelles, par exemple, certaines agences immobilières sociales (AIS) sont affectées à du logement de transit. Elles travaillent avec des conventions d’occupationprécaire, résiliables à discrétion de l’AIS moyennant un préavis court. Je ne dis pas que c’est bien ou mal. Pour l’AIS, la volonté de tester le locataireest légitime. Mais le Housing First fait le pari que donner un vrai logement, avec un vrai bail, peut avoir un résultat intéressant, voire plusintéressant. » 

Sur le terrain

Importé des Etats-Unis, le Housing First est passé du statut de modèle expérimental à celui de stratégie reconnue par les pouvoirs publics. Laconférence européenne de consensus sur le sans-abrisme en fait la promotion, ainsi que le nouveau plan fédéral de lutte contre la pauvreté. Gand fait figure depionnière, avec une trentaine de logements qui y sont dédiés. Dans une mesure plus restreinte, Charleroi et Liège ont monté des projets qui empruntent cettephilosophie. Et à Bruxelles, le Smes-B1 et une série de partenaires sont en attente de financement pour lancer Housing First Brussels. « Je suis convaincu que lelogement peut être un tremplin pour résoudre une série de problématiques. Avoir un appartement va faciliter la reconnaissance administrative de la personne et doncl’accès aux soins et à l’aide sociale. Ne plus être à la rue va aussi permettre à la personne de penser à autre chose qu’aux
questions de survie et seconcentrer sur d’autres choses », avance Sébastien Alexandre, coordinateur du réseau Smes-B.

Photo : © Agence Alter/Sandrine Warsztacki

+ d’infos :
– Alter Echos n° 310 du 18 février 2011 :
« Un consensus sur le sans-abrisme, vraiment ?»
– Alter Echos n° 315 du 13 mai 2011 :
« Un toit pour les hors cases »
– Alter Echos n° 341 du 22 juin 2012 :
« Loger les SDF au-delà de l’hiver»

1. Smes-B :
– adresse : rue haute, 322 à 1000 Bruxelles
– tél. : 02 535 44 66
– site : www.smes.be
– couriel : coordinationreseau@smes.be

Sandrine Warsztacki

Sandrine Warsztacki

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