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Regard critique · Justice sociale

Culture

Frédéric Pauwels saisit l’envers du décor

Quand une expo photo parle des prostituées…

Le photographe belge a toujours placé l’humain au centre de son œuvre. La nouvelle exposition qu’il présente au Musée de la Photo de Charleroi nous montre la femme derrière la prostituée

Insécurité, mépris, rejet, incompréhension… Les prostituées, la plupart du temps victimes forcées, évoluent dans un milieu improbable et montré du doigt, sorte de « No Man’s Land » où l’abject semble être de mise. Frédéric Pauwels a régulièrement posé son regard de photographe et d’observateur du monde sur des situations qui l’interpellent : SDF, hôpitaux, quartiers abandonnés… Jusqu’à sa première plongée dans le milieu de la prostitution dans les quartiers nord de Bruxelles. Un travail sensible et édifiant qui l’a amené à poursuivre cette démarche, cette fois à Charleroi, et toujours en collaboration avec « Espace P… qui œuvre pour plus de tolérance et de légalité en ce qui concerne les métiers du sexe ». « Avec mon premier travail sur ce sujet, j’ai voulu montrer les quartiers nord de Bruxelles d’une autre manière. Je m’y suis baladé durant plusieurs mois, allant à la rencontre des habitants, des jeunes, des associations de quartier, des commerçants… Autant d’acteurs proches de la fameuse rue d’Aerschot et côtoyant au quotidien les prostituées. Ce travail en immersion totale m’a rendu plus sûr de moi-même et m’a aidé dans l’approche humaine de mes sujets suivants. De toute façon, l’humain est ma priorité, c’est la raison pour laquelle j’ai fondé, il y a un an, le collectif Huma en réalisant des projets qui donnent la parole à ceux qui ne l’ont pas forcément. »

Un sujet aussi fort a longtemps poursuivi le photographe qui avait réussi à tisser des liens avec deux ou trois prostituées, recueillant leurs confidences. En 2008, Frédéric Pauwels est retourné voir l’antenne bruxelloise d’« Espace P… » : « Par la suite, je suis rentré en contact avec d’autres antennes, de Liège et de Charleroi, avec la volonté d’étudier l’évolution de la prostitution chez nous. Les ambiances changent selon les quartiers, et les villes. En reprenant mes recherches, je me suis rendu compte que toutes les femmes prostituées n’étaient pas des victimes, certaines l’étaient par choix. Ce sont elles qui ont accepté de me parler plus ouvertement, avouant ne pas se reconnaître dans la plupart des articles paraissant dans la presse. Via Isabelle Jaramillo, assistance sociale de l’ »Espace P… » qui avait écrit un travail traitant de l’intime entre prostituée et client, je me suis intéressé à la parole de ces femmes. Nous avons travaillé à deux pour réaliser différentes interviews, passant des après-midis entières à enregistrer leurs témoignages, à les écouter nous raconter leur quotidien et les particularités de leur métier. C’est « Espace P… » qui a procédé à la retranscription de ces témoignages, en respectant mot pour mot, respiration après respiration, la parole de ces femmes. Photos et mots ont été exposés à Bruxelles en 2011. Premiers clients, sécurité, préservatifs, souvenirs, tenues, univers des vitrines… Le visiteur se retrouvait confronté à une réalité. « Espace P… » Charleroi m’a alors demandé de déplacer l’exposition à Charleroi, j’ai proposé en blaguant le Musée de la Photo, sans y croire. Il se fait que le directeur, Xavier Canonne, a réagi tout de suite. J’ai donc ouvert une nouvelle page de mon travail en me plongeant dans le milieu de la prostitution de Charleroi. »

Non-assistance à personne en danger

« A Bruxelles, il existe plusieurs quartiers de prostitution avec notamment des filles venant de l’est et un phénomène latino concernant les transsexuels. A Liège, les quartiers ont complètement disparu. A Namur, le phénomène est plutôt privé, via internet. A Charleroi, les quartiers ont aussi disparu et la prostitution s’est déplacée dans les rues sombres des abords du ring, avec tout ce que ça engendre comme insécurité. Ces femmes montent dans les voitures d’inconnus, sans aucune surveillance. « Espace P… » m’a souvent relaté des abus. Il y a, à mes yeux, non-assistance à personne en danger. Nous avons approché une quinzaine de femmes, une seule a accepté de se livrer à visage découvert. Confrontée aux témoignages des femmes de Bruxelles, Namur et Liège présentées dans mes expos précédentes, elle a voulu saisir l’opportunité de pouvoir s’exprimer. Elle a vraiment cette volonté de dénoncer certaines choses et a compris que ma démarche de photographe pouvait rejoindre la sienne. »

Qu’une telle exposition se retrouve aux cimaises du Musée de la Photo le plus important d’Europe apporte une vraie reconnaissance de la parole et du vécu de ces femmes. « Le musée étant avant tout un espace artistique, le visiteur pourra y trouver un petit espace où parcourir des cahiers reprenant une grande partie des témoignages recueillis. »

L’image avant les mots

Frédéric Pauwels dit volontiers qu’il est arrivé à la photographie par hasard. Sa démarche tient pourtant de la démarche cohérente… « J’ai commencé par faire des études en Bande dessinée. Une feuille blanche, une case et le dessinateur qui essaye de raconter une histoire. Construire une image à travers la photographie répond tout compte fait aux mêmes codes. Le photographe a aussi son histoire à raconter. J’ai pratiqué la BD dans l’atelier Jean Graton à Bruxelles. Au cours de mes études, j’ai également eu des cours de photo. J’ai dû réaliser un reportage et me suis retrouvé au cœur de la fameuse Marche blanche suite à l’affaire Dutroux. Le déclic s’est produit en moi, j’ai eu le sentiment de pouvoir capturer les émotions des personnes. La photographie n’est autre, à mes yeux, que la mémoire des gens. Les images nous survivent et deviennent témoignages d’une époque. Par la suite, je me suis intéressé à d’autres événements comme la fermeture des forges de Clabecq, des usines de Renault-Vilvorde… C’est sur le terrain que j’ai le plus appris. Je le dis à mes étudiants : allez dans la rue, les manifestations, vous y développerez l’approche humaine essentielle à votre métier. Mon premier vrai sujet, en tant que photographe indépendant, fut l’occupation de l’église du Béguinage à Bruxelles par les sans-papiers. Je les ai suivis pendant près d’une année, gagnant leur confiance. Quand on fait de la photo à caractère social, le sens du contact est primordial et c’est ce qui alimente mon goût pour ce métier. »

1. Expo Frédéric Pauwels, L’Envers du décor :

 

Gilda Benjamin

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